La Débâcle. Emile Zola

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La Débâcle - Emile Zola

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les francs-tireurs des bois de Dieulet, qui ont une communication importante à lui faire.

      Alors, pendant qu'on revenait vers le camp, Maurice songea à ces compagnies franches, sur lesquelles on avait fondé tant d'espérances, et qui déjà, de partout, soulevaient des plaintes. Elles devaient faire la guerre d'embuscade, attendre l'ennemi derrière les haies, le harceler, lui tuer ses sentinelles, tenir les bois d'où pas un Prussien ne sortirait. Et, à la vérité, elles étaient en train de devenir la terreur des paysans, qu'elles défendaient mal et dont elles ravageaient les champs. Par exécration du service militaire régulier, tous les déclassés se hâtaient d'en faire partie, heureux d'échapper à la discipline, de battre les buissons comme des bandits en goguette, dormant et godaillant au hasard des routes. Dans certaines de ces compagnies, le recrutement fut vraiment déplorable.

      – Eh! Cabasse, eh! Ducat, continuait à répéter Sambuc, en se retournant à chaque pas, arrivez donc, feignants!

      Ces deux-Là aussi, Maurice les sentait terribles.

      Cabasse, le grand sec, né à Toulon, ancien garçon de café à Marseille, échoué à Sedan comme placier de produits du Midi, avait failli tâter de la police correctionnelle, toute une histoire de vol restée obscure. Ducat, le petit gros, un ancien huissier de Blainville, forcé de vendre sa charge après des aventures malpropres avec des petites filles, venait encore de risquer la cour d'assises, pour les mêmes ordures, à Raucourt, où il était comptable, dans une fabrique. Ce dernier citait du latin, tandis que l'autre savait à peine lire; mais tous les deux faisaient la paire, une paire inquiétante de louches figures.

      Déjà, le camp s'éveillait. Jean et Maurice conduisirent les francs-tireurs au capitaine Beaudoin, qui les mena au colonel De Vineuil.

      Celui-ci les interrogea; mais Sambuc, conscient de son importance, voulait absolument parler au général; et, comme le général Bourgain-Desfeuilles, qui avait couché chez le curé d'Oches, venait de paraître sur le seuil du presbytère, maussade de ce réveil en pleine nuit, pour une journée nouvelle de famine et de fatigue, il fit à ces hommes qu'on lui amenait un accueil furieux.

      – D'où viennent-ils? Qu'est-ce qu'ils veulent? … Ah! c'est vous, les francs-tireurs! Encore des traîne-la-patte, hein!

      – Mon général, expliqua Sambuc, sans se déconcerter, nous tenons avec les camarades les bois de Dieulet…

      – Où ça, les bois de Dieulet?

      – Entre Stenay et Mouzon, mon général.

      – Stenay, Mouzon, connais pas, moi! Comment voulez-vous que je me retrouve, avec tous ces noms nouveaux?

      Gêné, le colonel De Vineuil intervint discrètement, pour lui rappeler que Stenay et Mouzon étaient sur la Meuse, et que, les allemands ayant occupé la première de ces villes, on allait tenter, par le pont de la seconde, plus au nord, le passage du fleuve.

      – Enfin, mon général, reprit Sambuc, nous sommes venus pour vous avertir que les bois de Dieulet, à cette heure, sont pleins de Prussiens… Hier, comme le 5e corps quittait Bois-les-Dames, il a eu un engagement, du côté de Nouart…

      – Comment! hier, on s'est battu?

      – Mais oui, mon général, le 5e corps s'est battu en se repliant, et il doit être, cette nuit, à Beaumont… Alors, pendant que des camarades sont allés le renseigner sur les mouvements de l'ennemi, nous autres, nous avons eu l'idée de venir vous dire la situation, pour que vous lui portiez secours, car il va avoir sûrement soixante mille hommes sur les bras, demain matin.

      Le général Bourgain-Desfeuilles, à ce chiffre, haussa les épaules.

      – Soixante mille hommes, fichtre! pourquoi pas cent mille? … Vous rêvez, mon garçon. La peur vous a fait voir double. Il ne peut y avoir si près de nous soixante mille hommes, nous le saurions.

      Et il s'entêta. Vainement Sambuc appela à son aide les témoignages de Ducat et de Cabasse.

      – Nous avons vu les canons, affirma le provençal. Et il faut que ces bougres-là soient des enragés, pour les risquer dans les chemins de la forêt, où l'on enfonce jusqu'au mollet, à cause de la pluie de ces derniers jours.

      – Quelqu'un les guide, c'est sûr, déclara l'ancien huissier.

      Mais le général, depuis Vouziers, ne croyait plus à la concentration des deux armées allemandes, dont on lui avait, disait-il, rebattu les oreilles. Et il ne jugea même pas à propos de faire conduire les francs-tireurs au chef du 7e corps, à qui du reste ceux-ci croyaient avoir parlé en sa personne. Si l'on avait écouté tous les paysans, tous les rôdeurs, qui apportaient de prétendus renseignements, on n'aurait plus fait un pas, sans être jeté à droite ou à gauche, dans des aventures impossibles. Cependant, il ordonna aux trois hommes de rester et d'accompagner la colonne, puisqu'ils connaissaient le pays.

      – Tout de même, dit Jean à Maurice, comme ils revenaient plier la tente, ce sont trois bons bougres, d'avoir fait quatre lieues à travers champs pour nous prévenir.

      Le jeune homme en convint, et il leur donnait raison, connaissant le pays, lui aussi, tourmenté d'une mortelle inquiétude, à l'idée de savoir les Prussiens dans les bois de Dieulet, en branle vers Sommauthe et Beaumont. Il s'était assis, harassé déjà, avant d'avoir marché, l'estomac vide, le coeur serré d'angoisse, à l'aube de cette journée qu'il sentait devoir être affreuse.

      Désespéré de le voir si pâle, le caporal lui demanda paternellement:

      – Ca ne va toujours pas, hein? est-ce que c'est ton pied encore?

      Maurice dit non, de la tête. Son pied allait tout à fait mieux, dans les larges souliers.

      – Alors, tu as faim?

      Et Jean, voyant qu'il ne répondait pas, tira, sans être vu, l'un des deux biscuits de son sac; puis, mentant avec simplicité:

      – Tiens, je t'ai gardé ta part… Moi, j'ai mangé l'autre tout à l'heure.

      Le jour naissait, lorsque le 7e corps quitta Oches, en marche pour Mouzon, par la Besace, où il aurait dû coucher. D'abord, le terrible convoi était parti, accompagné par la première division; et, si les voitures du train, bien attelées, filaient d'un bon pas, les autres, les voitures de réquisition, vides pour la plupart et inutiles, s'attardaient singulièrement dans les côtes du défilé de Stonne. La route monte, surtout après le hameau de la Berlière, entre des mamelons boisés qui la dominent. Vers huit heures, au moment où les deux autres divisions s'ébranlaient enfin, le maréchal De Mac-Mahon parut, exaspéré de trouver encore là des troupes qu'il croyait parties de la Besace, le matin, n'ayant à faire que quelques kilomètres pour être rendues à Mouzon. Aussi eut-il une explication vive avec le général Douay. Il fut décidé qu'on laisserait la première division et le convoi continuer leur marche vers Mouzon; mais que les deux autres divisions, pour ne pas être retardées davantage, par cette lourde avant-garde, si lente, prendraient la route de Raucourt et d'Autrecourt, afin d'aller passer la Meuse à Villers. C'était, de nouveau, remonter vers le nord, dans la hâte que le maréchal avait de mettre le fleuve entre son armée et l'ennemi. Coûte que coûte, il fallait être sur la rive droite le soir. Et l'arrière-garde était encore à Oches, quand une batterie Prussienne, d'un sommet lointain, du côté de Saint-Pierremont, tira, recommençant le jeu de la veille. D'abord, on eut le tort de répondre; puis, les dernières troupes se replièrent.

      Jusque vers onze heures, le 106e suivit lentement la route qui serpente au fond du défilé de Stonne, entre les hauts mamelons.

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