Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs
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La réalisation de ces vastes desseins ne pouvait s'accomplir sans des sacrifices pécuniaires qui excitaient les murmures de la nation. Mazarin, qui connaissait peu les détails de l'administration intérieure, avait confié le maniement des finances à un Italien, Particelli Emery, ministre fécond en inventions fiscales, entouré de partisans avides, qui pressuraient le peuple et étalaient un faste insolent. Quiconque a parcouru les mémoires de la Fronde connaît les Montauron, les Bordier, les La Raillière, les Bretonvilliers et tant d'autres traitants[43], qui étaient les grands spéculateurs de cette[T.I pag.17] époque. Ils prenaient à ferme les impôts et en détournaient une partie considérable à leur profit. On conçoit que des magistrats honnêtes se soient indignés de ces vols et aient tenté de les réprimer; mais, dans leur zèle aveugle, ils allaient jusqu'à priver l'État des ressources sans lesquelles il ne pouvait continuer la lutte glorieuse qu'il soutenait contre la maison d'Autriche, et assurer le succès des négociations de Munster. C'est surtout à la Fronde qu'il faut attribuer le résultat incomplet du congrès de Westphalie et la continuation de la guerre contre l'Espagne.
Rien ne nous porte à croire que Nicolas Fouquet ait hésité entre Mazarin et le parlement, et qu'il se soit déterminé à s'attacher au cardinal par des considérations générales d'intérêt public. Il est plus probable que cet homme d'un esprit vif et facile, mais avide de pouvoir et de richesses, peu délicat d'ailleurs sur les moyens, n'éprouva aucun scrupule en se donnant à un ministre qui tenait surtout à trouver des agents dociles et féconds en ressources. Sans nous faire illusion sur les causes qui déterminèrent le procureur général à s'attacher à Mazarin, nous ne pouvons qu'applaudir à la fidélité avec laquelle il le servit dans la mauvaise comme dans la bonne fortune.[T.I pag.18]
CHAPITRE II
1651-1652
Mazarin sort de France (mars 1651); son découragement.—Services que lui rendirent en cette circonstance Nicolas et Basile Fouquet.—Caractère de ce dernier. Il brave les dangers pour se rendre près du cardinal (avril-mai 1651).—Le procureur général, Nicolas Fouquet, s'oppose à la saisie des meubles de Mazarin.—Efforts des Fouquet pour rompre la coalition des deux Frondes.—Ils y réussissent (juin 1651).—Tentatives pour gagner à la cause de Mazarin quelques membres du parlement.—Négociations de l'abbé Fouquet avec le duc de Bouillon et Turenne son frère, qui se rallient à la cause royale (décembre 1651).—Mazarin rentre en France et rejoint la cour (janvier 1652).—Turenne prend le commandement de son armée (février 1652).—Dispositions de la bourgeoisie différentes de celles du parlement.—Influence des rentiers dans Paris.—Rôle du coadjuteur Paul de Gondi; il est nommé cardinal (février 1652).—Efforts inutiles de l'abbé Fouquet pour gagner Gaston d'Orléans.—Négociations avec Chavigny.—Importance du rôle de ce dernier pendant la Fronde.
Au commencement de l'année 1651, Mazarin semblait perdu. Le parti de l'ancienne Fronde s'était uni avec la faction des princes et avait contraint le cardinal à s'exiler. Mazarin fut loin de montrer, dans ces circonstances, la décision et l'habileté dont quelques écrivains modernes lui font honneur. Ils supposent que le cardinal, contraint de quitter le pouvoir et de s'éloigner de la cour, alla délivrer le prince de Condé, alors[T.I pag.19] enfermé au Havre, pour le lancer au milieu des factions comme un brandon de discorde, et qu'après cet acte audacieux il sortit tranquillement de France et laissa les deux Frondes se détruire mutuellement, bien sûr de profiter de leurs fautes et d'asseoir solidement son autorité sur les ruines des factions. Les lettres de Mazarin sont loin de nous le montrer aussi ferme dans sa politique et aussi confiant dans l'avenir. Il semble, au contraire, avoir perdu courage; il se plaint de ses amis et de ses serviteurs les plus dévoués: de Le Tellier, de Servien, de de Lyonne. Il doute même de la reine, et se croit obligé d'adresser à Brienne une longue apologie de son ministère[44].
Au moment où Mazarin semblait s'abandonner lui-même, le procureur général et son frère l'abbé Fouquet ne cessaient de soutenir son parti, le premier avec une prudente habileté, le second avec une ardeur et une décision qui contribuèrent puissamment à relever le courage du cardinal.
Basile Fouquet, que nous voyons paraître ici comme un des principaux agents de Mazarin, avait été destiné à l'état ecclésiastique; mais il ne fut jamais prêtre, et le titre d'abbé, qui est resté attachée à son nom, indique simplement qu'il avait obtenu des bénéfices d'Église, dont il touchait le revenu, sans remplir aucune fonction sacerdotale. Activité, souplesse d'esprit, fécondité de ressources, intrépidité dans la lutte, zèle et ardeur[T.I pag.20] poussés jusqu'à la témérité, telles furent les qualités que déploya d'abord l'abbé Fouquet. Après la victoire, ses vices apparurent et le rendirent odieux; ambitieux, avide, insolent, s'abandonnant aux plaisirs avec une scandaleuse effronterie, il provoqua la haine publique et contribua à la chute de son frère. Mais nous ne sommes encore qu'à l'époque où il servit Mazarin avec un zèle ardent et s'en fit un protecteur qui, jusqu'à sa mort, couvrit les vices de l'abbé de sa toute-puissante amitié.
Mazarin avait quitté la France, en mars 1651. Dès le mois d'avril, l'abbé Fouquet se rendait près de lui, chargé des promesses et des conseils de ses amis; il traversait, pour parvenir jusqu'au cardinal, les postes des frondeurs et bravait tous les périls. «J'ai su, lui écrivait Mazarin[45], le danger que vous aviez couru. Je serai toujours ravi de vous voir; mais, au nom de Dieu, ne vous exposez plus à de semblables hasards. Vous eûtes grand tort du vous séparer de la troupe; il n'importait pas d'arriver deux jours plus tôt ou plus tard, pourvu que vous le fissiez en sûreté.» Dans cette même lettre, le cardinal exprimait sa reconnaissance pour Nicolas Fouquet, qui, en sa qualité de procureur général, avait fait lever l'arrêt de saisie de ses meubles: «Je remercie de tout mon cœur le procureur général, touchant la main-levée de la saisie. Je n'en serai jamais ingrat. Je le prie de continuer; car je n'ai qui que ce soit qui me donne aucun secours, et, faute de cela, l'innocence[T.I pag.21] court grand risque d'être opprimée. Si le procureur général croyait qu'il fallût faire quelque présent à quelqu'un qui soit capable de faire quelque chose à mon avantage, j'en suis d'accord, et vous en pourrez parler à de Lyonne[46], qui donnera là-dessus des ordres.»
L'abbé Fouquet avait trouvé le cardinal découragé; Mazarin critiquait avec amertume tout ce que l'on avait fait depuis son départ et surtout l'échange des gouvernements qui assurait à Condé de si grands avantages. En effet, ce prince venait d'obtenir pour lui le gouvernement de Guienne, qui le mettait en relation avec l'Espagne, et pour son frère, le prince de Conti, la Provence, qui était en communication par terre et par mer avec la Savoie, la Sardaigne, Naples et le duché de Milan[47]. On avait laissé à Condé, en Bourgogne et en Champagne, des places fortes d'une grande importance. Ses partisans étaient pourvus de gouvernements dans le centre du royaume: Damville[48] avait le Limousin; Montausier, l'Angoumois et la Saintonge; le duc de Rohan, l'Anjou; Henri de Gramont, comte de Toulongeon, le Béarn[49], etc. Ainsi, le prince de Condé devenait, par lui ou par ses amis, maître d'une grande partie du royaume. Chavigny, un des plus dangereux adversaires de Mazarin, rentrait au ministère. En un[T.I pag.22]