Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs
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Autour du premier président se groupaient d'autres magistrats éminents par l'esprit et par le caractère: le président Henri de Mesmes était un des principaux. Il appartenait à une famille éminente, et son frère, Claude de Mesmes, comte d'Avaux, avait été un des négociateurs de la paix de Westphalie. Le cardinal de Retz, qui ne pardonnait pas au président de Mesmes de s'être opposé à ce qu'il siégeât et eût voix délibérative dans le parlement, l'accuse de lâcheté devant le peuple, et de servilité à l'égard de la cour; il le montre tremblant comme la feuille en présence de l'émeute qui gronde aux portes du parlement. Mais dans des récits plus impartiaux et[T.I pag.11] plus véridiques, le président de Mesmes nous apparaît sous un tout autre aspect. A la journée des barricades, lorsque le peuple entoure, avec des cris de fureur, le parlement, qui ne ramène pas Broussel, et veut le forcer à rentrer dans le Palais-Royal, Henri de Mesmes ne s'enfuit pas comme d'autres membres du parlement; il reste auprès de Mathieu Molé[30], il le conseille, le dirige même au moment du danger. Inaccessible aux séductions du pouvoir[31], dont il blâme sévèrement les excès[32], honnête et ferme, il marche, comme le premier président, dans un sentier étroit et difficile, entre les Mazarins et les Frondeurs. Il s'élève avec une indignation éloquente contre le coadjuteur Paul de Gondi et les généraux de la Fronde, qui repoussent le héraut d'armes envoyé par le roi, et reçoivent un prétendu ambassadeur de l'archiduc Léopold[33]. Il ne tremble pas comme la feuille en présence de la populace qui pousse des cris de mort; au contraire, lorsque le coadjuteur et le duc de Beaufort refusent d'aller apaiser ce peuple qu'ils ont soulevé et dont peut-être ils ne sont plus maîtres, le président de Mesmes veut affronter le danger et présenter sa poitrine aux coups des séditieux[34]. Prudence, habileté, courage civil, amour du devoir et du bien public, telles sont les qualités par lesquelles brille ce magistrat.
Le parquet, ou, comme on disait alors, les gens du roi, se distinguaient aussi par le talent et les vertus. Le[T.I pag.12] parquet comprenait, outre le procureur général et son substitut, deux avocats généraux. Il suffira de citer les noms d'Omer Talon et de Jérôme Bignon, qui remplissaient alors les fonctions d'avocats généraux, pour rappeler l'éloquence parlementaire dans tout son éclat, aussi bien que l'intégrité et la science de l'ancienne magistrature. Ces avocats généraux savaient, comme Mathieu Molé, défendre les privilèges du parlement, et cependant ménager l'autorité royale, tout en lui faisant entendre d'utiles conseils. Nicolas Fouquet, que ses fonctions de procureur général plaçaient au-dessus des avocats généraux, était loin d'avoir dans le parlement la même autorité que les Talon et les Bignon. Plus homme d'affaires que de robe, d'un génie souple et fécond en expédients, sans principes bien arrêtés, il convenait mieux à Mazarin que d'anciens et austères magistrats. Mais il lui fallut du temps, de la souplesse et des manœuvres habiles pour se faire des partisans dans ce grand corps, dont tous les membres n'étaient pas des Molé et des Talon. Il y avait bien des misères et des bassesses cachées sous la robe parlementaire: nous en aurons plus d'une fois la preuve. Ceux mêmes qui étaient sincères dans leur opposition à la cour manquaient souvent de lumières et d'intelligence politique.
Le type des magistrats populaires, qu'on appelait alors les pères de la patrie, était Pierre Broussel, homme honnête et simple, qui, dans la bonté de son cœur, trouvait des mouvements d'éloquence sympathiques au peuple; mais il n'avait aucune expérience des affaires politiques, et était persuadé que l'intérêt de la France[T.I pag.13] exigeait des déclamations violentes et continuelles contre la cour et les traitants. Dans les premiers temps de la Fronde, Broussel fut le héros du peuple. Ce fut au cri de vive Broussel! que s'élevèrent les barricades, et son retour dans Paris fut un triomphe; mais le vide de ce tribun ne tarda pas à paraître. Retz, qui le faisait agir, s'en moquait. Peu à peu les factions s'en firent un jouet. Les partisans de la paix lui soufflaient leurs conseils pacifiques par son neveu Boucherat[35]. Le bonhomme, comme l'appellent les mémoires du temps, en vint à ne plus comprendre ses avis[36], et à voter contre la Fronde en croyant la soutenir. Bien d'autres orateurs parlementaires donnaient le triste spectacle de déclamations où la violence le disputait au ridicule.
Lorsque l'on veut se faire une idée de l'infatuation et de l'aveuglement du parlement à cette époque, il faut lire les pamphlets qui furent inspirés par les passions de ce corps. Je me bornerai à citer quelques extraits de l'Histoire du temps[37], un des principaux ouvrages composés en l'honneur du parlement. L'auteur débute ainsi: «La France, opprimée par la violence du ministère, rendait les derniers soupirs lorsque les compagnies souveraines[38], animées par le seul intérêt public, firent un dernier effort pour reprendre l'autorité légitime que la[T.I pag.14] même violence leur avait fait perdre depuis quelques années.» Après une énumération des griefs de la nation contre le cardinal Mazarin, l'auteur rappelle les premiers troubles de la Fronde et le commencement de l'opposition du parlement. Cette assemblée est, à ses yeux, un véritable sénat romain, qui repousse avec indignation les faveurs de la royauté, lorsqu'elle tente de séparer le parlement des autres cours souveraines, en l'exemptant de l'impôt que devaient payer les magistrats pour avoir la propriété de leurs charges. «Messieurs de la Grand'Chambre dirent qu'ils ne croyaient pas qu'il y eût personne dans la compagnie qui eût été si lâche de s'assembler tant de fois pour son intérêt particulier, et que c'était le mal général du royaume qui les affligeait sensiblement et qui les avait portés à faire aujourd'hui un dernier effort, et partant, si leur dessein demeurait imparfait, ils n'avaient qu'à abandonner leurs personnes en proie à leurs ennemis, aussi bien que leurs fortunes particulières; que l'intérêt de leurs charges n'était point à présent considérable, et que si, dans cette occasion, ils en désiraient maintenir l'autorité, ce n'était pas pour leur utilité particulière, mais plutôt pour l'avantage public[39].»
Après la Grand'Chambre, l'auteur nous montre les Enquêtes «opinant avec autant de confiance et de liberté que faisaient autrefois les sénateurs dans l'ancienne Rome. Les désordres de l'État, les voleries, la corruption et l'anéantissement des lois les plus saintes[T.I pag.15] et les plus inviolables, tout cela fut magnifiquement expliqué[40].» Broussel est le héros de cet écrivain, comme il était l'idole du peuple. Lorsqu'il arrive à l'arrestation de ce conseiller dans la journée du 26 août 1648, l'historien s'exalte et apostrophe emphatiquement le lecteur: «C'est ici, cher lecteur, que tu dois suspendre et arrêter ton esprit; c'est sur ce héros que tu dois jeter les yeux. Il est beaucoup plus illustre que ceux de l'antiquité, quand même tu prendrais pour vérités les fables qu'on a inventées pour les rendre plus célèbres.» On ne s'étonne plus, après cette apothéose de Broussel, de voir le Parlement transformé en Hercule, qui a terrassé «les monstres qui se repaissent du sang des peuples et de leur substance.»
Entre les parlements, trop souvent, égarés par la passion, et l'habile politique de Mazarin, les esprits fins et pénétrants comme Fouquet ne pouvaient pas hésiter. Mazarin, depuis son entrée au ministère, avait suivi les traces de Richelieu et continué ses succès. En quelques années, il avait obtenu de brillants résultats: la maison d'Autriche avait été vaincue à Rocroi, Fribourg, Nordlingen et Lens. Turenne menaçait l'Empereur jusque dans ses États héréditaires. Le Roussillon, l'Artois et l'Alsace conquis, le Portugal délivré, la Catalogne