Histoire littéraire d'Italie (3. Pierre Loius Ginguené

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Histoire littéraire d'Italie (3 - Pierre Loius Ginguené

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mais avec l'autorité même des Pères et des conciles qui se déclarèrent avec force contre de semblables impostures 137.

      Malgré les cris des moines et le blâme des amis de la décence des mœurs, le Décaméron, publié par son auteur vers le milieu du quatorzième siècle 138, circula librement en Italie: les copies s'en multiplièrent à l'infini: il fut placé dans toutes les bibliothèques. L'imprimerie vint un siècle après, et, dès 1470, il en parut une édition que l'on croit de Florence 139, une seconde à Venise, l'année suivante, une troisième meilleure à Mantoue deux ans après 140, et, depuis lors, un grand nombre d'autres. Avec les éditions, se multipliaient les déclamations et les prohibitions des moines; avec ces prohibitions, les éditions, mais irrégulières, tronquées, et s'éloignant toujours de plus en plus de la pureté du texte; lorsqu'en 1497, le fanatique Savonarole échauffa si bien les têtes des Florentins, qu'ils apportèrent eux-mêmes dans la place publique les Décamérons, les Dantes, les Pétrarques et tout ce qu'ils avaient de tableaux et de dessins un peu libres, et les brûlèrent tous ensemble, le dernier jour de carnaval; c'est ce qui a rendu si rares les exemplaires de ces premières éditions.

      Cependant l'autorité restait muette: vingt-cinq ou vingt-six papes se succédèrent depuis la première publication de ce livre, sans qu'aucun d'eux en défendit l'impression ni la lecture; mais d'éditions en éditions, il n'était presque plus reconnaissable. Malgré les soins de quelques éditeurs plus éclairés ou plus soigneux 141, la corruption du texte paraissait sans remède: les Juntes 142, les Aldes eux-mêmes 143 firent mieux, mais ne firent point encore assez bien. Quelques jeunes lettrés toscans, honteux de laisser en cet état l'ouvrage en prose qui honorait le plus leur langue, se réunirent, rassemblèrent les éditions les moins incorrectes, recherchèrent les meilleurs manuscrits, et produisirent, avec le plus grand succès, la fameuse édition donnée par les héritiers des Juntes, en 1527. Mais pendant le reste de ce siècle, tous les éditeurs ne la prirent pas pour modèle: il y en eut même de fort savants 144 qui prétendirent corriger le texte à leur manière et ne firent que le gâter et le corrompre. Les censures du concile de Trente, les prohibitions de Paul IV, septième successeur de Léon X, et celles de Pie IV, successeur de Paul, y portèrent un autre coup. Il y eut à cette époque, entre les éditions, une lacune de quatorze ou quinze ans. Enfin, Cosme Ier., grand duc de Toscane, demanda au pape Pie V que l'interdit fût levé et qu'on rendit au public la faculté de se procurer ce livre si utile pour l'étude de la langue, et le modèle le plus parfait de l'élquence italienne. Le pape écouta ces représentations, et sans vouloir céder sur les points qui lui paraissaient dangereux, il consentit à des arrangements.

      Il s'ouvrit alors une négociation sérieuse et des opérations en règle. Il s'agissait d'un recueil de contes, et l'on eût dit que la cour de Rome et celle de Florence discutaient les intérêts les plus graves. Le grand-duc nomma une commission composée de quatres membres de l'académie de Florence, qu'il chargea de faire au Décaméron les corrections qui seraient indiquées. On choisit un bel exemplaire de l'édition d'Alde Manuce que l'on envoya à Rome. Le maître du sacré palais et un dominicain, évêque de Reggio et confesseur du pape, marquèrent sur cet exemplaire, en présence de Sa Sainteté, tous les endroits qu'ils jugèrent dignes de censure; il y en eut, et en grand nombre, dont la discussion, ou même la simple lecture, dut être plaisante, entre ces trois personnages. Le Décaméron, mutilé par leurs censures, fut renvoyé à Florence, en 1571. Les quatre commissaires, ou députés, passèrent deux ans à défendre, autant qu'ils purent, les passages censurés et supprimés. Pie V mourut; la négociation se suivit avec Grégoire XIII, son successeur; après une correspondance très-vive et très-animée, le texte fixé par les députés florentins, fut approuvé à Rome par les réviseurs. On garde dans la bibliothèque Laurentienne cette correspondance curieuse des commissaires avec Rome, le grand-duc et le prince de Toscane. Le livre fut enfin imprimé à Florence, sept ans après 145; c'est l'édition dite des Députés. Elle est plus conforme que toutes les précédentes au texte original, dans ce que les censeurs ont respecté; mais les retranchements qu'ils avaient faits excitèrent bien des mécontentements et des murmures. On s'en plaignit à Florence en prose et en vers, tandis qu'à Rome on jetait feu et flamme contre les endroits irrespectueux pour l'église et contraires aux mœurs qu'on y avait laissé subsister encore. On demandait à grands cris une seconde correction, et dans l'index publié par le très-scrupuleux pontife Sixte V, il fut expressément porté que le Décaméron serait corrigé de nouveau: ce qui fut exécuté en 1582 146, et ne satisfit pas davantage. Depuis ce temps, on a pris le parti fort sage de ne s'en plus occuper. Les éditions nombreuses qui se sont faites en Hollande, en Angleterre et en France, et les éditions complètes qui avaient, en Italie, précédé les corrections, et celles qui ont été faites depuis, conformément à ces premières, rendent inutiles celles où ces corrections ont été suivies. Vouloir faire du Décaméron un livre entièrement orthodoxe, un livre dont on puisse dire:

      La mère en prescrira la lecture à sa fille,

      est une entreprise folle, et l'on a bien fait d'y renoncer.

      Tel qu'il est, c'est un des monuments les plus précieux qui existent de l'art de conter et de l'art d'écrire. «Cet ouvrage, dit expressément M. Denina, quoique moins grave que la comédie du Dante, et moins poli que les poésies de Pétrarque, a fait cependant beaucoup plus pour fixer la langue italienne. Les écrivains du seizième siècle n'en parlent qu'avec un enthousiasme presque religieux. Mais en mettant à part ce qu'il y a peut-être d'exagéré dans leurs éloges, on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'outre l'artifice dans la conduite et dans la composition générale, qui est merveilleux, et qui n'a été égalé par aucun autre auteur de Contes ou de Nouvelles, soit italien, soit étranger, on y voit encore fidèlement représentés, comme dans une immense galerie, les mœurs et les usages de son temps, non-seulement dans les caractères et les personnages de pure invention, mais encore dans un grand nombre de traits d'histoire qui y sont touchés de main de maître 147

      Après ce jugement d'un esprit sage et aussi instruit des lois du goût que de celles de la décence, on ne doit pas cesser de regretter que Boccace ait gâté un si délicieux ouvrage par des détails qui défendent de le laisser entre les mains de la jeunesse; mais à l'âge où il est permis de tout lire, on peut faire du Décaméron une de ses lectures favorites, une étude utile pour la langue, pour la connaissance des mœurs d'un siècle, et des hommes de tous les siècles: on peut, à l'exemple du sage Molière, y apprendre à représenter au naturel les vices, les ridicules et les travers: on en peut tirer des sujets de tragédies touchantes, de comédies gaies, de satires piquantes, d'histoires agréables et utiles, de discours éloquents et persuasifs: on peut enfin, en passant quelques endroits qui n'offrent plus aucun aurait à ceux pour qui ils n'ont plus aucun danger, jouir d'une production variée, amusante, attachante même, entremêlée de descriptions, de narrations, de dialogues; pleine de verve, d'imagination d'originalité, de naturel, et d'une élégance de style qui, si l'on en excepte un petit nombre d'expressions et de tours que le temps a fait vieillir, est à l'abri de toutes les critiques, comme au-dessus de tous les éloges.

      CHAPITRE XVII

      État général des lettres en Italie pendant la dernière moitié du quatorzième siècle. Universités; suite des études publiques; études particulières; histoire, poésies latines et italiennes; Nouvelles dans le genre du Décaméron; grands poëmes à l'imitation de celui du Dante; dernières observations sur le quatorzième siècle.

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<p>137</p>

M. Baldelli, ub. supr., p. 334.

<p>138</p>

1353.

<p>139</p>

Elle est sans date et sans nom de lieu ni d'imprimeur, in-fol., en caractères inégaux et mal formés.

<p>140</p>

Mantova, Petr. Adam de Michaelibus, 1472, in-fol. C'est cette édition que Salviati jugeait la meilleure de toutes les anciennes.

<p>141</p>

Tels, entre autres, que Niccolò Delfino, patricien de Venise, 1516, Venise, Gregor. de' Gregori, in-4.

<p>142</p>

Firenze, Filippo di Giunta, 1516, in-4.

<p>143</p>

Venezia, Aldo, 1522, in-4. Cette édition est la meilleure de ce temps, et mérita d'être prise pour base de celle de 1527.

<p>144</p>

Tels que le Dolce, dans les trois éditions de Giolito, Venise, 1546, 1550 et 1552; le Ruscelli, Venise, 1552, etc.

<p>145</p>

En 1573.

<p>146</p>

Le grand duc François Ier. confia cette correction à Leonardo Salviati, qui était alors l'oracle de la langue toscane, et formait, à lui seul, une autorité. Il se donna, dans son édition, des libertés dont personne n'osa le reprendre de son vivant; après sa mort, il n'échappa point à la critique, et Boccalini ne l'épargna pas dans sa Pietra di Paragone; mais les Avvertimenti della lingua sopra il Decamerone, que Salviati fit paraître deux ans après son édition, sont un ouvrage précieux, et vraiment classique pour l'étude de la langue. Sur toutes ces vicissitudes que le Décaméron a éprouvées, voyez le livre de Manni, Istoria del Decamerone, part. III, p. 628 et suiv.

<p>147</p>

Vicende della Letteratura, l. II, cap. 13.