Cara. Hector Malot

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Cara - Hector Malot

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jeune que sa soeur de deux ans, il avait vu, lorsqu'il avait été question de marier celle-ci, quelle était la puissance tyrannique de ces idées, qui avaient fait repousser, malgré les supplications de Camille, les prétendants les plus nobles, mais pauvres, pour accepter en fin de compte un baron Valentin, à peine noble mais riche. Combien de fois Camille, qui voulait être duchesse et qui n'admettait qu'avec rage la possibilité d'être simple marquise, avait-elle versé des torrents de larmes. Mais ni larmes ni rage n'avaient touché M. et madame Haupois.

      —Nous ne nous amoindrirons pas dans notre gendre.

      Cette réponse avait toujours été la même en présence d'un mari pauvre.

      S'amoindrir! s'abaisser! pour eux c'était faire faillite moralement.

      Que répondre à son père et à sa mère lui disant: «Ce n'est pas Madeleine que nous repoussons, c'est la fille sans fortune?»

      Toutes les raisons du monde les meilleures et les plus habiles ne feraient pas Madeleine riche du jour au lendemain; et ce qu'il dirait, ce qu'il tenterait en ce moment, tournerait en réalité contre elle.

      Ce qu'il fallait pour le moment, c'était que Madeleine restât près de son père et de sa mère et qu'elle devînt de fait ce qu'elle n'était encore qu'en parole: leur fille.

      Et puis d'ailleurs ce temps d'attente aurait cela de bon qu'il serait pour lui-même un temps d'épreuve. Loin de Madeleine, il sonderait son coeur. Et, s'étant dégagé du sentiment de sympathie et de tendresse qui à cette heure le poussait vers elle, il verrait s'il aimait réellement sa cousine, et surtout s'il l'aimait assez pour l'épouser malgré son père et sa mère.

      La chose était assez grave pour être mûrement pesée et ne point se décider à la légère par un coup de tête ou dans un mouvement de révolte.

      Résolu à partir, il voulut l'annoncer lui-même à Madeleine, et pour cela il choisit un moment où, sa mère étant occupée rue Royale et son père étant à son cercle, il était certain de la trouver seule et de n'être point dérangés dans leur entretien.

      —Je viens t'annoncer mon départ pour demain, dit-il.

      À ce mot, Madeleine ne montra ni surprise ni émotion, mais tirant un morceau de papier d'un carnet, elle le plia en quatre et le tendit à son cousin.

      —Voici la liste des objets que je te prie de me faire expédier, dit-elle.

      —Mais je ne vais point à Rouen, je pars pour Madrid.

      —Madrid!

      Et cette émotion que Léon lui reprochait tout bas de n'avoir point manifestée quelques secondes auparavant fit trembler sa voix et pâlir ses lèvres frémissantes.

      —Tu pars! répéta-t-elle tout bas et machinalement: Ainsi tu pars.

      —Demain.

      —Et tu seras longtemps absent?

      Il hésita un moment avant de répondre.

      —Je ne sais.

      —C'est-à-dire pour être franc que tu ne peux pas prévoir le moment de ton retour, n'est-ce pas? Tu as été si bon, si généreux pour moi, que me voilà tout attristée.

      Puis baissant la voix:

      —Avec qui parlerai-je de lui?

      Et deux larmes coulèrent sur ses joues.

      C'était la pensée de son père qui, assurément, faisait couler les larmes, et cette pensée seule.

      —Et pourquoi n'en parlerais-tu pas avec mon père? demanda Léon après quelques minutes de réflexion; tu sais qu'ils se sont aimés tendrement comme deux frères, et je t'assure qu'avant cette rupture qui a brisé nos relations, mon père avait plaisir à raconter des histoires de son enfance et de sa jeunesse, auxquelles son frère Armand se trouvait mêlé: tu seras agréable à mon père en lui parlant de ce temps.

      —Certes je le ferai.

      —Puisque je te demande d'être agréable à mon père, veux-tu me permettre de te donner un conseil, ma chère petite Madeleine?...

      Il s'arrêta brusquement, car, se laissant entraîner par son émotion il avait été plus loin, beaucoup plus loin qu'il ne voulait aller.

      Mais aussitôt il reprit en souriant:

      —Tiens! voilà que je parle comme lorsque tu n'étais qu'une petite fille et que nous jouiions au mariage.

      Elle détourna la tête et ne répondit pas.

      —Ce que je veux te demander, poursuivit Léon vivement, c'est que tu t'appliques à faire la conquête de mon père et de ma mère. Cela te sera facile, gracieuse, bonne, charmante, fine comme tu l'es.

      —Tu ne me crois donc pas modeste, que tu me parles ainsi en face, dit-elle en s'efforçant de sourire.

      —Je dirai, si tu veux, que tu n'es que charmante, et cela, il faut bien que je l'exprime brutalement, puisque je te demande de faire usage de cette qualité.

      —Adresse-toi à mon désir de t'être agréable à toi-même, c'est assez.

      —Enfin, je veux que tu charmes mon père et ma mère de telle sorte qu'à mon retour tu sois leur fille, leur vraie fille, non-seulement par l'adoption, mais encore par l'affection. Présentement tu sais qu'ils t'aiment et que tu peux compter sur eux. Je te demande de faire en sorte qu'ils t'aiment plus encore. Tu me diras qu'on plaît parce qu'on plaît, sans raison bien souvent; mais on plaît aussi parce qu'on veut plaire. Fais-moi l'amitié, chère petite ... cousine, de leur plaire à tous deux, à l'un comme à l'autre. Ce qui sera le plus sensible à ma mère, ce sera l'intérêt que tu porteras aux affaires de notre maison. Si tu veux bien aller souvent lui tenir compagnie au magasin, si tu l'aides à écrire quelques lettres dans un moment de presse, si tu admires intelligemment quelques belles pièces d'orfèvrerie, elle t'adorera. Quant à mon père, il sera très-heureux que tu l'accompagnes dans sa promenade de tous les jours aux Champs-Élysées, et quand il sera fier de toi pour les regards d'admiration que tu auras provoqués en passant appuyée sur son bras, sa conquête sera faite aussi, et solidement, je t'assure. Ne dis pas que tu ne provoqueras pas l'admiration.

      —Je ne dis rien pour que tu n'insistes pas, mais pour cela seulement.

      —Maintenant il me reste à parler d'un membre de notre famille avec qui tu n'as pas besoin de te mettre en frais, je veux parler de Camille. Il n'est même pas à souhaiter que tu fasses sa conquête.

      —Et pourquoi donc ne veux-tu pas que je sois aimable avec elle?

      —Parce qu'elle voudrait te marier.

      Elle ne put retenir un mouvement de répulsion.

      —Tu ne sais pas comme cette manie matrimoniale a fait de progrès en elle, depuis qu'elle est mariée; elle a toujours à offrir une collection de jeunes gens et de jeunes filles, portant tous, bien entendu, les plus beaux noms de la noblesse française ou étrangère, car elle n'a pas de préjugés patriotiques.

      —Malheureusement

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