La Danse Des Ombres. Nicky Persico

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La Danse Des Ombres - Nicky Persico

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de société est-ce donc, pour assigner toutes les tâches à la même personne?! Il eut un élan de compassion et même d’indignation. Il admirait cet homme qui, somme toute, sous sourciller, s’acquittait au mieux de chacune de ses diverses tâches. Quelle époque, quelle régression, pensa-t-il, je fais bien de ne m’attacher désormais qu’aux choses: elles seules méritent de la considération.

      Tous sortirent poliment leur billet, en entendant ces mots, et le présentèrent à l’homme en uniforme qui, diligent, prenait soin d’en perforer la partie supérieure avec le poinçon prévu à cet effet.

       Asdrubale resta de marbre, toutefois, lorsqu’il remarqua que le chien lui aussi tenait un billet dans sa gueule!

      À vrai dire, il faillit presque s’étouffer en voyant cela. Il secoua la tête et essaya de ne pas trop y penser: comment était-ce possible? Peut-être était-ce seulement un chien bien dressé, oui, il en avait entendu parler. Mais malgré cela, il y avait certaines choses qu’il ne s’expliquait pas. Il décida qu’il valait mieux ne pas y prêter attention et observa la main de l’homme perforer son billet, avec détermination mais courtoisie.

      Au même moment, un parfum intense envahit ses narines. Une odeur de pain. Reconnaissable entre toutes. Et celle du saucisson fraîchement tranché.

      Le vieil homme à sa gauche, qui avait placé son journal sur ses jambes en guise de petite nappe, défit deux emballages de papier crépon marron et en sortit deux belles miches de pain. D’une barquette huileuse, apparurent, bien disposées, de nombreuses tranches de l’appétissant saucisson.

      Il se rendit compte – et en fut agréablement surpris – qu’il en avait déjà l’eau à la bouche. Il n’avait pas ressenti cela aussi intensément depuis longtemps. Car il s’alimentait désormais de manière paresseuse et simple. De temps à autre, il lui arrivait même d’oublier.

      Et pourtant, l’appétit est une chose importante, se reprit-il à penser. Toutes les choses plaisantes dans la vie sont celles après lesquelles on éprouve une grande faim, comme une promenade en forêt, le grand air de certains lieux ou une baignade dans la mer. Ou encore l’amour.

      Oui, l’amour. Il l’avait connu. Du moins, c’est ce qu’il pensait. Elle était tellement belle, mais non par son apparence physique. Elle était belle à ses yeux. Douce, gentille. Il l’avait vraiment aimée. Et elle était entrée dans son jeu, lui avait rendu ses regards, ses attentions de plus en plus nombreuses, jusqu’au jour où ils échangèrent un baiser. Magique, quoique sans prétention. Quel plaisir de se perdre dans cet océan de lèvres et d’émotions. Comme si, au même instant, il venait au monde.

      Oh, oui, que ce fut agréable.

      Mais ensuite, oh oui ensuite. Cet amour avait également mal fini, comme tout ce qui concerne les êtres humains.

       Balayé d’un revers de la main, blessé, malmené, bafoué: qu’était-il resté de ce sentiment pur? De cet élan, de cette magie capable de transporter à l’autre bout du monde en un instant, petit à petit il n’était plus rien resté. Ou peut-être n’avait-il jamais vraiment existé, avait-il cherché à se convaincre. Peut-être l’avait-il seulement rêvé, peut-être avait-il seulement été le fruit de son imagination. Et de cet amour n’était resté, également, plus rien. À nouveau ce rien qui s’était emparé de tout.

      Alors, cela suffisait. Avec l’amour, il en avait terminé. Pour toujours.

      Ses yeux vinrent s’attarder sur ce que le vieil homme avait sur les jambes, et celui-ci lui dit: «Cher Monsieur, en voulez-vous? Servez-vous, je vous en prie.»

      Il se sentit embarrassé de ce que le vieil homme s’en soit aperçu.

      Quelques instants après, chaque passager sortit de ses besaces, sacoches et emballages de tissu un vrai festin: foccacia, fromages, légumes frits, sauces onctueuses et parfumées, et toutes sortes de mets délicats. S’ajoutaient à cela deux bouteilles de vin et des verres.

      Tous lui proposèrent quelque chose (à l’exception cette fois du chien, qui au lieu de cela mastiquait lentement un os apparu d’on ne sait où), et ils le faisaient avec joie et générosité. Ils souhaitaient vraiment le voir accepter, comme s’ils savaient exactement ce que ressentait son estomac désormais relié à son esprit.

      Après un instant d’hésitation, il accepta, et en un rien de temps fit de la place sur ses genoux.

      Tous commencèrent à manger, doucement et calmement.

       Et lui, sourit de gratitude comme il put, la bouche pleine, mais sans pour autant être inconvenant.

      Quelle situation étrange. Mais quelle situation étrange. À présent, il éprouvait une sensation vraiment étrange. Un je-ne-sais quoi difficile à décrire, mais en l’espace d’un instant un mot lui traversa l’esprit. Un mot qui le laissait sceptique: heureux. Mais pourquoi? s’interrogea-t-il.

      Peut-être, se dit-il, parce que pour une fois les gens m’ont surpris. Et pourtant ils ne me connaissent même pas!

      Ce sont des gens simples. Sincères, courtois, généreux et attentionnés.

       Et il mangea de bon coeur, pour une fois. Pour la dernière fois.

      Puis, l’adolescent, entre un artichaut frit et un morceau de fromage affiné, prit la parole: «Alors, ce soir, qui commence?»

      Tous demeurèrent silencieux. Même le guichetier, chef de gare et contrôleur, qui, ayant retiré sa veste, s’était assis sur un accoudoir et prenait part au festin. Il y avait maintenant de tout à manger, y compris des sucreries et de la liqueur à la rose, que tout le monde se partageait.

      Tous ces passagers avaient, entre eux, une proximité naturelle. Comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Comme si tout ceci était un rituel.

      En lui jetant un regard furtif, le jeune homme à l’air suffisant asséna au jeune garçon un coup de coude et d’un clignement d’oeil lui indiqua Asdrubale. En retour, avec naturel et sans hésitation, le jeune garçon poursuivit: «Ah oui, c’est vrai. Écoutez, Monsieur, nous prenons parfois ce train tous ensemble. Et pour passer le temps, vous savez, nous nous racontons d’amènes historiettes. Cela vous ennuierait-il?»

      Asdrubale demeura tout d’abord interdit, puis manifesta rapidement son assentiment, bien évidemment. Et à dire vrai, tout ceci l’intriguait au plus haut point. Il ne manquait plus que cela, à présent, à cette soirée.

      «Bien. Alors, qui a une histoire à raconter? Voulez-vous ouvrir le bal, Agnès?».

       La femme au visage poupin se mit à sourire. Elle parut quelque peu embarrassée, mais peina à dissimuler que cela la tentait.

      «Oh, eh bien, je ne sais pas. Bien sûr, après réflexion, j’en aurais bien une, très confidentielle, à raconter. Car, pour être exacte, il s’agit d’un secret, vous comprenez? Mais un secret unique. Un secret spécial.»

      À ces mots, seize yeux – dont ceux du contrôleur – s’écarquillèrent.

      «Racontez-nous Agnès! S’il vous plaît, racontez» fit le vieil homme au pain et au saucisson.»

      «Très bien. Si vous insistez. Mais gardez à l’esprit que ce que vous allez entendre est une histoire vraie. Un secret qui se transmet depuis des millénaires et que

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