Rome. Emile Zola
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Il s'arrêta, puis se prononça, d'une voix nette.
– Le cardinal Bergerot est un révolutionnaire.
Cette fois, la surprise de Pierre le rendit un instant muet. Un révolutionnaire, grand Dieu! ce pasteur d'âmes si doux, d'une charité inépuisable, dont le rêve était que Jésus redescendît sur la terre, pour faire régner enfin la justice et la paix! Les mots n'avaient donc pas la même signification partout, et dans quelle religion tombait-il, pour que la religion des pauvres et des souffrants devînt une passion condamnable, simplement insurrectionnelle?
Sans pouvoir comprendre encore, il sentit l'impolitesse et l'inutilité d'une discussion, il n'eut plus que le désir de raconter son livre, de l'expliquer et de l'innocenter. Mais, dès les premiers mots, le cardinal l'empêcha de poursuivre.
– Non, non, mon cher fils. Cela nous prendrait trop de temps, et je veux lire les passages… Du reste, il est une règle absolue: tout livre est pernicieux et condamnable qui touche à la foi. Votre livre est-il profondément respectueux du dogme?
– Je le pense, et j'affirme à Votre Éminence que je n'ai pas entendu faire une œuvre de négation.
– C'est bon, je pourrai être avec vous, si cela est vrai… Seulement, dans le cas contraire, je n'aurais qu'un conseil à vous donner, retirer vous-même votre œuvre, la condamner et la détruire, sans attendre qu'une décision de l'Index vous y force. Quiconque a produit le scandale, doit le supprimer et l'expier, en coupant dans sa propre chair. Un prêtre n'a pas d'autre devoir que l'humilité et l'obéissance, l'anéantissement complet de son être, dans la volonté souveraine de l'Église. Et même pourquoi écrire? car il y a déjà de la révolte à exprimer une opinion à soi, c'est toujours une tentation du diable qui vous met la plume à la main. Pourquoi courir le risque de se damner, en cédant à l'orgueil de l'intelligence et de la domination?.. Votre livre, mon cher fils, c'est encore de la littérature, de la littérature!
Ce mot revenait avec un mépris tel, que Pierre sentit toute la détresse des pauvres pages d'apôtre qu'il avait écrites, tombant sous les yeux de ce prince devenu un saint. Il l'écoutait, il le regardait grandir, pris d'une peur et d'une admiration croissantes.
– Ah! la foi, mon cher fils, la foi totale, désintéressée, qui croit pour l'unique bonheur de croire! Quel repos, lorsqu'on s'incline devant les mystères, sans chercher à les pénétrer, avec la conviction tranquille qu'en les acceptant, on possède enfin le certain et le définitif! N'est-ce pas la plus complète satisfaction intellectuelle, cette satisfaction que donne le divin conquérant la raison, la disciplinant et la comblant, à ce point qu'elle est comme remplie et désormais sans désir? En dehors de l'explication de l'inconnu par le divin, il n'y a pas, pour l'homme, de paix durable possible. Il faut mettre en Dieu la vérité et la justice, si l'on veut qu'elles règnent sur cette terre. Quiconque ne croit pas est un champ de bataille livré à tous les désastres. C'est la foi seule qui délivre et apaise!
Et Pierre resta silencieux un instant, devant cette grande figure qui se dressait. A Lourdes, il n'avait vu que l'humanité souffrante se ruer à la guérison du corps et à la consolation de l'âme. Ici, c'était le croyant intellectuel, l'esprit qui a besoin de certitude, qui se satisfait, en goûtant la haute jouissance de ne plus douter. Jamais encore il n'avait entendu un tel cri de joie, à vivre dans l'obéissance, sans inquiétude sur le lendemain de la mort. Il savait que Boccanera avait eu une jeunesse un peu vive, avec des crises de sensualité où flambait le sang rouge des ancêtres; et il s'émerveillait de la majesté calme que la foi avait fini par mettre chez cet homme de race si violente, dont l'orgueil était resté l'unique passion.
– Pourtant, se hasarda-t-il à dire enfin, très doucement, si la foi demeure essentielle, immuable, les formes changent… D'heure en heure, tout évolue, le monde change.
– Mais ce n'est pas vrai! s'écria le cardinal; le monde est immobile, à jamais!.. Il piétine, il s'égare, s'engage dans les plus abominables voies; et il faut, continuellement, qu'on le ramène au droit chemin. Voilà le vrai… Est-ce que le monde, pour que les promesses du Christ s'accomplissent, ne doit pas revenir au point de départ, à l'innocence première? Est-ce que la fin des temps n'est pas fixée au jour triomphal où les hommes seront en possession de toute la vérité, apportée par l'Évangile?.. Non, non! la vérité est dans le passé, c'est toujours au passé qu'il faut s'en tenir, si l'on ne veut pas se perdre. Ces belles nouveautés, ces mirages du fameux progrès, ne sont que les pièges de l'éternelle perdition. A quoi bon chercher davantage, courir sans cesse des risques d'erreur, puisque la vérité, depuis dix-huit siècles, est connue?.. La vérité, mais elle est dans le catholicisme apostolique et romain, tel que l'a créé la longue suite des générations! Quelle folie de le vouloir changer, lorsque tant de grands esprits, tant d'âmes pieuses en ont fait le plus admirable des monuments, l'instrument unique de l'ordre en ce monde et du salut dans l'autre!
Pierre ne protesta plus, le cœur serré, car il ne pouvait douter maintenant qu'il avait devant lui un adversaire implacable de ses idées les plus chères. Il s'inclinait, respectueux, glacé, en sentant passer sur sa face un petit souffle, le vent lointain qui apportait le froid mortel des tombeaux; tandis que le cardinal, debout, redressant sa haute taille, continuait de sa voix têtue, toute sonnante de fier courage:
– Et si, comme ses ennemis le prétendent, le catholicisme est frappé à mort, il doit mourir debout, dans son intégralité glorieuse… Vous entendez bien, monsieur l'abbé, pas une concession, pas un abandon, pas une lâcheté! Il est tel qu'il est, et il ne saurait être autrement. La certitude divine, la vérité totale est sans modification possible; et la moindre pierre enlevée à l'édifice, n'est jamais qu'une cause d'ébranlement… N'est-ce pas évident, d'ailleurs? On ne sauve pas les vieilles maisons, dans lesquelles on met la pioche, sous prétexte de les réparer. On ne fait qu'augmenter les lézardes. S'il était vrai que Rome menaçât de tomber en poudre, tous les raccommodages, tous les replâtrages n'auraient pour résultat que de hâter l'inévitable catastrophe. Et, au lieu de la mort grande, immobile, ce serait la plus misérable des agonies, la fin d'un lâche qui se débat et demande grâce… Moi, j'attends. Je suis convaincu que ce sont là d'affreux mensonges, que le catholicisme n'a jamais été plus solide, qu'il puise son éternité dans l'unique source de vie. Mais, le soir où le ciel croulerait, je serais ici, au milieu de ces vieux murs qui s'émiettent, sous ces vieux plafonds dont les vers mangent les poutres, et c'est debout, dans les décombres, que je finirais, en récitant mon Credo une dernière fois.
Sa voix s'était ralentie, envahie d'une tristesse hautaine, pendant que, d'un geste large, il indiquait l'antique palais, autour de lui, désert et muet, dont la vie se retirait un peu chaque jour. Était-ce donc un involontaire pressentiment, le petit souffle froid, venu des ruines, qui l'effleurait, lui aussi? Tout l'abandon des vastes salles s'en trouvait expliqué, les tentures de soie en lambeaux, les armoiries pâlies par la poussière, le chapeau rouge que les mites dévoraient. Et cela était d'une grandeur désespérée et superbe, ce prince et ce cardinal, ce catholique intransigeant, retiré ainsi dans l'ombre croissante du passé, bravant d'un cœur de soldat l'inévitable écroulement de l'ancien monde.
Saisi, Pierre allait prendre congé, lorsqu'une petite porte s'ouvrit dans la tenture. Boccanera eut une brusque impatience.
– Quoi? qu'y a-t-il? Ne peut-on me laisser un instant tranquille!
Mais l'abbé Paparelli, le caudataire, gras et doux, entra quand même, sans s'émotionner le moins du monde. Il s'approcha, vint murmurer une phrase, très bas, à l'oreille du cardinal, qui s'était calmé à sa vue.
– Quel curé?.. Ah! oui, Santobono, le curé de Frascati. Je