Rome. Emile Zola

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Rome - Emile Zola

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à dire qu'une parole. Et, sans attendre un consentement, il introduisit le visiteur, son protégé, qu'il avait laissé derrière la petite porte. Puis, lui-même disparut, avec la tranquillité d'un subalterne qui, dans sa situation infime, se sait tout-puissant.

      Pierre, qu'on oubliait, vit entrer un grand diable de prêtre, taillé à coups de serpe, un fils de paysan, encore près de la terre. Il avait de grands pieds, des mains noueuses, une face couturée et tannée, que des yeux noirs, très vifs, éclairaient. Robuste encore, pour ses quarante-cinq ans, il ressemblait un peu à un bandit déguisé, la barbe mal faite, la soutane trop large sur ses gros os saillants. Mais la physionomie restait fière, sans rien de bas. Et il portait un petit panier, que des feuilles de figuier recouvraient soigneusement.

      Tout de suite, Santobono fléchit les genoux, baisa l'anneau, mais d'un geste rapide, de simple politesse usuelle. Puis, avec la familiarité respectueuse du menu peuple pour les grands:

      – Je demande pardon à Votre Éminence révérendissime d'avoir insisté. Du monde attendait, et je n'aurais pas été reçu, si mon ancien camarade Paparelli n'avait eu l'idée de me faire passer par cette porte… Oh! j'ai à solliciter de Votre Éminence un si grand service, un vrai service de cœur!.. Mais, d'abord, qu'elle me permette de lui offrir un petit cadeau.

      Boccanera l'écoutait gravement. Il l'avait beaucoup connu autrefois, lorsqu'il allait passer les étés à Frascati, dans la villa princière que la famille y possédait, une habitation reconstruite au seizième siècle, un merveilleux parc dont la terrasse célèbre donnait sur la Campagne romaine, immense et nue comme la mer. Cette villa était aujourd'hui vendue, et, sur des vignes, échues en partage à Benedetta, le comte Prada, avant l'instance en divorce, avait commencé à faire bâtir tout un quartier neuf de petites maisons de plaisance. Autrefois, le cardinal ne dédaignait pas, pendant ses promenades à pied, d'entrer se reposer un instant chez Santobono qui desservait, en dehors de la ville, une antique chapelle consacrée à sainte Marie des Champs; et le prêtre occupait là, contre cette chapelle, une sorte de masure à demi ruinée, dont le charme était un jardin clos de murs, qu'il cultivait lui-même, avec une passion de vrai paysan.

      – Comme tous les ans, reprit-il en posant le panier sur la table, j'ai voulu que Votre Éminence goûtât mes figues. Ce sont les premières de la saison que j'ai cueillies pour elle ce matin. Elle les aimait tant, quand elle daignait les venir manger sur l'arbre! et elle voulait bien me dire qu'il n'y avait pas de figuier au monde pour en produire de pareilles.

      Le cardinal ne put s'empêcher de sourire. Il adorait les figues, et c'était vrai, le figuier de Santobono était réputé dans le pays entier.

      – Merci, mon cher curé, vous vous souvenez de mes petits défauts… Voyons, que puis-je faire pour vous?

      Il était tout de suite redevenu grave, car il y avait entre lui et le curé d'anciennes discussions, des façons de voir contraires, qui le fâchaient. Santobono, né à Nemi, en plein pays farouche, d'une famille violente dont l'aîné était mort d'un coup de couteau, avait professé de tout temps des idées ardemment patriotiques. On racontait qu'il avait failli prendre les armes avec Garibaldi; et, le jour où les Italiens étaient entrés dans Rome, on avait dû l'empêcher de planter sur son toit le drapeau de l'unité italienne. C'était son rêve passionné, Rome maîtresse du monde, lorsque le pape et le roi, après s'être embrassés, feraient cause commune. Pour le cardinal, il y avait là un révolutionnaire dangereux, un prêtre renégat mettant le catholicisme en péril.

      – Oh! ce que Votre Éminence peut faire pour moi! ce qu'elle peut faire, si elle le daigne! répétait Santobono d'une voix brûlante, en joignant ses grosses mains noueuses.

      Puis, se ravisant:

      – Est-ce que Son Éminence le cardinal Sanguinetti n'a pas dit un mot de mon affaire à Votre Éminence révérendissime?

      – Non, le cardinal m'a simplement prévenu de votre visite, en me disant que vous aviez quelque chose à me demander.

      Et Boccanera, le visage assombri, attendit avec une sévérité plus grande. Il n'ignorait pas que le prêtre était devenu le client de Sanguinetti, depuis que ce dernier, nommé évêque suburbicaire, passait à Frascati de longues semaines. Tout cardinal, candidat à la papauté, a de la sorte, dans son ombre, des familiers infimes qui jouent l'ambition de leur vie sur son élection possible: s'il est pape un jour, si eux-mêmes l'aident à le devenir, ils entreront à sa suite dans la grande famille pontificale. On racontait que Sanguinetti avait déjà tiré Santobono d'une mauvaise histoire, un enfant maraudeur que celui-ci avait surpris en train d'escalader son mur, et qui était mort des suites d'une correction trop rude. Mais, à la louange du prêtre, il fallait pourtant ajouter que, dans son dévouement fanatique au cardinal, il entrait surtout l'espoir qu'il serait le pape attendu, le pape destiné à faire de l'Italie la grande nation souveraine.

      – Eh bien! voici mon malheur… Votre Éminence connaît mon frère Agostino, qui a été pendant deux ans jardinier chez elle, à la villa. Certainement, c'est un garçon très gentil, très doux, dont jamais personne n'a eu à se plaindre… Alors, on ne peut pas s'expliquer de quelle façon, il lui est arrivé un accident, il a tué un homme d'un coup de couteau, à Genzano, un soir qu'il se promenait dans la rue… J'en suis tout à fait contrarié, je donnerais volontiers deux doigts de ma main, pour le tirer de prison. Et j'ai pensé que Votre Éminence ne me refuserait pas un certificat disant qu'elle a eu Agostino chez elle et qu'elle a été toujours très contente de son bon caractère.

      Nettement, le cardinal protesta.

      – Je n'ai pas été content du tout d'Agostino. Il était d'une violence folle, et j'ai dû justement le congédier parce qu'il vivait constamment en querelle avec les autres domestiques.

      – Oh! que Votre Éminence me chagrine, en me racontant cela! C'est donc vrai que le caractère de mon pauvre petit Agostino s'était gâté! Mais il y a moyen de faire les choses, n'est-ce pas? Votre Éminence peut me donner un certificat tout de même, en arrangeant les phrases. Cela produirait un si bon effet, un certificat de Votre Éminence devant la justice!

      – Oui, sans doute, reprit Boccanera, je comprends. Mais je ne donnerai pas de certificat.

      – Eh quoi! Votre Éminence révérendissime refuse?

      – Absolument!.. Je sais que vous êtes un prêtre d'une moralité parfaite, que vous remplissez votre saint ministère avec zèle et que vous seriez un homme tout à fait recommandable, sans vos idées politiques. Seulement, votre affection fraternelle vous égare, je ne puis mentir pour vous être agréable.

      Santobono le regardait, stupéfié, ne comprenant pas qu'un prince, un cardinal tout-puissant, s'arrêtât à de si pauvres scrupules, lorsqu'il s'agissait d'un coup de couteau, l'affaire la plus banale, la plus fréquente, en ces pays encore sauvages des Châteaux romains.

      – Mentir, mentir, murmura-t-il, ce n'est pas mentir que de dire le bon uniquement, quand il y en a, et tout de même Agostino a du bon. Dans un certificat, ça dépend des phrases qu'on écrit.

      Il s'entêtait à cet arrangement, il ne lui entrait pas dans la tête qu'on pût refuser de convaincre la justice, par une ingénieuse façon de présenter les choses. Puis, quand il fut certain qu'il n'obtiendrait rien, il eut un geste désespéré, sa face terreuse prit une expression de violente rancune, tandis que ses yeux noirs flambaient de colère contenue.

      – Bien, bien! chacun voit la vérité à sa manière, je vais retourner dire ça à Son Éminence le cardinal Sanguinetti. Et je prie Votre Éminence révérendissime de ne pas m'en vouloir, si je l'ai dérangée inutilement… Peut-être que les figues ne sont pas très mûres; mais je me permettrai d'en apporter

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