Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs

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Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet - Divers Auteurs

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était en nos mains.

      «Le cardinal favorisait secrètement le sieur Servien, quoiqu'il affectât souvent de paraître juge équitable entre lui et le sieur d'Avaux. Il faisait tenir des conseils en sa présence pour juger leurs différends, et le sieur Lyonne, qui recevait toutes les dépêches de Munster, ajustait si bien toutes les écritures, que le sieur d'Avaux y avait toujours du désavantage. Le but du cardinal était de le[T.I pag.48] faire revenir, parce qu'il ne voulait pas qu'il eût part au traité de la paix. Mais son irrésolution naturelle, le respect qu'il portait au président de Mesmes[85], et le peu d'apparence qu'il y avait de donner un si rude et si infâme châtiment à un homme à qui on ne pouvait reprocher d'autre faute que de n'être pas d'accord avec le sieur Servien, qui voulait en toute manière être brouillé avec lui, lui faisait toujours différer l'exécution de ce dessein.

      «Cependant personne ne peut ignorer que, pendant le séjour que le sieur d'Avaux a fait à Munster, le cardinal n'ait pu faire la paix également glorieuse et avantageuse à cet État; qu'il ne se soit vanté plusieurs fois publiquement qu'il en était le maître; qu'il ne l'ait promise, tantôt dans un mois, tantôt dans six semaines, et qu'il n'ait dit qu'il voulait que la reine lui fit couper le cou, s'il ne la lui faisait avoir quand elle voudrait. Ce discours seul est capable de le faire passer pour le plus vain et le moins judicieux de tous les hommes; car il ne lui pouvait produire aucun avantage en faisant la paix, et, ne la faisant pas, il le mettait infailliblement dans le décri où nous l'avons vu depuis et le chargeait d'un crime dont il ne peut éviter la punition que pour un temps, et qui lui est sans doute réservée quand il cessera d'être l'instrument de la justice de Dieu contre ceux qu'il veut châtier.»

      Rendre Mazarin seul responsable de la continuation de la guerre, c'était faire retomber sur lui tout l'odieux[T.I pag.49] des calamités auxquelles la France était eu proie, de l'aggravation des impôts et des troubles qui en étaient résultés. Insistant sur ce grief, Chavigny citait des particularités que sa position lui avait fait connaître et qu'il tournait contre Mazarin. Puis il rappelait la conduite du cardinal à l'égard du prince de Condé et son désir de le faire périr dans la guerre de Catalogne: «Le siège de Lerida ayant été levé, le cardinal Mazarin embarqua M. le Prince en Catalogne pour attaquer de nouveau cette place. Ce fut alors que, dans les conversations secrètes qu'il eut avec la reine, il l'obligea de donner les derniers éloges à son adresse, en lui faisant connaître qu'il avait fait tomber M. le Prince dans le piège; que, s'il prenait Lerida, le roi en tirerait beaucoup d'avantages, cette ville, qui donne l'entrée libre dans l'Aragon, lui devant infailliblement demeurer entre les mains, comme tout le reste des autres que l'article des conquêtes lui donnait; s'il la manquait, il y perdrait ou sa réputation, ou plus apparemment la vie qu'une telle disgrâce lui ferait mépriser par désespoir. Ce qui ne serait pas moins utile à l'État, non-seulement que la possession de Lerida, mais que la paix présente même, quelque avantageuse qu'elle pût être, parce que les Espagnols, perdant par la mort de ce prince toutes leurs espérances de voir des brouilleries dans l'État, ne pourraient s'empêcher de nous offrir ensuite les conditions que nous voudrions.»

      De pareilles attaques étaient bien propres à exaspérer le prince de Condé, qui n'était d'ailleurs que trop disposé à s'unir aux ennemis du ministre. Il se rapprocha[T.I pag.50] de Beaufort, du coadjuteur Paul de Condi et de la vieille Fronde pour renverser cet Italien, dont on dévoilait hautement les fautes et les turpitudes, et dont un homme d'État tel que Chavigny signalait l'incapacité. Livré à la raillerie du peuple par des pamphlets chaque jour plus violents, au mépris des hommes sérieux par un ancien ministre élève de Richelieu, à la haine de tous par le cri public, Mazarin semblait perdu. C'est surtout dans une pareille crise qu'il faut admirer la prodigieuse habileté de ce joueur intrépide, qui ne désespéra jamais des parties les plus compromises. Son premier soin fut de rompre l'union de Condé et des Frondeurs. Pour y parvenir, il signa une déclaration par laquelle il s'engageait à prendre l'avis de ce prince dans toutes les affaires importantes[86]. Il écrivit sur ses Carnets[87] les phrases suivantes, qui devaient probablement être développées dans une conversation avec Condé ou avec quelqu'un de ses amis: «Je tiens pour mes meilleurs amis ceux qui le sont de M. le Prince. Je me séparerai des miens s'ils lui déplaisent, et je ne songe qu'à le servir en tout et partout avec une résignation sans exemple, le tout pour l'assurer qu'il n'a serviteur plus cordial, ferme et sûr que moi, et afin qu'ayant tout à souhait, il agisse pour relever l'autorité du roi. Ce qui est fort faisable, s'il s'y veut employer et y travailler de la bonne sorte conjointement avec moi.»

      Tout ce que le prince de Condé réclamait lui fut ac[T.I pag.51]cordé immédiatement: le duc de Longueville eut le Pont-de-l'Arche et le prince de Conti la promesse d'un chapeau de cardinal. Mazarin annonça la résolution d'enfermer ses nièces dans un couvent[88], afin que le prince de Condé n'eût plus à se plaindre des projets de mariage entre Laura Mancini et le duc de Mercœur. Enfin le cardinal, après toutes ces concessions, alla souper avec le prince de Condé, et là il eut à supporter les railleries insultantes des petits-maîtres, qui formaient le cortége ordinaire de Condé[89]. Les courtisans, qui avaient compté sur ce prince pour renverser Mazarin, ne prenaient pas au sérieux cette apparente réconciliation. On le voit par une lettre de Saint-Simon à Chavigny, en date du 17 septembre 1649:

      «L'accommodement s'est fait hier et a été déclaré aujourd'hui par l'entremise de M. le duc d'Orléans; le Pont-de-l'Arche est accordé. M. le Prince en a remercié ce matin la reine et lui a fait de nouvelles protestations de service et d'obéissance, assurant Sa Majesté qu'il n'aurait pas été moins ferme et moins fidèle dans son devoir, quand bien même il n'aurait pas reçu cette grâce de sa bonté. Monsieur ensuite a commandé à M. le Prince de lui donner à souper, et il a fait entendre qu'il y mènerait M. le cardinal, et, à l'heure que je tiens la plume, ils sont à table avec peu d'allégresse. C'est une réconciliation en apparence, dont beaucoup de gens sont présentement en peine, mais je vous puis assurer qu'elle[T.I pag.52] n'est point cordiale du côté du faubourg[90]; Mazarin est entamé, et sa ruine est résolue d'une telle façon, qu'il faudra des miracles pour sa conservation. Ce sera doucement, sans employer aucun moyen violent. Faites votre compte là-dessus; vous êtes fort sur le tapis et très-fort dans le cœur de toute la maison de M. le Prince; je n'oublierai aucune chose pour vous rendre toute sorte de services. Vous devez écrire à M. le Prince, sur cette occasion, une lettre pleine d'affection et d'espérance que ses soins et sa conduite remettront l'État dans le bonheur. J'offre de rendre votre lettre; si vous voulez dire davantage dans la mienne, je puis la faire voir. Ma passion pour votre service est sans réserve; ordonnez franchement. Le raccommodement fera quelques dupes.»

      La dupe dans cette affaire, ce fut le duc de Saint-Simon, tout habile qu'il se piquait d'être. Mazarin, en s'humiliant devant Condé et en achetant si cher son pardon, n'avait qu'un but: semer des défiances entre les deux Frondes, prouver aux princes de la maison de Vendôme, au coadjuteur, à madame de Chevreuse, qu'ils ne pouvaient compter sur Condé; isoler ainsi peu à peu le prince et ensuite frapper cet ennemi désarmé. Il marcha à son but par les voies souterraines, qu'il préférait, mais il y marcha sûrement et résolument. D'ailleurs Condé lui fournissait des armes par ses imprudences. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque le prince, naturellement hautain et ambitieux, était dans toute l'ivresse de sa fortune. Vainqueur à Rocroi, à Fribourg,[T.I pag.53] à Nordlingen et à Lens, il venait encore de triompher de la Fronde parlementaire et de ramener le roi dans Paris. Bien loin de se faire pardonner sa gloire en la couvrant de modération, il affectait pour ses adversaires le plus insolent dédain. Ses airs méprisants, son ton arrogant, lui avaient fait de nombreux ennemis. Les petits-maîtres, qui l'entouraient, les Bouteville, les Chabot, les Jarzé, imitaient et exagéraient sa hauteur dédaigneuse et traitaient avec mépris les gens de robe et de plume qui avaient soutenu la première Fronde. Les parlementaires s'en irritèrent, et les grands eux-mêmes ne supportèrent pas longtemps une pareille arrogance. La vieille haine des maisons de Lorraine et de Condé se réveilla et fut soigneusement fomentée. Comme au temps de la cabale des Importants, madame de Longueville, réconciliée avec son frère le prince de Condé, eut pour ennemis madame de Chevreuse, les princes lorrains

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