Les Maîtres sonneurs. Жорж Санд

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Les Maîtres sonneurs - Жорж Санд

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eût pensé à l'aider dans la peine qu'elle avait à servir tant de monde; mais Benoît n'eût point souffert qu'un garçon si distrait tournât et virât dans ses écuelles et dans ses bouteilles.

      Vous n'êtes pas sans avoir entendu parler de défunt Benoît. C'était un gros homme de haute mine, un peu rude en paroles, mais bon vivant et beau diseur dans l'occasion. Il était assez juste pour faire de la Mariton l'estime qu'il devait, car c'était, à vrai dire, la reine des servantes, et jamais sa maison n'avait été mieux achalandée que depuis qu'elle y régnait.

      La chose que le père Brulet avait annoncée à cette femme n'était cependant point arrivée. Le danger de son état l'avait guérie de la coquetterie, et elle faisait respecter sa personne aussi bien que la propriété de son bourgeois. Pour le vrai, c'était, avant tout, pour son fils qu'elle avait rangé son idée à un travail et à une prudence plus sévères que son naturel ne s'y portait de lui-même. C'était une si bonne mère en cela, qu'au lieu de perdre de l'estime, elle s'en était attirée davantage depuis qu'elle était servante de cabaret; et c'est là une chose qui ne se voit point souvent dans nos campagnes, ni ailleurs, que j'aie ouï dire.

      En voyant Joseph plus blême et plus soucieux encore que d'habitude, je ne sais comment ce que ma grand'mère m'avait dit de lui, joint à la maladie, singulière dans mon idée, que lui imputait Brulette, me frappa l'esprit et me toucha le cœur. Sans doute il me gardait rancune de quelque parole dure qui m'était échappée. Je souhaitai la lui faire oublier, et, le forçant à venir s'asseoir à notre tablée, je m'imaginai de le griser un peu par surprise, pensant, comme tous ceux de mon âge, qu'une petite fumée de vin blanc dans les esprits est souveraine pour dissiper la tristesse.

      Joseph, qui était peu attentionné aux actions d'autour de lui, laissa remplir son verre et pousser son coude si souvent, que tout autre en aurait senti l'effet. Pour ceux qui l'incitaient à boire, et qui payèrent d'exemple sans réflexion, il y en eut bien vite trop; et, pour moi, qui voulais garder mes jambes pour la danse, je m'arrêtai d'abord que je sentis qu'il y en avait assez. Joseph tomba dans une grande contemplation, appuya ses deux coudes sur la table et ne parut pas plus lourd ni plus léger qu'auparavant.

      On ne faisait plus attention à lui; chacun riait ou jacassait pour son compte, et l'on se mit à chanter, comme on chante quand on a bu, chacun dans son ton et dans sa mesure, une tablée disant son refrain à côté d'une autre tablée qui dit le sien, et tout ça ensemble, faisant un sabbat de fous à casser la tête, le tout pour se porter à rire et à crier d'autant plus qu'on ne s'entend pas.

      Joseph resta là sans broncher, nous regardant, d'un air étonné, un bon bout de temps. Puis il se leva et partit sans rien dire.

      Je pensai qu'il était peut-être malade, et je le suivis. Mais il marchait droit et vite, comme un homme que le vin n'a point entamé, et il s'en alla si loin, si loin, en remontant la côte au-dessus de la ville de Saint-Chartier, que je le perdis de vue et revins sur mes pas afin de ne point manquer ma bourrée avec Brulette.

      Elle dansait si joliment, ma Brulette, que tout un chacun la mangeait des yeux. Elle était folle de la danse, de la toilette et des compliments; mais elle n'encourageait personne à lui conter du sérieux, et quand les vêpres furent sonnées, elle s'en alla, sage et fière, à l'église, où elle priait bien un peu, mais où elle n'oubliait guère que tous les regards étaient braqués sur elle.

      Moi, je songeai que je n'avais point payé ma dépense au Bœuf couronné, et j'y retournai pour compter avec la Mariton, laquelle en prit occasion de me demander par où son garçon avait passé.

      – Vous l'avez fait boire, dit-elle, et ce n'est point sa coutume. Vous devriez bien au moins ne pas le laisser courir seul. Un malheur vient si vite!

      Troisième veillée

      Je remontai la côte et pris le chemin que j'avais vu prendre à Joseph. Je m'enquis de lui le long de la route et n'en eus point nouvelles, sinon qu'on l'avait bien vu passer, mais non revenir. Ça me mena jusqu'au droit de la forêt, où j'allai questionner le forestier, dont la maison, qui est une pièce fort ancienne, surmonte un grand morceau de brande couché en pente. C'est un endroit bien triste, malgré qu'on y voie de loin, et où il ne pousse, à la lisière des taillis de chêne, que de la fougère et des ajoncs.

      Le garde forestier était, dans ce temps-là, Jarvois, mon parrain, natif de Verneuil. Sitôt qu'il me vit, comme je n'allais pas souvent me promener si loin, il me fit tant de fête et d'amitié qu'il n'y eût pas moyen de s'en aller.

      – Ton camarade Joseph est venu céans, il y a tantôt une heure, me dit-il, pour nous demander si les charbonniers étaient dans la forêt; sans doute que son maître lui aura commandé de s'en enquérir. Il n'était ni dérangé en paroles, ni mal porté sur ses jambes, et il a monté jusqu'au gros chêne. Tu n'as donc point à t'en inquiéter, et puisque te voilà, il faut boire une bouteille avec moi et attendre que ma femme revienne de querir ses vaches, car elle serait fâchée si tu partais sans l'avoir vue.

      N'ayant plus sujet de me tourmenter, je restai chez mon parrain jusque vers le coucher du soleil. C'était environ la mi-février, et, voyant venir la nuit, je fis mes adieux et pris le chemin d'en sus, afin de gagner Verneuil et de m'en retourner tout droit chez nous par la route aux Anglais, sans repasser par Saint-Chartier où je n'avais plus que faire.

      Mon parrain m'expliqua un peu mon chemin, car je n'avais traversé la forêt qu'une ou deux fois en ma vie. Vous savez que, dans le pays d'ici, nous ne courons guère au loin, surtout ceux de nous qui se donnent au travail de la terre, et qui vivent autour des habitations comme des poussins alentour de la mue.

      Aussi, malgré que l'on m'avait bien averti, je donnai trop sur ma gauche, et, au lieu de rencontrer la grande allée de chênes, je me trouvai dans les bouleaux, à une bonne demi-lieue du point que j'aurais dû gagner.

      La nuit était tout à fait tombée et je n'y voyais plus goutte, car, en ce temps, la forêt de Saint-Chartier était encore une belle forêt, rapport non à son étendue, qui n'a jamais été de conséquence, mais à l'âge des arbres, qui ne laissaient guère passer la clarté entre le ciel et la terre.

      Ce qu'elle y gagnait en verdeur et fierté, elle vous le faisait payer du reste. Ce n'était que ronces et fretats, chemins défoncés et ravines d'une bourbe noire et légère, où l'on ne tirait pas trop la semelle, mais où l'on s'enfonçait jusqu'aux genoux quand on s'écartait un peu du tracé. Si bien que, perdu sous la futaie, déchiré et embourbé dans les éclaircies, je commençais à maugréer contre la mauvaise heure et le mauvais endroit.

      Après avoir pataugé assez longtemps pour en avoir chaud, malgré que la soirée fût bien fraîche, je me trouvai dans des fougères sèches, si hautes, que j'en avais jusqu'au menton, et en levant les yeux devant moi, je vis, dans le gris de la nuit, comme une grosse masse noire au milieu de la lande.

      Je connus que ce devait être le chêne, et que j'étais arrivé au fin bout de la forêt. Je n'avais jamais vu l'arbre, mais j'en avais ouï parler, pour ce qu'il était renommé un des plus anciens du pays, et, par le dire des autres, je savais comment il était fait. Vous n'êtes point sans l'avoir vu. C'est un chêne bourru, étêté de jeunesse par quelque accident, et qui a poussé en épaisseur; son feuillage, tout desséché par l'hiver, tenait encore dru, et il paraissait monter dans le ciel comme une roche.

      J'allais tirer de ce côté-là, pensant que j'y trouverais la sente qui coupait le bois en droite ligne, lorsque j'entendis le son d'une musique, qui était approchant celui d'une cornemuse, mais qui menait si grand bruit, qu'on eût dit d'un tonnerre.

      Ne me demandez point comment une chose qui aurait dû me rassurer en me marquant le voisinage d'une personne humaine, m'épeura comme un petit enfant.

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