LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан страница 193
Il lui saisit de nouveau la tête, et le pénétrant de son regard :
– Sois riche aussi… sois fort… c’est le bonheur que je t’offre… c’est la douceur de vivre… la paix pour ton cerveau de poète… c’est la gloire aussi. Acceptes-tu ?
– Oui… oui… murmura Gérard, ébloui et dominé. Que faut-il faire ?
– Rien.
– Cependant…
– Rien, te dis-je. Tout l’échafaudage de mes projets repose sur toi, mais tu ne comptes pas. Tu n’as pas à jouer de rôle actif. Tu n’es, pour l’instant, qu’un figurant… même pas ! Un pion que je pousse.
– Que ferai-je ?
– Rien… des vers ! Tu vivras à ta guise. Tu auras de l’argent. Tu jouiras de la vie. Je ne m’occuperai même pas de toi. Je te le répète, tu ne joues pas de rôle dans mon aventure.
– Et qui serai-je ?
Sernine tendit le bras et montra la chambre voisine :
– Tu prendras la place de celui-là. Tu es celui-là. Gérard tressaillit de révolte et de dégoût.
– Oh non ! Celui-là est mort… et puis c’est un crime… non, je veux une vie nouvelle, faite pour moi… imaginée pour moi… un nom inconnu…
– Celui-là, te dis-je, s’écria Sernine, irrésistible d’énergie et d’autorité… tu seras celui-là et pas un autre ! Celui-là, parce que son destin est magnifique, parce que son nom est illustre et qu’il te transmet un héritage dix fois séculaire de noblesse et d’orgueil.
– C’est un crime, gémit Baupré, tout défaillant…
– Tu seras celui-là, proféra Sernine avec une violence inouïe… celui-là ! Sinon tu redeviens Baupré, et sur Baupré, j’ai droit de vie ou de mort.
Choisis. Il tira son revolver, l’arma et le braqua sur le jeune homme.
– Choisis ! répéta-t-il.
L’expression de son visage était implacable. Gérard eut peur et s’abattit sur le lit en sanglotant.
– Je veux vivre !
– Tu le veux fermement, irrévocablement ?
– Oui, mille fois oui ! Après la chose affreuse que j’ai tentée, la mort m’épouvante… Tout… tout plutôt que la mort !… Tout !… la souffrance… la faim… la maladie… toutes les tortures, toutes les infamies… le crime même, s’il le faut… mais pas la mort.
Il frissonnait de fièvre et d’angoisse, comme si la grande ennemie rôdait encore autour de lui et qu’il se sentît impuissant à fuir l’étreinte de ses griffes.
Le prince redoubla d’efforts, et d’une voix ardente, le tenant sous lui comme une proie :
– Je ne te demande rien d’impossible, rien de mal… S’il y a quelque chose, j’en suis responsable… Non, pas de crime… un peu de souffrance, tout au plus… un peu de ton sang qui coulera. Mais qu’est-ce que c’est, auprès de l’effroi de mourir ?
– La souffrance m’est indifférente.
– Alors, tout de suite ! clama Sernine. Tout de suite ! Dix secondes de souffrance, et ce sera tout… dix secondes, et la vie de l’autre t’appartiendra…
Il l’avait empoigné à bras-le-corps, et, courbé sur une chaise, il lui tenait la main gauche à plat sur la table, les cinq doigts écartés. Rapidement il sortit de sa poche un couteau, en appuya le tranchant contre le petit doigt, entre la première et la deuxième jointure, et ordonna :
– Frappe ! Frappe toi-même ! Un coup de poing et c’est tout ! Il lui avait pris la main droite et cherchait à l’abattre sur l’autre comme un marteau. Gérard se tordit, convulsé d’horreur. Il comprenait.
– Jamais ! bégaya-t-il, jamais !
– Frappe ! Un seul coup et c’est fait, un seul coup, et tu seras pareil à cet homme, nul ne te reconnaîtra.
– Son nom…
– Frappe d’abord…
– Jamais ! Oh ! Quel supplice… Je vous en prie plus tard…
– Maintenant… je le veux… il le faut…
– Non… non… je ne peux pas…
– Mais frappe donc, imbécile, c’est la fortune, la gloire, l’amour.
Gérard leva le poing, dans un élan…
– L’amour, dit-il… oui… pour cela, oui…
– Tu aimeras et tu seras aimé, proféra Sernine. Ta fiancée t’attend. C’est moi qui l’ai choisie. Elle est plus pure que les plus pures, plus belle que les plus belles. Mais il faut la conquérir. Frappe !
Le bras se raidit pour le mouvement fatal, mais l’instinct fut plus fort.
Une énergie surhumaine convulsa le jeune homme. Brusquement il rompit l’étreinte de Sernine et s’enfuit.
Il courut comme un fou vers l’autre pièce. Un hurlement de terreur lui échappa, à la vue de l’abominable spectacle, et il revint tomber auprès de la table, à genoux devant Sernine.
– Frappe ! dit celui-ci en étalant de nouveau les cinq doigts et en disposant la lame du couteau.
Ce fut mécanique. D’un geste d’automate, les yeux hagards, la face livide, le jeune homme leva son poing et frappa.
– Ah ! fit-il, dans un gémissement de douleur. Le petit bout de chair avait sauté. Du sang coulait. Pour la troisième fois, il s’était évanoui.
Sernine le regarda quelques secondes et prononça doucement :
– Pauvre gosse !… Va, je te revaudrai ça, et au centuple. Je paie toujours royalement.
Il descendit et retrouva le docteur en bas :
– C’est fini. À ton tour… Monte et fais-lui une incision dans la joue droite, pareille à celle de Pierre Leduc. Il faut que les deux cicatrices soient identiques. Dans une heure, je viens le rechercher.
– Où allez-vous ?
– Prendre l’air. J’ai le cœur qui chavire.
Dehors il respira longuement, puis il alluma une autre cigarette.