La Débâcle. Emile Zola

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу La Débâcle - Emile Zola страница 29

La Débâcle - Emile Zola

Скачать книгу

L'intention première du maréchal avait dû être de le diriger par Buzancy sur Stenay, où il aurait passé la Meuse. Mais les Prussiens, gagnant de vitesse l'armée de Châlons, devaient être déjà à Stenay, et on les disait même à Buzancy. Aussi, refoulé de la sorte vers le nord, le 7e corps venait-il de recevoir l'ordre de se rendre à la Besace, à vingt et quelques kilomètres de Boult-Aux-Bois, pour aller de là, le lendemain, passer la Meuse à Mouzon. Le départ fut maussade, les hommes grognaient, l'estomac mal rempli, les membres mal reposés, exténués par les fatigues et les attentes des jours précédents; et les officiers assombris, cédant au malaise de la catastrophe à laquelle on marchait, se plaignaient de l'inaction, s'irritaient de ce qu'on n'était pas allé, devant Buzancy, soutenir le 5e corps, dont on avait entendu le canon. Ce corps devait, lui aussi, battre en retraite, remonter vers Nouart; tandis que le 12e corps partait de la Besace pour Mouzon, et que le 1er prenait la direction de Raucourt. C'était un piétinement de troupeau pressé, harcelé par les chiens, se bousculant vers cette Meuse tant désirée, après des retards et des flâneries sans fin.

      Lorsque le 106e quitta Boult-Aux-Bois, à la suite de la cavalerie et de l'artillerie, dans le vaste ruissellement des trois divisions qui rayaient la plaine d'hommes en marche, le ciel de nouveau se couvrit, de lentes nuées livides, dont le deuil acheva d'attrister les soldats. Lui, suivait la grande route de Buzancy, bordée de peupliers magnifiques. À Germond, un village dont les tas de fumier, devant les portes, fumaient, alignés aux deux côtés du chemin, les femmes sanglotaient, prenaient leurs enfants, les tendaient aux troupes qui passaient, comme pour qu'on les emmenât. Il n'y avait plus là une bouchée de pain ni même une pomme de terre. Puis, au lieu de continuer vers Buzancy, le 106e tourna à gauche, remontant vers Authe; et les hommes, en revoyant de l'autre côté de la plaine, sur le coteau, Belleville, qu'ils avaient traversée la veille, eurent alors la nette conscience qu'ils revenaient sur leurs pas.

      – Tonnerre de Dieu! gronda Chouteau, est-ce qu'ils nous prennent pour des toupies?

      Et Loubet ajouta:

      – En voilà des généraux de quatre sous qui vont à hue et à dia!

      On voit bien que nos jambes ne leur coûtent pas cher.

      Tous se fâchaient. On ne fatiguait pas des hommes de la sorte, pour le plaisir de les promener. Et, par la plaine nue, entre les larges plis de terrain, ils avançaient en colonne, sur deux files, une à chaque bord, entre lesquelles circulaient les officiers; mais ce n'était plus, ainsi qu'au lendemain de Reims, en Champagne, une marche égayée de plaisanteries et de chansons, le sac porté gaillardement, les épaules allégées par l'espoir de devancer les Prussiens et de les battre: maintenant, silencieux, irrités, ils traînaient la jambe, avec la haine du fusil qui leur meurtrissait l'épaule, du sac dont ils étaient écrasés, ayant cessé de croire à leurs chefs, se laissant envahir par une telle désespérance, qu'ils ne marchaient plus en avant que comme un bétail, sous la fatalité du fouet. La misérable armée commençait à monter son calvaire.

      Maurice, cependant, depuis quelques minutes, était très intéressé. Sur la gauche, s'étageaient des vallonnements, et il venait de voir, d'un petit bois lointain, sortir un cavalier. Presque aussitôt, un autre parut, puis un autre encore. Tous les trois restaient immobiles, pas plus gros que le poing, ayant des lignes précises et fines de joujoux. Il pensait que ce devait être un poste détaché de hussards, quelque reconnaissance qui revenait, lorsque des points brillants, aux épaules, sans doute les reflets d'épaulettes de cuivre, l'étonnèrent.

      – Là-bas, regarde! dit-il en poussant le coude de Jean, qu'il avait à côté de lui. Des uhlans.

      Le caporal écarquilla les yeux.

      – Ca!

      C'étaient, en effet, des uhlans, les premiers Prussiens que le 106e apercevait. Depuis bientôt six semaines qu'il faisait campagne, non seulement il n'avait pas brûlé une cartouche, mais il en était encore à voir un ennemi. Le mot courut, toutes les têtes se tournèrent, au milieu d'une curiosité grandissante. Ils semblaient très bien, ces uhlans.

      – Il y en a un qui a l'air joliment gras, fit remarquer Loubet.

      Mais, à gauche du petit bois, sur un plateau, tout un escadron se montra. Et, devant cette apparition menaçante, un arrêt se fit dans la colonne. Des ordres arrivèrent, le 106e alla prendre position derrière des arbres, au bord d'un ruisseau. Déjà, de l'artillerie rebroussait chemin au galop, s'établissait sur un mamelon. Puis, pendant près de deux heures, on demeura là, en bataille, on s'attarda, sans que rien de nouveau se produisît. À l'horizon, la masse de cavalerie ennemie restait immobile. Et, comprenant enfin qu'on perdait un temps précieux, on repartit.

      – Allons, murmura Jean avec regret, ce ne sera pas encore pour cette fois.

      Maurice, lui aussi, avait les mains brûlantes du désir de lâcher au moins un coup de feu. Et il revenait sur la faute qu'on avait commise, la veille, en n'allant pas soutenir le 5e corps. Si les Prussiens n'attaquaient point, ce devait être qu'ils n'avaient pas encore assez d'infanterie à leur disposition; de sorte que leurs démonstrations de cavalerie, à distance, ne pouvaient avoir d'autre but que d'attarder les corps en marche. De nouveau, on venait de tomber dans le piège. Et, en effet, à partir de ce moment, le 106e vit sans cesse les uhlans, sur sa gauche, à chaque accident de terrain: ils le suivaient, le surveillaient, disparaissaient derrière une ferme pour reparaître à la corne d'un bois.

      Peu à peu, les soldats s'énervaient de se voir ainsi envelopper à distance, comme dans les mailles d'un filet invisible.

      – Ils nous embêtent à la fin! répétaient Pache et Lapoulle eux- mêmes. Ca soulagerait de leur envoyer des pruneaux!

      Mais on marchait, on marchait toujours, péniblement, d'un pas déjà alourdi qui se fatiguait vite. Dans le malaise de cette étape, on sentait de partout l'ennemi approcher, de même qu'on sent monter l'orage, avant qu'il se montre au-dessus de l'horizon. Des ordres sévères étaient donnés pour la bonne conduite de l'arrière-garde, et il n'y avait plus de traînards, dans la certitude où l'on était que les Prussiens, derrière le corps, ramassaient tout. Leur infanterie arrivait, d'une marche foudroyante, tandis que les régiments Français, harassés, paralysés, piétinaient sur place.

      À Authe, le ciel s'éclaircit, et Maurice, qui se dirigeait sur la position du soleil, remarqua qu'au lieu de remonter davantage vers le Chesne, à trois grandes lieues de là, on tournait pour marcher droit à l'est. Il était deux heures, on souffrit alors de la chaleur accablante, après avoir grelotté sous la pluie, pendant deux jours. Le chemin, avec de longs circuits, montait au travers de plaines désertes. Pas une maison, pas une âme, à peine de loin en loin un petit bois triste, au milieu de la mélancolie des terres nues; et le morne silence de cette solitude avait gagné les soldats, qui, la tête basse, en sueur, traînaient les pieds. Enfin, Saint-Pierremont apparut, quelques maisons vides sur un monticule. On ne traversa pas le village, Maurice constata qu'on tournait tout de suite à gauche, reprenant la direction du nord, vers la Besace. Cette fois, il comprit la route adoptée pour s'efforcer d'atteindre Mouzon, avant les Prussiens. Mais pourrait- on y réussir, avec des troupes si lasses, si démoralisées? à Saint-Pierremont, les trois uhlans avaient reparu, au loin, au coude d'une route qui venait de Buzancy; et, comme l'arrière-garde quittait le village, une batterie fut démasquée, quelques obus tombèrent, sans faire aucun mal. On ne répondit pas, la marche continuait, de plus en plus pénible.

      De Saint-Pierremont à la Besace, il y a trois grandes lieues, et Jean, à qui Maurice disait cela, eut un geste désespéré: jamais les hommes ne feraient douze kilomètres, il le voyait à des signes certains, leur essoufflement, l'égarement de leur visage. La route montait toujours, entre deux coteaux qui se resserraient peu à peu. On dut faire une halte. Mais ce repos avait achevé d'engourdir les membres; et, quand il fallut repartir, ce fut

Скачать книгу