La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits. Rosette
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“Je vous ai peut-être vexé, Monsieur Mc Laine?” L’anxiété s’était manifestée dans ma question en le réveillant de son survenu torpeur.
“Mélisande Bruno, une jeune femme, arrivé d’où on ne le sait pas, bizarre et amusante comme un dessin animé... Comment peut cette fille vexer le grand écrivain de romans de l’horreur, le satanique et perverse Sébastian Mc Laine?” Sa voix était plate, en contraste avec la dureté de ses phrases.
Je me tordis les mains, nerveuse comme à la première rencontre. “Vous avez raison, monsieur. Je ne suis personne. Et...”
Ses yeux s’effilaient, menaçants. “En effet. Vous n’êtes personne. Vous êtes Mélisande Bruno. Donc vous êtes quelqu’un. Ne permettez à personne de vous humilier, néanmoins à moi-même ”.
“Je devrais apprendre à me taire. Avant d’arriver dans cette maison j’y réussissait très bien” chuchotais-je triste, la tête basse.
“Midnight rose a le pouvoir de retirer le pire de vous, Mélisande Bruno? Ou c’est moi à posséder cette incroyable habilité?” Il me fit un sourire bienveillant, avec la magnanimité d’un souverain.
J’acceptai heureuse cette offre de paix, et je retrouvai le sourire. “Je crois qu’il dépend de vous, monsieur” révélai-je à baisse voix, comme si je confirmais un péché capital.
“Je savais déjà d’être un démon” dit-il solennel. “Mais jusqu’à ce point? Vous me laissez sans mots...”
“Si vous voulez je vous passe le vocabulaire” dis-je en riant. L’atmosphère s’était allégée, et même mon cœur.
“Je crois que le vrai diable êtes-vous, Mélisande Bruno” continua-t-il à me taquiner. “Il est Satane en personne que vous envoie, pour perturber ma tranquillité ”.
“Tranquillité? Vous êtes sûr de ne pas la confondre avec ennui?” badinai-je.
“Si l’était, avec vous ici, je ne serais plus ennuyé, cela est sûr. Peut-être, à cette allure, je finirai pour vous regretter” répondit avec emphase.
Nous étions en train de rire tous les deux, sur la même longueur d’onde, quand quelqu’un frappa à la porte. Trois fois.
“Madame Mc Millian” anticipa-t-il, sans détourner le regard de mon visage.
Je le fis, à contrecœur, pour accueillir la gouvernante.
“Le Docteur Mc Intosh est arrivé, monsieur” dit la bonne femme, une pointe d’anxiété dans la voix.
L’écrivain s’assombrit à l’instant. “Il est déjà mardi?”
“Absolument, monsieur. Voulez-vous que je le fasse entrer dans votre chambre?” demanda-t-elle, gentiment.
“Ça va bien. Appelle Kyle” ordonna-t-il, le ton sec comme un quintal de poudre. Il s’adressa à moi, encore plus sec. “Nous nous verrons après, mademoiselle Bruno”.
Je suivis la gouvernante par les escaliers. Elle répondit à ma question inexprimée. “Le Docteur Mc Intosh est le médecin local. Tous les mardis il vient à visiter Monsieur Mc Laine. A part la paralyse, il est pétant de santé, toutefois il est une consuétude, et même une prudence”.
“Sa...” J’hésitai, indécise dans le choix des mots. “...condition est irréversible?”
“Malheureusement oui, il n’y a pas d’espoirs” il fut sa triste confirmation.
Aux pieds des escaliers un homme attendait, en faisant balancer la mallette avec les outils.
“Donc Millicent? Il a encore oublié la visite?” L’homme me cligna de l’œil, en cherchant ma complicité. “Vous êtes la nouvelle secrétaire, n’est-ce-pas? Il sera votre soin de lui rappeler les prochains rendez-vous. Tous les mardis, à trois heures dans l’après-midi”. Il me tendit la main, en souriant amicalement. “Je suis le médecin au service de la commune. John McIntosh”.
Il était un homme grand, presque de même que Kyle, mais plus ancien, âgée entre les soixante et les soixante-dix.
“Et je suis Mélisande Bruno” dis-je, en retournant la poignée de main.
“Un nom exotique pour une beauté digne des femmes écossaises”. L’admiration dans son regard fut éloquente. Je lui souris avec gratitude. Avant d’arriver dans ce village néanmoins repéré sur les cartes, j’étais considérée mignonne, tout au plus jolie, le plus souvent à peine passable. Jamais belle.
Madame Mc Millian s’éclaira en écoutant ce compliment, comme si elle était ma mère et moi sa fille à marier. Heureusement le médecin était âgé et marié, à juger de la grande alliance à l’annulaire, ou elle se serait donnée de la peine pour combiner un beau mariage, dans le panorama idyllique de Midnight Rose.
Après l’avoir accompagné à l’étage supérieur, elle revint chez moi, une expression coquine sur son visage maigre. “C’est dommage qu’il soit marié. Il serait un parti magnifique pour vous”.
C’est dommage qu’il soit vieux, j’aurais ajouté volontiers. Je me tus juste le temps pour me rappeler que la Mc Millian avait au moins cinquante ans et que probablement elle trouvait le médecin séduisant et désirable.
“Je ne cherche pas de fiancés” je lui rappelai avec fermeté. “J’espère que vous ne voudriez me mettre sur le dos même Kyle”.
Elle hocha la tête. “Il est marié lui aussi. Ou bien... Il est séparé, un cas rare par ici. De toute façon je ne l’aime pas. Il y a quelque chose d’inquiétant et lascif en lui”.
J’allais pour répondre que le lui potentiel devait d’abord plaire à moi, mais enfin je renonçai. Surtout puisque moi-aussi j’aimais Kyle moi non plus. Il n’était pas exactement le type d’homme que j’aurais aimé revers, si j’en aurais été capable. Non, j’étais injuste. La vérité était que, après avoir rencontré l’énigmatique et compliqué Sébastian Mc Laine, il était difficile de trouver quelqu’un à sa hauteur. Je me donnais mentalement de la stupide. Pathétique et banal tomber dans le filet tendu par le bel écrivain. Il était seulement mon employeur, et je ne voulais pas finir comme millions d’autres secrétaires, tombées amoureuses sans espoir de leurs chefs. Fauteuil roulant ou non, Sébastian Mc Laine était hors de ma portée.
Incontestablement.
“Je vais à l’étage supérieur” dis-je. “Quel est d’habitude la durée des visites?”
La gouvernante rit joyeusement. “Bien plus que ce que Monsieur Mc Laine peut supporter”. Elle se lança dans une série de contes ayant comme sujet les visites médicales. Je les tuais dans l’œuf, avec la conviction bien fondée que si je ne l’aurais fait à temps je me serais trouvée encore là, à l’écoute ininterrompue, le mardi suivant.
J’étais sur le palier, mes pas amortis par les tapis doux, quand je vis Kyle sortir d’une chambre de lit. Il me parût que c’était celle de notre commun employeur.