Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs
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Tout en employant les menaces pour intimider le parlement, Mazarin faisait agir sous main le procureur général, Nicolas Fouquet, qui détachait de la Fronde quelques-uns des principaux membres de la magistrature. Ainsi le président de Novion, qui appartenait à la puissante famille des Potier, se déclara pour la cause royale[59]. Le président Perrot suivit son exemple. Le conseiller Ménardeau, qui s'était signalé dans la première Fronde par sa violence contre Mazarin, se montra un de ses partisans dévoués. Cependant la majorité des membres du parlement et surtout les jeunes conseillers des enquêtes étaient toujours hostiles au cardinal. Il n'en était pas de même de la bourgeoisie.[T.I pag.29]
L'abbé Fouquet, de concert avec le prévôt des marchands, qui était le véritable chef de la bourgeoisie parisienne, parvint à gagner à la cause royale les principaux conseillers de l'Hôtel de Ville. Ce serait, du reste, une erreur de croire que cette assemblée ait partagé pendant la Fronde les passions du parlement. Tandis que les magistrats, dirigés surtout par l'intérêt personnel, proscrivaient le cardinal, les rentiers, qui formaient une classe nombreuse et influente dans Paris, se voyaient menacés dans leur fortune et tentaient de résister à l'entraînement des factions. Les Registres de l'Hôtel de Ville de Paris pendant la Fronde[60] attestent que les bourgeois qui composaient le conseil de la cité n'étaient pas disposés à courir les risques d'une guerre civile pour satisfaire l'ambition de quelques intrigants. Il avait fallu, pour les entraîner dans la première lutte (1648-1649), avoir recours à la terreur. Lorsqu'en 1649 le président de Novion se rendit à l'Hôtel de Ville pour y faire exécuter les ordres du Parlement, «il déclara à la compagnie qu'il fallait aller droit en besogne dans les affaires présentes et que le premier qui broncherait serait jeté par les fenêtres[61].» La bonne bourgeoisie, forcée de courber la tête sous le joug, n'avait pas renoncé à ces sentiments de modération et n'attendait qu'une occasion pour les manifester. L'abbé Fouquet, qui connaissait bien ses dispositions, insistait vivement auprès de[T.I pag.30] Mazarin pour que l'on ménageât cette classe honnête et pacifique et que l'on en fît un auxiliaire du pouvoir.
Le payement régulier des rentes (chose fort rare à cette époque) devait contribuer plus qu'aucune autre mesure à gagner les Parisiens. Aussi l'abbé Fouquet s'occupa-t-il tout spécialement de cette affaire: «Pour les rentes, lui écrivait Mazarin[62], Sa Majesté donne plus de créance à ce que vous mandez de la part de madame de Chevreuse et de M. le coadjuteur qu'à toutes les autres lettres qui sont venues de Paris, lesquelles, quoique de plus fraîche date, ne représentent pas l'émotion des esprits aussi grande ni les affaires en si mauvais état que vous faites. Le roi a donc résolu de rétablir les choses comme elles étaient, et l'on envoie l'arrêt sur la minute que M. d'Aligre en a dressée. J'ai emporté la chose et je crois que vous ne manquerez pas de la bien faire valoir, afin que j'en acquière quelque mérite envers ceux qui y sont intéressés.» Et ailleurs: «Par les nouvelles que nous avons de Paris, il parait que l'on a satisfaction de ce qui s'est fait touchant les rentes, et effectivement je n'omets aucuns soins pour empêcher que le payement n'en soit discontinué, dont il ne sera pas mauvais que l'on informe le public, comme vous avez déjà fait.»
Le peuple était plus difficile à gagner que la bourgeoisie. L'homme qui en disposait réellement était Paul de Gondi. Il avait su, pendant la première Fronde, tour à tour soulever et contenir la populace, sur laquelle les[T.I pag.31] curés, qui lui étaient dévoués, exerçaient la plus grande influence. Depuis qu'il s'était rallié à la cour, il l'avait calmée, et en même temps avait arrêté la plume des pamphlétaires qu'il avait si longtemps employés à verser l'odieux et le ridicule sur Mazarin. Le coadjuteur attendait la récompense des services qu'il venait de rendre à la cour et se tenait dans une prudente réserve. Le retour de Mazarin l'avait irrité; mais il n'osait éclater, tant qu'il n'aurait pas le chapeau de cardinal, qu'on lui avait promis. Mazarin cherchait à le retenir dans son parti, comme l'attestent ses lettres; mais, en même temps, il lui demandait de donner des preuves de son dévouement pour la cause royale: «Il faut, disait-il dans une lettre à l'abbé Fouquet, que M. le coadjuteur prenne des résolutions pour agir, et il me semble qu'ayant le roi de son côté, étant assuré que j'entreprendrai tout hardiment pour l'appuyer, avec quantité d'amis que lui et M. le surintendant (duc de la Vieuville) ont dans Paris, et agissant de concert avec le prévôt des marchands et M. le maréchal de l'Hôpital, qui est fort zélé pour le service du roi, il se peut mettre en état de rompre aisément toutes les mesures des ennemis.»
En même temps, le cardinal lui envoyait de l'argent par l'abbé Fouquet; mais il voulait qu'il le distribuât dans les couvents et en œuvres charitables, afin de gagner le peuple. «Je vous ai déjà prié, écrivait-il à l'abbé Fouquet, d'avancer six mille livres pour les lits et autres dépenses de cette nature qu'il faudrait faire à Paris et dont vous tâcherez d'obliger M. le coadjuteur à prendre la direction. Je vous adresserai au premier jour une[T.I pag.32] lettre de change payable à vue, qui fera fonds pour employer encore tant à distribuer dans les religions (couvents) que pour les autres dépenses que M. le coadjuteur jugera à propos de faire selon les conjectures, si on se remet à lui de faire parler par les voies qu'il jugera les meilleures au curé de Saint-Paul et aux autres personnes qu'il croira capables de servir le roi.»
L'abbé Fouquet pressa, en effet, le cardinal de Retz de se déclarer, et il le fit avec une vivacité dont le cardinal se plaint dans ses mémoires. Il n'y peint pas l'abbé sous des couleurs favorables[63]: «Il était dans ce temps-là fort jeune; mais il avait un certain air d'emporté et de fou qui ne me revenait pas. Je le vis deux ou trois fois sur la brune, chez Lefèvre de la Barre, qui était fils du prévôt des marchands et son ami, sous prétexte de conférer avec lui pour rompre les cabales que M. le Prince faisait pour se rendre maître du peuple. Notre commerce ne dura pas longtemps, et parce que, de mon côté, j'en tirai d'abord les éclaircissements qui m'étaient nécessaires, et parce que lui, du sien, se lassa bientôt de conversations qui n'allaient à rien. Il voulait, dès le premier moment, que je fusse Mazarin sans réserve comme lui; il ne concevait pas qu'il fût à propos de garder des mesures.»
Les lenteurs calculées du cardinal de Retz inspiraient de l'inquiétude à Mazarin. Il recevait des avis contre Paul de Gondi, et, au milieu même de ses protestations d'amitié, on sent percer une certaine défiance. «Pour[T.I pag.33] M. le coadjuteur, écrivait-il encore à l'abbé Fouquet, je suis incapable de croire qu'il manque jamais à la moindre chose de ce qu'il a promis; et, de plus, quand ce serait une personne qui se conduirait par le motif de ses intérêts particuliers, je connais fort bien qu'ils ne lui conseilleraient pas le contraire, puisqu'il lui est sans doute bien plus avantageux d'être dans ceux de Leurs Majestés et dans une parfaite amitié avec moi que de consentir à un nouvel accommodement avec M. le Prince, lequel personne ne croit qu'il durât plus que les autres. C'est pourquoi, quelque chose que l'on me puisse mander au contraire, elle ne fera point d'impression, et je jugerai toujours favorablement de ses sentiments.»
Malgré ses déclarations, Mazarin était d'autant plus porté à la défiance envers le coadjuteur que lui-même montrait peu de sincérité dans sa conduite à son égard. Il avait espéré paralyser ses dispositions hostiles par la promesse du chapeau de cardinal, et, en même temps, il agissait à Rome pour empêcher le pape de le nommer[64]; mais les combinaisons de ce politique furent trompées. Le pape Innocent X, qui n'aimait pas Mazarin, saisit la première occasion de nommer Paul de Gondi cardinal. Ce fut le 19 février 1652 qu'eut lieu la proclamation, et dix jours après, le coadjuteur en recevait la nouvelle. Il se prétendit affranchi de toute reconnaissance envers le ministre qui, disait-il, avait chargé l'ambassadeur de France à Rome de s'opposer au dernier moment à sa nomination, et, au lieu de seconder franchement la cause[T.I pag.34] royale, il tenta de constituer un tiers parti, qui repoussait également Mazarin et le prince de Condé. Le duc d'Orléans, Gaston, devait en être le chef nominal[65].