Symbolistes et Décadents. Gustave Kahn

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Symbolistes et Décadents - Gustave Kahn

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prends mon bien où je le trouve», sans avoir l'excuse de Molière, qui, lorsqu'il disait cela, à propos d'une scène du Pédant joué, faisait allusion à une vieille collaboration avec Cyrano, et en effet reprenait une scène ébauchée jadis par lui; c'était de la reprise individuelle. Mais M. Moréas croyant peu à l'idée, et féru de la forme, l'entendait dans un autre sens; outre que ses vers faisaient montre souvent de connaissances étendues, il ne dédaignait pas d'intercaler dans ses œuvres en grande proportion des traductions, ou, selon son expression, des paraphrases. Il y réussissait fort bien. De là une antinomie avec les autres promoteurs du symbolisme, qu'il résolut en s'en détachant lorsqu'il fonda l'Ecole romane, remettant, en somme, lui-même les choses en place. M. Moréas, alors, avait, parmi ses défauts, dont le moindre était de vouloir étendre son importance au-delà du vrai devant les journalistes (nous pensions que c'était aussi un défaut de se soucier des journalistes) une belle qualité, soit un très sincère amour de l'art, qui ne l'a pas quitté, et s'il s'en fait une conception un peu étroite, c'est bien son affaire.

      M. Paul Adam nous arrivait du naturalisme, il avait subi une de ces condamnations pour liberté d'écrire, fort bien portées depuis Baudelaire et Flaubert. Il ne s'en faisait pas trop gloire, et ne se targuait pas de Chair molle. Il était aimable et dandy. Un grand lévrier rhumatisant suivait ses pas; l'esthétique de Paul Adam était alors assez confuse, ainsi que ses rêves politiques, littéraires, industriels, dramatiques, brummellesques. Il travaillait beaucoup et avait une peine infinie à tirer un parti pratique d'une production acharnée. Il y avait, dans ses efforts, de l'inquiétude et du disparate, mais il était déjà plein de talent, encore qu'il n'en fît pas toujours le meilleur usage et qu'il ne contrôlât pas assez l'intérêt de son effort; il était mage et reporter de tempérament, historien en plus, fantaisiste follement et ces quatre courants d'idées n'étaient point sans falotes synthèses. Sa perpétuelle chimère, analogue aux rêveries de Balzac, était souvent distrayante. Un bel amour de l'art le tenait comme nous tous et contribuait à resserrer les liens d'amitié avec lui.

      C'était Félix Fénéon qui assurait la bonne périodicité de la revue; très dévoué aux poètes, il corrigeait les épreuves, méticuleusement, artistement. Ce fut grâce à lui que nous fûmes réguliers; les articles de critique d'art qu'il nous donna font regretter qu'il s'abstienne depuis longtemps d'écrire.

      La Vogue avait été une revue de combats et malgré qu'on n'ait pas songé à prendre de temps d'une exposition de théories, une revue théorique, au moins par les exemples. Ces revues, purement littéraires, ne durent pas. La mienne eut trente et un numéros, et puis s'arrêta. Il y eut une seconde série, encore plus brève, en 1889.

      La Vogue avait fait le départ entre les symbolistes et les décadents. Elle avait reçu des adhésions et des sympathies multiples, entre autres hors frontières celle d'Emile Verhaeren, alors le poète des beaux alexandrins des Flamandes et des Flambeaux noirs. Elle ne faisait que camarader avec des esprits distingués, mais autrement orientés, comme M. Charles Morice dont un bon livre de critique (sauf divergences) présenta un bon tableau de la littérature de cette heure. Laurent Tailhade n'y écrivit pas, parce qu'absent en longue villégiature durant ce semestre et demi que la revue vécut. Maurice Barrès, alors rédacteur au Voltaire, préparait ses livrets et ses préoccupations n'étaient pas identiques aux nôtres; le côté art pur de notre revue l'effarait un peu et nous nous étonnions de ses désirs multiples; nous eûmes aussi des ennemis, je ne m'arrête pas à énumérer des chroniqueurs, c'est à peu près les mêmes que maintenant; mais parmi les poètes, de ceux qu'on rencontrait chez Mallarmé, nous soulevâmes un adversaire, M. René Ghil.

      M. René Ghil se partageait alors entre le sonnet, l'esthétique et l'épopée. Ses sonnets, il y en a de pires, son épopée, je n'en parle pas, parce que si je ne l'aime pas ce n'est pas une raison pour en dégoûter les autres, et aussi parce que je n'y attache point une extrême importance. Son esthétique c'était l'instrumentation colorée ou l'instrumentation verbale, un commentaire extraordinaire du sonnet des voyelles d'Arthur Rimbaud, une adaptation d'Helmholtz, téméraire héroïque. M. René Ghil était d'une parfaite bonne foi, et l'allure du symbolisme, en ce manifeste de M. Moréas et de M. Adam, et dans La Vogue, lui parut attentatoire; il voulut avoir sa tribune, et fonda, avec M. d'Orfer, la Renaissance, ainsi nommée, je pense, à cause des similitudes que M. Ghil a de tout temps reconnues entre lui et Guillaume-Salluste Du Bartas. De là, il fulmina contre tous l'excommunication majeure, puis la Renaissance ayant été éphémère parmi les éphémères, il fonda les Ecrits pour l'art, où l'on se publiait entre amis, œuvres et portraits. M. de Régnier et M. Vielé-Griffin y parvinrent pour la première fois, de façon publique à l'héliogravure.

      Le mot symbolisme avait pris dès lors sa carrure et son sens. Ce n'était pas qu'il fut très précis, mais il est bien difficile de trouver un mot qui caractérise bien des efforts différents, et symbolisme valait à tout prendre, romantisme. Paul Adam proposait d'écrire un dogme dans le symbole; le mot dogme répugnait à des tempéraments plutôt anarchistes et critiques comme le mien; c'était Mallarmé qui avait surtout parlé du symbole, y voyant un équivalent au mot synthèse et concevant que le symbole était une synthèse vivante et ornée, sans commentaires critiques. L'union entre les symbolistes, outre un indéniable amour de l'art, et une tendresse commune pour les méconnus de l'heure précédente, était surtout faite par un ensemble de négations des habitudes antérieures. Se refuser à l'anecdote lyrique et romanesque, se refuser à écrire à ce va-comme-je-te-pousse, sous prétexte d'appropriation à l'ignorance du lecteur, rejeter l'art fermé des Parnassiens, le culte d'Hugo poussé au fétichisme, protester contre la platitude des petits naturalistes, retirer le roman du commérage et du document trop facile, renoncer à de petites analyses pour tenter des synthèses, tenir compte de l'apport étranger quand il était comme celui des grands Russes ou des Scandinaves, révélateur, tels étaient les points communs. Ce qui se détache nettement comme résultat tangible de l'année 1886, ce fut l'instauration du vers libre. Elle est présentée très judicieusement et très exactement par M. Albert Mockel dans ses Propos de littérature, et trop bien pour que je n'y renvoie pas le lecteur.

      Ce fut au début de la publication de La Vogue que j'allais voir Paul Verlaine. Si Verlaine eût été en France, avant 1880, alors qu'il était parfaitement méconnu, nul doute que je n'eusse cherché à lui témoigner mon admiration, parmi celles peu nombreuses qu'il comptait. Mais, à mon retour en France, il était en pleine gloire. Il ne m'attirait pas d'ailleurs aussi complètement que Mallarmé; on pouvait penser que le meilleur et même tout de lui était dans ses livres. Quoiqu'il en soit, j'attendis une occasion et ce fut pour lui demander sa collaboration à La Vogue que je l'allai voir.

      C'était Cour Saint-François, presque Cour des Miracles. Sous le tonnerre intermittent du chemin de fer de Vincennes, à côté des boutiques aux devantures à plein cintre, une petite impasse; un chantier de bois appuyait contre le viaduc de longs madriers et des échafaudages savants de poutres équarries décorait l'horizon d'une petite boutique de marchands de vins, où je trouvais Verlaine uniment placé devant un verre; il m'en offrit la rime, car sa plaisanterie était demeurée banvillesque. Il voulut bien me dire, en exagérant amicalement, qu'il connaissait ma jeune réputation, et à ma demande de copie, il répondit par des phrases modestes; pourtant il constata que c'était là une consécration, et que c'était la récompense de la vie, au début d'une vieillesse infirme, de s'entendre dire par des jeunes hommes qu'on avait bien fait, et qu'on pouvait être revendiqué par eux, en tant qu'exemple quoiqu'indigne, et presque traité de dieu, comme un ancêtre. Je voulus lui spécifier ce que j'attendais de lui, c'était une suite à ses Poëtes maudits que je savais en train. Verlaine, d'abord, rompit les chiens, biaisa, me parla de Mallarmé dont il me savait le fidèle, me récita des vers de Mallarmé avec de curieuses intonations grandiloquentes, et nous esthétisâmes pour le plaisir d'esthétiser, et de se trouver des points communs. Il me raconta son retour à Paris, et puis ses chagrins, une partie au moins; là dessus un petit bonhomme, un gosse passait, fin et svelte, grêle même. Verlaine l'appela, lui donna un sou pour en user avec magnificence, me dit: j'en ai fait un Pierrot,

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