Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet - Divers Auteurs страница 11
Je n'aurais pas hésité à suivre ce parti, si Nicolas Fouquet n'appartenait pas à l'histoire. On ne peut connaître et apprécier la vie publique du surintendant qu'en fouillant dans sa vie privée et en y cherchant les causes secrètes de ses dilapidations. L'histoire n'instruit pas seulement en retraçant des vertus, mais en montrant les conséquences des fautes et des vices. Raconter la vie d'un homme que de rares talents, une conduite habile, le dévouement à la cause royale, avaient élevé aux plus hautes dignités, puis le montrer enivré par la grandeur et la passion, oubliant ce qu'il doit à la France et à lui-même, et précipité de vice en vice et d'abîme en abîme jusqu'à ce que la main de la justice s'appesantisse sur lui et le jette dans un cachot, où il expiera pendant dix-neuf ans ses fautes et ses crimes, n'est-ce pas là un des plus utiles enseignements de l'histoire? D'ailleurs, en insistant sur la partie réellement importante de cette correspondance, il sera facile d'éviter certains détails qui blesseraient la morale et n'auraient que peu d'intérêt pour l'étude des caractères et des événements historiques.
Relativement au procès de Fouquet, on a aussi des documents d'une authenticité incontestable. Ce procès a été retracé dans tous ses détails par le greffier de la Chambre de justice, Foucault, dont le Journal inédit fait partie des manuscrits de la Bibliothèque impériale; c'est un simple procès-verbal, mais très-complet. Le Journal d'Olivier d'Ormesson, que j'ai publié dans la collection des Documents inédite relatifs à l'histoire de France, a un autre caractère. Il peint la physionomie des séances plutôt qu'il ne raconte les incidents du procès. Olivier d'Ormesson, un des juges de Fouquet et un des magistrats les plus intègres du dix-septième siècle, a une grande autorité lorsqu'il dépose devant la postérité. Madame de Sévigné a puisé dans ses entretiens les détails qu'elle a animés et colorés de son style si vif et si brillant. Cependant il n'est pas inutile, en entendant Olivier d'Ormesson, qui est l'organe du parti de la magistrature, de comparer à son témoignage celui de Colbert. Ce ministre poursuivait Fouquet avec une passion qui a nui à sa cause; mais il avait pour lui la justice. J'ai cité quelques passages d'un Mémoire adressé au roi par Colbert, où le contrôleur général blâme le premier président, Guillaume de Lamoignon. J'ai rapproché ces autorités opposées, et, tout en signalant les dilapidations du surintendant, j'ai cherché à montrer comment l'opinion publique, touchée de ses malheurs et émue par les plaintes de la Fontaine et de Pellisson, s'était déclarée pour le ministre déchu et persécuté.
Ces Mémoires se divisent naturellement en quatre parties, comme la vie même de Nicolas Fouquet. Jusqu'au mois de janvier 1653, il fut, avec son frère, l'auxiliaire le plus actif de Mazarin. Après la Fronde, les deux frères eurent part aux récompenses: Nicolas Fouquet devint surintendant des finances avec Abel Servien. L'abbé son frère eut la direction de la police: son rôle fut alors très-important; mais son audace, son insolence et le scandale de ses mœurs, finirent par le compromettre. De son côté, le surintendant commença à abuser de son crédit et à prodiguer en plaisirs et en fêtes l'argent de l'État. Cependant la présence de son collègue Servien le contint jusqu'en 1659. Mais, après la mort de Servien (17 février), le surintendant s'abandonna sans frein à ses passions. A cette époque, il semble atteint de démence, vere lymphatus, comme dit un contemporain[7]. Bâtiments somptueux, fortifications de Belle-Île, traités scandaleux avec les fermiers de l'impôt, folles prodigalités pour les filles de la reine, tentatives pour succéder à Mazarin dans la puissance suprême et tenir le roi dans sa dépendance, voilà le spectacle que présente l'administration de Fouquet, parvenu au comble de la puissance et entraîné par des passions effrénées. La période de 1659 à 1661 marque à la fois l'apogée de sa grandeur et le commencement de sa ruine. Arrêté le 5 septembre 1661, il est traîné de prison en prison et enfin traduit devant un tribunal composé en partie de ses ennemis. Pendant trois ans, son sort est en suspens et sa vie menacée; c'est alors que, par une compassion naturelle pour le malheur, l'opinion lui redevient favorable et applaudit à l'arrêt qui le sauve du dernier supplice. Prisonnier à Pignerol, Fouquet disparaît de la scène et expie dans une longue et obscure détention les erreurs et les fautes de sa vie publique et privée. Ainsi, au début, activité, énergie, habileté, dévouement à la cause royale; après la Fronde, en 1653, récompense de ses services et enivrement du succès; de 1659 à 1661, prodigalités insensées et ambition criminelle; enfin, de 1661 à 1680, expiation: tel est le résumé de la vie de Nicolas Fouquet; tel est aussi le plan de ces Mémoires.
[T.I pag.1]
MÉMOIRES
SUR LA VIE PUBLIQUE ET PRIVÉE
DE FOUQUET
SURINTENDANT DES FINANCES
ET SUR
SON FRÈRE L'ABBÉ FOUQUET
CHAPITRE PREMIER
1615-1650
Famille de Nicolas Fouquet.—Il devient maître des requêtes (1635).—Il est intendant dans l'armée du nord de la France et ensuite dans la généralité de Grenoble.—Sa disgrâce en 1644.—Il est de nouveau nommé intendant en 1647.—Son rôle pendant la première Fronde en 1648 et 1649.—Il achète la charge de procureur général au parlement de Paris (1650), et en prend possession au mois de novembre de là même année.—Puissance du parlement de Paris à cette époque.—Caractère du premier président Mathieu Molé et d'autres magistrats du parlement.—Rôle difficile de Nicolas Fouquet.—Défauts du parlement considéré comme corps politique.—Contraste avec la conduite habile de Mazarin.—Nicolas Fouquet s'attache à ce dernier et lui reste fidèle pendant toute la Fronde.
Nicolas Fouquet naquit en 1615; il était le troisième fils de François Fouquet, conseiller du roi en ses conseils, et de Marie Maupeou. Les Fouquet, dont le nom[T.I pag.2] s'écrivait alors Foucquet[8], étaient originaires de Bretagne. C'était une famille de négociants nantais. Le commerce des îles lointaines, déjà en pleine vigueur au seizième siècle, avait dû développer chez les Fouquet un génie hardi, aventureux, fécond en ressources. Il semble que la ruse, la souplesse, l'esprit ambitieux et parfois téméraire que déployèrent le surintendant et son frère, l'abbé Fouquet, étaient une tradition de famille. Leur père, François Fouquet, après avoir été conseiller au parlement de Rennes, acheta une charge au parlement de Paris, et fut successivement conseiller, maître des requêtes et enfin conseiller d'État. Il remplit plusieurs fois d'importantes fonctions et fut pendant quelque temps ambassadeur en Suisse[9]. On a prétendu qu'il fut un des juges du maréchal de Marillac, et qu'il s'honora par l'indépendance et la fermeté dont il fit preuve dans ce procès[10]. Cette opinion