Symbolistes et Décadents. Gustave Kahn

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Symbolistes et Décadents - Gustave Kahn

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plus ou moins de précision et de certitude; l'antichambre publique du Gaulois offrit plusieurs jours à la foule, à côté des images de Laurent Tailhade et de moi, pour lesquels cette attribution d'idées était juste, celle, par exemple, de M. Jean Moréas, qui je pense n'énonça jamais la moindre opinion politique, et s'éloigne de toute question sociale de toute la vitesse de sa trirème. Ceci dit, pour réduire à ses proportions exactes la responsabilité de Georges Vanor dans la comédie des erreurs qui se joua toujours, en ces temps lointains, à propos de nous.

      Le Glossaire de Plowert, petit dictionnaire à l'usage des gens du monde, moins curieux à certains égards, le fut beaucoup plus à d'autres. Plowert est le nom d'un manchot qui évolue non sans grâce dans un roman de Moréas et Paul Adam, de leur plus vieille manière. Il parut piquant sans doute à Paul Adam de mettre le nom d'un héros à un seul bras, sur la couverture d'un petit volume qui allait être écrit par une demi-douzaine de dextres, car Paul Adam n'entendait pas se risquer à donner des néologismes de ses collègues, des interprétations hasardées et éloignées de la plus exacte précision. Il avait la connaissance des bonnes méthodes érudites et aussi des habitudes du journalisme (il y fut toujours expert), il résolut donc d'avoir recours à l'interview, et de nous demander à chacun le choix de nos mots nouveaux, mais point de cette façon verbale de l'interview ordinaire qui laisse tomber des détails, mais de façon scripturaire et, pour ainsi dire, ferme.

      L'idée de ce glossaire avait été engendrée chez Paul Adam par une commande à moi faite. Un jeune éditeur, M. Dupret, qui, après avoir mis au jour quelques plaquettes curieuses, s'alla retremper dans un fructueux commerce de bois, avait reçu de moi l'offre d'une sorte de grammaire française, avec rhythmique, projet que je reprendrai quelque jour de loisir un peu large. Comme il n'éditait résolument que de petites plaquettes in-32, M. Dupret me proposa d'en éditer les derniers chapitres (nous raisonnions sur plan) ceux qui auraient trait à l'époque que nous traversions, c'eût été une petite grammaire et rhythmique symboliste. Mon indolence était alors assez grande pour qu'il n'existât, de longtemps, de ce petit livre, qu'un schéma détaillé. J'avais conté le fait de la prochaine éclosion de ce livre à mes camarades, et par conséquent à Paul Adam.

      Le lendemain, Adam vint nous trouver, quelques-uns, dans un café du boulevard d'où nous aimions voir s'écouler les passants de l'heure; on vit bien à son approche qu'il s'était passé quelque chose; le paletot mastic de notre ami, paletot alors célèbre, flottait avec des plis d'étendard. Sur la hampe de cet étendard son chapeau avait une inclinaison martiale comme s'il se fût douté de la victoire d'Uhde.

      Notre ami abordait avec des performances de galion. Il s'assit et tous ses gestes éclatèrent en munificence. Il nous confia alors que Vanier, consulté par lui sur l'opportunité d'un petit dictionnaire de nos néologismes, complément plus qu'indispensable de mon futur travail, avait adhéré avec empressement à ses projets, et qu'un fort lexique allait naître. Il demandait notre concours avec une face rayonnante, et il eût été criminel d'adresser des objections à un ami aussi heureux. Plowert naquit et besogna dare-dare.

      Nous n'attachâmes pas à son œuvre assez d'importance. A le faire, il eût fallu fondre nos projets et donner, d'un coup, importants, cette grammaire et ce dictionnaire des symbolistes qui eussent été des documents curieux, et qui auraient été fort utiles. Nous érigions ainsi notre monument en face celui qu'élaborent sans cesse les doctes ralentisseurs du Verbe qui s'évertuent à l'Académie. Tel qu'il est et malgré l'abondance de ses fautes d'impression le petit volume, qui ne contient que nos néologismes alors parus, qui n'est qu'un petit répertoire, offre cet intérêt, qu'en le parcourant on pourra voir que tous nos postulats d'alors ont été accueillis, et sont entrés dans le courant de la langue et ne dérangent plus que de très périmés dilettantes.

      L'automne de 1886, j'allais prendre, au débarqué de l'Orient-Express, Jules Laforgue qui revenait d'Allemagne, décidé à n'y point retourner; il se mariait et essayait de vivre à Paris de sa plume. Par un abandon de ses droits à de petites sœurs très cadettes, Laforgue se trouvait sans fortune aucune, et il n'avait aucune espèce d'économies. Quelques fonds que lui prêtèrent les siens lui fournirent juste de quoi s'installer. Sa santé, assez faible, avait souffert d'un voyage d'hiver en Angleterre, où il était allé se marier, et d'un retour brusque dans un appartement pas préparé en plein froid décembre. Sauf quelques articles au supplément du Figaro, à la Gazette des Beaux-Arts, une chronique mensuelle à la Revue Indépendante, maigrement payée et sans fixité dans les dates, il n'avait rien. La librairie ne voulait point de ses Moralités légendaires, malgré mes conseils il ajournait la publication de ses Fleurs de bonne volonté (que j'ai publiées dans l'année 1888 de la Revue Indépendante); ce livre d'ailleurs ne lui eût rien rapporté pratiquement. Laforgue ne trouva pas, dans Paris, trois cent cinquante francs pour ses Moralités légendaires, et ce fut bientôt la misère entière à deux, sans remède, sans amis, qui fussent en mesure de l'aider efficacement. C'était la détresse fière et décente, le ménage soutenu par la vente lente d'albums, de collections, de bouquins rares, et puis la maladie aggravée. Il était à peu près certain d'obtenir un poste suffisamment rétribué dans un pays chaud, en Algérie ou en Egypte (il ne pouvait s'agir pour lui de passer un nouvel hiver à Paris, M. Charles Ephrussi et M. Paul Bourget s'étaient employés à le lui épargner), lorsque la mort arriva, une nuit, soudaine, Mme Laforgue, au réveil, trouvait son mari mort à coté d'elle.

      Ah! le funèbre enterrement! dans un jour saumâtre, fumeux, un matin jaunâtre et moite; enterrement simple, sans aucune tenture à la porte, hâtivement parti à huit heures, sans attendre un instant quelque ami retardataire, et nous étions si peu derrière ce cercueil: Emile Laforgue, son frère, Th. Ysaye le pianiste, quelques parents lointains fixés à Paris, dans une voiture, avec Mme Jules Laforgue; Paul Bourget, Fénéon, Moréas, Adam et moi; et la montée lente, lente à travers la rue des Plantes, à travers les quartiers sales, de misère, d'incurie et de nonchalance, où le crime social suait à toutes les fenêtres pavoisées de linge sale, aux devantures sang de bœuf, rues fermées, muettes, obscures, sans intelligence, la ville telle que la rejette sur ses barrières les quartiers de luxe, sourds et égoïstes; on avait dépassé si vite ces quartiers de couvents égoïstes et clos où quelques baguettes dépouillées de branches accentuent ces tristesses de dimanche et d'automne qu'il avait dites dans ses Complaintes et, parmi le demi-silence, nous arrivons à ce cimetière de Bagneux, alors neuf, plus sinistre encore d'être vide, avec des morts comme sous des plates-bandes de croix de bois, concessions provisoires, comme dit bêtement le langage officiel, et sur la tombe fraîche, avec l'empressement, auprès du convoi, du menuisier à qui on a commandé la croix de bois, et qui s'informe si c'est bien son client qui passe, avec trop de mots dits trop haut, on voit, du fiacre, Mme Laforgue, riant d'un gloussement déchirant et sans pleurs, et, sur cet effondrement de deux vies, personne de nous ne pensait à de la rhétorique tumulaire.

      La mort de Laforgue était, pour les lettres, irréparable; il emportait la grâce de notre mouvement, une nuance d'esprit varié, humain et philosophique; une place est demeurée vide parmi nous. C'était le pauvre Yorik qui avait eu un si joli sourire, le pauvre Yorik qui avait professé la sagesse à Wittemberg, et en avait fait la comparaison la plus sérieuse avec la folie; c'était un musicien du grand tout, un passereau tout transpercé d'infini qui s'en allait, et qu'on blotissait dans une glaise froide et collante—la plus pauvre mort de grand artiste, et le destin y eut une part hostile, qui ne laisse vivre les plus délicats que s'ils paient à la société la rançon d'un emploi qui les rend semblables à tous, connaissant le bien et le mal à la façon d'un comptable, et ne leur jette pas, des mille fenêtres indifférentes à l'art, de la presse, un sou pour subsister pauvrement et fièrement, en restant des artistes—à moins qu'une robustesse sans tare morbide ne leur permette de franchir, en les descendant et en les remontant ensuite, tous les cycles de l'enfer social.

      La Revue Indépendante qu'avaient dirigée en 1884 Félix Fénéon et M. Chevrier dans un sens très intelligemment naturaliste, avait laissé de brillants souvenirs, et des personnes songeaient

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