Un lieu ensorcelé. Софи Лав
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Colin fronça les sourcils.
– Je pense juste que tu mérites de connaître la vérité, au lieu de rester dans l’ignorance comme le reste du troupeau. Tu ne m’as pas cru non plus quand je t’ai parlé des faux alunissages, ou de la race d’hommes-lézards qui dirige la planète et nous contrôlent, ni même des Illuminatis et de leurs messages secrets ! Tu es tellement étroite d’esprit ! Je ne suis pas sûr de pouvoir rester dans une relation avec quelqu’un qui refuse de voir la vérité.
Lex secoua la tête, incrédule. Les mots de Colin avaient sûrement pour but de résonner comme une menace, une menace qui la ferait en temps normal se défiler et essayer de le calmer. Mais pour quoi faire ? Pour qu’il recommence la semaine prochaine, et encore celle d’après ?
– Je ne supporte plus d’être entourée de gens irrationnels, dit-elle, plus pour elle-même que pour Colin qui ne l’écoutait pas de toute façon. Je ne peux pas. C’est simple. Ça suffit.
Elle se leva du canapé, attrapa son sac près de la porte en passant. Une rage sourde commença à l’envahir, alimentée par sa colère d’avoir perdu son travail, par la suffisance de Karen, par le manque de sensibilité de Colin et par tout le reste. Cette rage la poussait maintenant vers l’avant avec une énergie décuplée.
– Lexie, bébé, où vas-tu ? demanda-t-il.
Il n’avait l’air ni inquiet, ni bouleversé, mais simplement condescendant. Comme s’il ne croyait pas qu’elle puisse vraiment partir. Derrière lui le film continuait de défiler, totalement oublié. Elle savait qu’il ne l’avait pas écouté, pas vraiment.
– Je rentre chez moi, répondit Lex par-dessus son épaule. Je ne reviendrai pas. C’est fini Colin. N’essaie pas de m’appeler.
Elle sortit de l’appartement et claqua la porte derrière elle pour marquer le coup, descendant le couloir, puis les escaliers en ne ressentant rien d’autre que du soulagement. Même si elle savait au fond d’elle qu’elle avait fait le bon choix, il restait tout de même une question qui la taraudait : maintenant qu’elle avait réussi l’exploit de perdre à la fois sa carrière et sa relation en l’espace d’une journée, qu’est-ce qui pourrait encore lui arriver ?
CHAPITRE TROIS
Lex se précipitait vers son père, tout excitée. Il la souleva pour l’emmener vers l’arrière de la boutique. Derrière l’imposant comptoir en bois, vernis de rouge foncé, il y avait une porte qui menait au monde extérieur où une palette remplie de carton les attendait.
– Attention, dit son père.
Il la protégea de ses mains en la posant avant de faire apparaître un couteau de poche. Avec des gestes précis, il coupa le scotch qui retenait chaque carton, l’un après l’autre, puis il en attrapa un pour le poser par terre à la hauteur de Lex.
Elle plongea dedans avec enthousiasme, sortant un exemplaire flambant neuf d’un livre portant la photo d’une Reine en tenue de Tudors qui posait entourée d’épines.
– Où va celui-là, ma puce ? demanda son père en lui mettant la main sur l’épaule.
– Fictions Historique, annonça Lex, les mains déjà dans la boîte pour sortir les deux autres exemplaires du même roman.
– Bien joué. Tu as gagné le droit de les ranger et je m’occupe des autres, dit-il en lui ébouriffant les cheveux.
Lex sourit et repartit en courant vers les étagères, un chemin qu’elle pourrait retracer dans le noir les yeux fermés. C’était son monde : d’immenses piles de romans, l’odeur des livres neufs, les pages usées et cornées de la section des occasions, les classements alphabétiques et par genre, le calme et les chuchotements des clients. Son père toujours près d’elle pour lui faire découvrir les meilleurs titres, lui montrer de nouveaux mondes…
Elle posa les livres sur l’étagère et se retourna, mais son père n’était plus dans l’arrière-boutique.
– Papa ? appela-t-elle, sa voix résonnant étrangement dans cet endroit vide de toute présence. Papa ? Où es-tu ?
Lex se réveilla en sursaut, sentant un frisson parcourir son corps. Elle transpirait, le souvenir de ce rêve se répétant en boucle dans son esprit. Elle avait compris d’instinct que son père n’était plus là.
Peut-être parce qu’il était également parti, ici, dans la vraie vie. Aussi idyllique que sa vie lui paraissait lorsqu’elle était enfant, elle n’avait aucune idée de ce qu’il se passait en coulisses. Aucune idée des disputes de ses parents, des problèmes d’argent, du manque de marge réalisé sur les ventes. Doucement, sur deux ans, la section des livres d’occasion s’était agrandie, jusqu’à ce que le magasin entier ne vende plus que ça. Son père avait dû croire que ce changement pourrait sauver le magasin.
Lex se souvint avec nostalgie de ses flâneries parmi ces étagères. Les livres d’occasion avaient une odeur complètement différente, celle du vieux papier et de la vie. Chacun d’eux avait sa propre histoire, son propre passé, pas seulement sur les pages, mais aussi dans la vie du livre en lui-même. Des dédicaces griffonnées au stylo ou au crayon à l’intérieur de la couverture. Le bord des pages usé, corné et déchiré, les annotations occasionnelles dans la marge. Les plis dans la tranche là où le livre avait été lu et relu, aimé et emporté partout dans un sac.
C’était magique, jusqu’au jour où ça ne l’était plus. Le magasin fit faillite et ses parents la firent asseoir pour lui annoncer un après-midi d’été brumeux, alors qu’elle ne pensait que rien de mal ne pouvait arriver, qu’ils divorçaient.
Lex resta avec sa mère alors qu’elle souhaitait partir avec son père. Celui-ci vivait dans un motel le temps de trouver un nouvel appartement permanent. Un jour il quitta le motel et ne revint jamais.
Lex ne l’avait pas revu depuis.
C’était une vieille blessure. Lex avait maintenant trente-deux ans et les bons souvenirs du magasin ne représentaient qu’une petite partie de sa vie. C’était terminé depuis longtemps. Elle avait essayé de retrouver son père à l’adolescence, durant ses études et après son diplôme. Elle n’avait jamais trouvé la moindre trace de lui, et un jour, elle avait arrêté de chercher.
Lex sortit les pieds du lit et marcha jusqu’à la cuisine de son petit appartement, récupérant un verre dans le placard pour le remplir d’eau. Le rêve persistait dans son esprit et pas seulement à cause des émotions qu’il avait remuées.
Elle s’était accrochée à ce rêve depuis que le magasin avait fermé : ouvrir un jour sa propre librairie, suivre les traces de son père. Après sa disparition, elle s’était même imaginée ce fantasme dans lequel il apprenait qu’elle avait ouvert son propre magasin. Il l’aurait rejoint pour travailler avec elle au milieu des étagères, comme ils l’avaient fait lorsqu’elle était enfant. C’était en partie plus un souhait qu’un projet, mais l’ambition était toujours là.
À l’origine elle avait commencé dans l’édition pour être proche des livres. Elle voulait en apprendre plus sur le marché, comprendre ce qui se vendait et ce qui ne marchait pas. Elle pensait que ça lui servirait, qu’elle se créerait des contacts utiles pour le jour où elle se lancerait. Mais quelque part en chemin elle avait été promue d’assistante à éditrice junior, puis on