Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs
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Cependant, au milieu des succès de sa politique tortueuse, Mazarin redoutait toujours Chavigny. Il suivait avec inquiétude les menées de ce rival dangereux, qui s'était rendu en Brie et de là avait de fréquentes entrevues avec les Frondeurs, tels que Fontrailles et le président Viole. «On m'assure, écrit Mazarin sur ses Carnets[93], que M. de Chavigny a été deux heures à Paris et qu'il a vu M. le Prince.» Et un peu plus loin[94]: «Chavigny reçoit le monde avec grande parade et a vu M. le Prince.» Mazarin craignait que ce conseiller, plus habile que les petits-maîtres, n'arrêtât le prince sur la pente fatale où son orgueil l'entraînait et ne renouât les relations entre la Fronde parlementaire et le parti des[T.I pag.55] princes; enfin, comme il l'écrivait sur ses Carnets[95]: «ne fit mille choses préjudiciables au service du roi et au mien.» Malheureusement pour le prince de Condé, il cédait à des conseils moins prudents que ceux de Chavigny et séparait de plus en plus sa cause de celle des Frondeurs. Saint-Simon, écho du parti des petits-maîtres, affectait aussi de dédaigner la vieille Fronde. Il écrivait à Chavigny, le 27 novembre: «On vous conseille de fréquenter le moins que vous le pourrez le pape des Frondeurs[96] et les autres de cette nature.»
En même temps que Condé rompait avec Beaufort et avec le coadjuteur, il poussait aux dernières extrémités Anne d'Autriche et Mazarin par de nouvelles insolences. Il se rendit coupable de l'insulte la plus grave envers une femme et une reine; il prétendit lui imposer un amant, et choisit pour ce rôle un des petits-maîtres, le marquis de Jarzé[97]. Cet outrage porta le désespoir dans l'âme d'Anne d'Autriche[98], et Mazarin se hâta de prendre les dernières mesures avec les chefs de la Fronde pour frapper un coup décisif; il gagna Retz par la promesse du chapeau de cardinal, Vendôme et Beaufort par celle de l'amirauté. Madame de Chevreuse lui répondit du faible Gaston d'Orléans.
Si l'on en croit les Carnets de Mazarin[99], il était temps[T.I pag.56] que ce ministre en finît avec Condé. Les gentilshommes dévoués à ce prince se réunissaient en foule à Paris, et tout annonçait une lutte formidable. Mazarin prévint le coup: le 18 janvier 1650, il fit arrêter au Louvre le prince de Condé, son frère le prince de Conti et son beau-frère le duc de Longueville. Cet acte de vigueur dispersa la faction des princes; leurs partisans les plus dévoués se retirèrent dans les provinces et y renouvelèrent la guerre civile. Quant à Chavigny, gardant toujours son rôle de philosophe, il se retira dans ses terres et attendit que la délivrance des princes (1651) lui fournît une occasion de renouer ses intrigues. Le duc de Saint-Simon, qui voyait toutes ses prévisions démenties, se hâta de regagner son gouvernement de Blaye et écrivit à Mazarin pour lui offrir son épée. Le ministre ne fut pas dupe de ces démonstrations tardives, et l'on voit assez par la lettre qu'il répondit au duc de Saint-Simon, le 26 février 1650, que la fuite précipitée de ce personnage avait inspiré au ministre de justes soupçons. «Vous pouviez, lui écrivait Mazarin, changer la forme de ce départ et particulièrement dans la conjoncture présente, où il a donné matière au peuple de faire diverses spéculations et de craindre de mauvaises suites de la sortie de la cour d'une personne de votre qualité, sans avoir pris congé de Leurs Majestés.» Telle fut l'issue de l'intrigue ourdie en 1649 par Saint-Simon et Chavigny. Le premier s'était promptement rallié, comme on vient de le voir, au parti le plus fort[100]. Le second ne tarda pas à[T.I pag.57] reparaître sur la scène, où nous le retrouvons dirigeant la politique du parti des princes et considéré avec raison comme l'âme de leurs conseils.[T.I pag.58]
CHAPITRE IV
Retour de Chavigny à Paris en 1651; il entre dans le ministère formé en avril 1654 et est attaqué par le cardinal de Retz.—Courte durée de ce ministère.—Chavigny entame des négociations avec Mazarin (janvier 1652) par l'intermédiaire de Fabert et de l'abbé Fouquet.—Arrivée des troupes espagnoles à Paris (5 mars 1652).—Fêtes et émeutes.—Prise d'Angers par l'armée royale (7 mars).—Violences du parti des princes dans Paris.—Émeute du 25 mars.—Inquiétude de Mazarin.—L'abbé Fouquet fait afficher des placards contre Condé.—Arrivée de Condé à l'armée (1er avril).—Combat de Bléneau (6 avril).—Condé vient à Paris (11 avril).—Il se rend au parlement (12 avril).—Paroles que lui adresse le président Le Bailleul.—Le procureur général Fouquet attaque le manifeste du prince de Condé (17 avril).—Les princes sont mal accueillis à la chambre des comptes et à la cour des aides (22 et 23 avril).—Dispositions peu favorables de l'Hôtel de Ville.—Arrestation de l'abbé Fouquet (24 avril).—Les campagnes sont désolées par les troupes des deux partis.—Destruction des bureaux d'entrée.—Plaintes du prévôt des marchands adressées au parlement (26 avril).—Les princes forcés de négocier avec la cour (28 avril).—État misérable de Paris.—On engage le peuple à secouer le joug des princes.
Ce fut après le premier exil de Mazarin, en 1651, que Chavigny fut rappelé de Touraine à Paris. Il entra dans le ministère réorganisé sous l'influence du prince de Condé, au mois d'avril 1651, et y fut considéré comme le principal défenseur de ses intérêts dans le conseil[101].[T.I pag.59] Le coadjuteur, qui aurait voulu y faire prédominer le parti du duc d'Orléans, dont il était alors le conseiller intime, attaqua Chavigny dans un pamphlet intitulé: Les Contre-temps du sieur de Chavigny, premier ministre de M. le Prince[102]. «Il fallait, disait Retz, que Chavigny quittât la solitude pour aller porter le flambeau de la division dans la maison royale, pour servir d'un nouveau prétexte et d'une nouvelle cause à la division de la reine et de S.A.R., et pour conférer tous les jours sur ce sujet avec toutes les créatures du cardinal Mazarin. Quel contre-temps à un homme établi de se venir jeter dans la tempête, sur une mer pleine de périls et d'écueils, agitée encore par les vents et par les orages, et dont les mouvements incertains ne pouvaient qu'être évités par un esprit tant soit peu judicieux; d'avoir prétendu de se vouloir rendre maître, dans un temps où il n'y avait personne au monde qui pût pénétrer où elle devait tomber; d'avoir espéré la confiance au moment que l'on ne pouvait judicieusement fixer aucun dessein pour les choses même les plus faciles; d'avoir cru que le cardinal la lui confiait de bonne foi dans un État où ses amis les plus assurés lui étaient suspects; de s'être imaginé de pouvoir perdre Monsieur et tous ses serviteurs par la liaison de la reine et de M. le Prince, qu'un homme sage eût bien connu ne pouvoir être de durée de la manière qu'elle s'était faite! Il ne faut que jeter les yeux sur cette conduite pour la considérer avec pitié.»[T.I pag.60]
Le coadjuteur donne lui-même un démenti à son prétendu mépris pour Chavigny, par l'âpreté avec laquelle il poursuit ce rival redoutable. Il avait raison, cependant, lorsqu'il déclarait que l'alliance de la reine et de Condé ne serait pas longue, et qu'avec elle tomberait le ministère de Chavigny. Il ne dura que quelques mois. Lorsque le prince de Condé s'éloigna de Paris pour aller en Guienne allumer la guerre civile (septembre 1651), Chavigny se retira dans ses terres; mais il n'y resta pas longtemps en repos. Dès le mois de janvier 1652, il fit faire des ouvertures à Mazarin