Symbolistes et Décadents. Gustave Kahn
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«Si gracieuse surtout demeurait la pose, tout gentiment, tranquillement changeante. Parfois, la tête avait un joli mouvement minime en avant dans une attentivité non tendue. Etait-elle nubile, cette jeune fille? point que n'élucidait qu'avec un mystère une rougeur indécise, pénétrante et charmeuse, teinte dernière de ce visage, ne contrariant pas, tout au contraire, l'humide brume brunâtre des vifs yeux, presque tendrement réservés sous leurs longs cils soyeux. Lorsqu'elle dut s'éloigner, la jeune fille, je crois—foi plus chère, plus positive que toute science—qu'un prompt regard intact a coulé d'elle furtif vers l'admirateur comme vers ce qu'on ne voudrait laisser supposer oublié.»
Dans ces Nouveaux Songes, vision plus personnelle adaptée aux traductions des paysages, comme dans le livre déjà paru des Songes, l'œuvre maîtresse de M. Poictevin, toujours une profonde réflexion des lieux, des peintures, des aspects de foule, en une âme qui sait en ouvrer un entrelac sûr et personnel. Parfois, l'écrivain s'attarde à cette quasi-impossibilité de lutter avec des mots contre les couleurs et les lignes (les couleurs et les lignes étant vues comme des directions intellectuelles de sa pensée). Ces visions de civilisé très compliqué, très analyste, hanté de besoins d'abstraction, sont-elles bien les traductions des tableaux qu'il étudie? Les hâvres qu'il se crée en des paysages presque lyriques, et féminins et imaginaires, sont-ils des paysages réels? Il importe d'ailleurs fort peu.
Parmi ceux qui croient que la réalité subsiste surtout dans les rêves, peut-être uniquement dans les rêves, et que les choses et les êtres seraient création nulle et tout au plus mauvaise sans un large instinct de solidarité, M. Poictevin est un des plus doués intellectuellement, un des mieux munis pour traduire son intelligence.
Il évoque, une manière de Lucrèce mystique, et aussi de Théocrite ayant remarqué que les pâtres font tache dans le paysage choisi où les artistes païens les placèrent. Au moins sait-il qu'ils ne comprennent pas la féminéité de ces lignes naturistes, et qu'il vaut mieux les en élaguer, eux et leurs aspirations. Son livre actuel est un des plus complets dans une œuvre où, sauf les livres de début, tout a chance de rester de par la conscience et la sincérité de l'écrivain et par la valeur des phénomènes étudiés.
Paul Verlaine.
A propos d'un article de M. Jules Lemaitre [3]
Voici le premier grand article qu'un critique officiel, décoré, consacre à Paul Verlaine. Ce que dit M. Lemaître sur les poètes symbolistes et les poètes décadents ne nous paraît qu'une entrée en matière, une mise en milieu de Verlaine, bien inutile et bien inexacte; le sagace critique est mal renseigné; il n'a pas tout lu; il a souvent mal lu; tomber sur le pauvre M. Ghil, ses aspects de pythonisse, ses théories peu littéraires et pas du tout scientifiques, est vraiment simple; taxer les gens de talent de ce groupe (si l'on veut absolument que ce soit un groupe) d'être des élèves de Baudelaire est encore bien abréviatif; il y a des élèves de Baudelaire, tels même qui encaquent des variations dans le moule exactement conservé des sonnets du maître, mais ce ne sont guère des novateurs, si ce sont des symbolistes; et vraiment si M. Lemaître a raison, il a raison trop facilement, et sans fruit.
Pourquoi accuser des écrivains de noctambulisme et d'alcoolisme? Qu'en sait-il? de quels renseignements use-t-il ou abuse-t-il? Ce ne serait de la critique que s'il était plus complet et démontrait chez ces écrivains des dérivations de pensée sous l'influence de l'alcool; mais il ne l'a pas voulu, et peut-être ne le pourrait-il pas.
Il n'y a ni alcoolisme, ni noctambulisme, ni névrose en jeu, ici, du moins, pas plus que dans la plupart des opérations intellectuelles de notre temps. Ce malheureux temps est bien loin d'être normal; et, si l'on admet que c'est une des gloires du Moyen Age, que dans cette période de force et de guerre, il ait existé de purs mystiques affolés d'amour de Dieu et d'espoir en Dieu, pourquoi ne point vouloir qu'en notre période d'affaires, strictement d'affaires, il soit des poètes se confinant dans l'intellect pur et disant pour eux, pour les initiés existants, pour les initiés à venir, la chanson de leurs sensations, sans s'occuper des exigences populaires, sans travestir le schéma de leur pensée sous la forme de conversation qu'utilisent les poètes et les romanciers classés; et si parfois le but peut-être est dépassé, si le livre ou le poème ne contiennent pas toute la sérénité qui pare l'œuvre d'un classique, peut-être cela vient-il de ceci, que:
Si l'on développe une idée, en voulant enfermer dans sa traduction ses origines et son mouvement et l'accent personnel d'émotion qu'elle eut en émergeant de votre inconscience, on est exposé à faire un peu embrouillé en croyant faire complet;
Que si l'on se borne à donner de cette idée la grosse carrure, presque le fait matériel dont elle est la représentation, on a bien des chances de la traduire sans nouveauté: car, comme dit M. Lemaître, toutes choses ont bien près de six mille ans, elles ont peut-être davantage.
Le premier jour où un pâtre arya modula une onomatopée admirative ou joyeuse ou éclata en sanglots, le poème était fondé, et le poème ne servit depuis qu'à développer le cri de joie et le cri de douleur de l'humanité. Or, les sérénités pures se traduisirent habituellement par les architectures théoriques des Moïse, des Pythagore, des Platon, etc., les besoins de certitude par les Euclide, les Galilée, etc. Toute l'expérience, toute la science des formes tangibles s'analysa. Le poème fut sans cesse ou l'évocation de la légende (la concrétion des aspirations d'une race) ou son cri d'amour joyeux ou triste. Ajouter à cela qu'alternativement ce poème fut en son écriture abstrait et quasi blanc, soit que le mysticisme humain fût, dans le plus large sens du mot, religieux (charité, solidarité, passion), soit qu'il fût idolâtre (coloré, païen, réaliste); au premier cas la recherche d'une forme fluide, libre, musicale et vraie, car en l'essence même de là poésie elle s'adresse à l'oreille tout en cherchant à fixer des attitudes; en l'autre cas, souvent rocailleuse et dure un peu, préoccupée de figer de simples et élémentaires polychromies. Mais ces deux formes d'art qui parfois en des époques troubles peuvent être maniées par le même poète, sont surtout et avant tout différentes et de la forme expérimentale de la science courante, et de l'allure explicative de la littérature courante. En somme, la marque de cette poésie serait d'être purement intuitive et personnelle, en opposition aux formes traditionnelles, qui sont simples car déjà vues, claires parce qu'explicatives. Or, le lyrisme est exclusivement d'allure intuitive et personnelle, et la poésie va dans ce sens depuis cinquante ans (Hugo, Gautier, Nerval, Baudelaire, Heine), et rien d'étonnant à ce qu'un nouveau pas en avant fasse paraître le poète comme chantant pour lui-même, tandis qu'il ne fait au fond que syllabiser son moi d'une façon assez profonde pour que ce moi devienne un soi, c'est-à-dire l'âme de tous; et si tous ne s'y reconnaissent pas tout de suite, c'est peut-être que les formes sensationnelles perçues par le poète ne se sont pas encore produites en eux, que peut-être il fallait que le poète les perçût le premier pour qu'une génération nouvelle inconsciemment s'en imprégnât et finît par s'y reconnaître. En face, la littérature traditionnelle continue son train-train, de concessions en concessions, et détient l'intelligence populaire, ravie d'entrer sans efforts dans des œuvres d'apparence renouvelée.
Ces théories ici trop rapides, vagues à force d'être condensées expliqueront-elles à M. Lemaître la prétendue obscurité de certains vers? Faut-il ajouter qu'en un art serré, une technique bien comprise du vers, il faut éviter toute explication, toute parenthèse inutile, et que peut-être ces nécessités imposent au lecteur de se placer d'abord, par une première lecture, en l'état d'esprit du poète,