Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs
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CHAPITRE III
Rôle de Chavigny pendant la Fronde: son ambition; il est emprisonné, puis exilé en 1618.—Intrigues de Chavigny et de Claude de Saint-Simon pour renverser Mazarin (1649).—Erreur du duc de Saint-Simon, auteur des Mémoires, relativement aux relations de son père avec Chavigny.—Claude de Saint-Simon cherche à s'appuyer sur le prince de Condé pour enlever le pouvoir à Mazarin.—Mémoire rédigé par Chavigny dans ce but.—Mazarin parvient à déjouer les intrigues de ses ennemis.—Arrestation et emprisonnement du prince de Condé (1650).—Chavigny et Saint-Simon s'éloignent de Paris.
Léon Le Bouthillier, comte de Chavigny, avait été un des principaux secrétaires d'État sous Richelieu[69]. Le cardinal avait pour lui une bonté toute paternelle, qui excita plus d'une fois la verve satirique des courtisans. Chavigny avait été un des amis et des protecteurs de Mazarin, à l'époque où ce dernier s'introduisit à la cour de France, et il croyait avoir des droits à sa reconnaissance. Plus tard, il fut désigné par Louis XIII pour être un des membres inamovibles du conseil de régence; mais, lorsque le parlement eut cassé le testament de[T.I pag.37] Louis XIII, Mazarin, qui redoutait l'ambition de Chavigny, le rendit suspect à la reine et le tint dans une position secondaire. Chavigny n'avait alors que trente ans et n'était pas disposé à se contenter de ce rôle subalterne, après avoir eu, sous le ministère de Richelieu, le maniement des affaires les plus importantes et les plus délicates: ambitieux avec les apparences du désintéressement et de la modération philosophique, incapable d'occuper le premier rang, et trop orgueilleux pour se contenter du second, il perdit, en misérables intrigues, d'heureuses et brillantes qualités.
Cependant, comme il joignait la prudence à l'ambition, il dissimula quelque temps ses projets. Il crut le moment arrivé, en 1648; le parlement était menaçant, la bourgeoisie murmurait contre les impôts, le clergé était agité par le coadjuteur et les grands aspiraient à une révolution, dans l'espérance de ressaisir le pouvoir que leur avait enlevé Richelieu. En présence de ces dangers et au premier bruit des mouvements populaires, Chavigny, affectant un zèle ardent pour l'autorité royale, poussa aux mesures extrêmes. Ce fut lui surtout qui conseilla l'arrestation de Broussel et de quelques autres membres du parlement[70]. Ce coup d'État provoqua l'émeute connue sous le nom de Journée des barricades, et la cour, passant de la colère à la peur, recula devant le parlement et rendit les prisonniers. Quant à Chavigny, dont la politique perfide n'avait pas[T.I pag.38] échappé à Mazarin, il fut arrêté dans le château de Vincennes[71], dont il était gouverneur (septembre 1648), puis transféré au Havre et enfin exilé dans une de ses terres loin de Paris.
Ce fut là qu'un autre ambitieux, également mécontent de la cour et impatient de son exil en Guienne, vint l'arracher à la modération philosophique dont Chavigny affectait de masquer ses regrets. Le duc de Saint-Simon, ancien favori de Louis XIII et son premier écuyer[72], avait été relégué, dès 1637, dans son gouvernement de Blaye; il avait vainement tenté de reprendre quelque influence après la mort de Richelieu, et s'était vu forcé de vivre loin de la cour, sans se résigner jamais à cette espèce d'exil. Il attendait du temps et des circonstances une occasion de se venger de Mazarin, et de reparaître avec éclat sur le théâtre de ses anciens succès. Attaché à la maison de Condé et sûr de l'appui de son chef, il se décida à quitter Blaye et à se rendre à la cour, lorsque la paix de Rueil (mars 1649) eut donné une nouvelle importance au prince vainqueur de la Fronde. Saint-Simon espérait devenir son conseiller intime et s'en servir pour renverser Mazarin. Chavigny, dont il connaissait l'expérience et l'habileté, lui devait être un utile auxiliaire pour arriver à ses fins. Avant de partir de Blaye pour se rendre à Paris, Saint-Simon lui écrivit une lettre datée du 31 mars 1649, dans laquelle se[T.I pag.39] trouve le passage suivant[73]. «Je n'ajouterai aucune chose aux fidèles assurances que je vous donnai, étant chez vous, de tous mes services. Je vous les répète de tout mon cœur, vous suppliant d'avoir pour agréable que j'en dise autant à madame votre femme avec tous les respects que je lui ai voués.»
Le ton de cette lettre et de celles que nous citerons plus loin donnent un démenti éclatant au duc de Saint-Simon, l'auteur des Mémoires si connus sur le règne de Louis XIV. Il prétend[74] qu'à la mort de Louis XIII, en 1645, Chavigny enleva, par une fraude indigne, la charge de grand écuyer à son père, Claude de Saint-Simon, pour la donner au comte d'Harcourt. «A cette nouvelle, ajoute-t-il, on peut juger de l'indignation de mon père; la reine lui étoit trop respectable, et Chavigny trop vil; il envoya appeler le comte d'Harcourt.» Si l'on ajoutait foi à ces assertions, il faudrait admettre que le duc Claude de Saint-Simon rompit, dès 1643, toute espèce de relations avec un homme qu'il jugeait trop vil pour assouvir sur lui sa vengeance. Loin de là, nous le verrons, dans des lettres autographes écrites en 1649, traiter Chavigny de frère, et déclarer qu'il est à lui avec passion. Je n'insisterai pas davantage sur cette erreur manifeste du duc de Saint-Simon, l'auteur des Mémoires[75].[T.I pag.40]
Claude de Saint-Simon fit lentement le voyage de Blaye à Paris, voulant laisser aux événements et aux hommes le soin de se dessiner. Il ne visita pas Chavigny, comme il en avait d'abord formé le projet; mais il ne cessait de lui réitérer, dans ses lettres, ses assurances de dévouement. «Vous honorant au point que je fais, lui écrivait-il le 22 juin 1649, je ne veux perdre aucune occasion de vous rendre mes services, et croyez, s'il vous plaît, qu'il y a en moi pour vous une passion bien fidèle, étant fort attaché à tous vos intérêts.» Dans la suite de cette lettre, Claude de Saint-Simon parle à Chavigny de son influence auprès du prince de Condé et lui promet d'en user en sa faveur. «J'ai tout accès auprès de M. le Prince, lui écrit-il, et je suis en possession de lui parler fort librement de tout. Le temps où nous sommes me fera prendre encore plus de liberté, et, s'il y a quelque chose à lui dire qui vous regarde ou autrement, préférez-moi à tout autre. Je vous promets grand secret; je brûle les billets, si vous n'aimez mieux[T.I pag.41] que je les renvoie. Si vous avez agréable de m'envoyer un chiffre pour parler du monde sans nommer, cela me semblerait bien. En un mot, je vous conjure d'ordonner franchement sur le fondement que, si j'avais l'honneur d'être votre propre frère, je ne pourrais pas être à vous plus passionnément que j'y suis.»
Arrivé à la cour, qui résidait alors à Compiègne (août 1649), le duc de Saint-Simon y trouva une ample matière pour exercer l'activité de son esprit. Le prince de Condé, qui venait de réduire Paris révolté, se plaignait de l'ingratitude de la reine et