LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
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– Le père, par conséquent, de notre Leduc, dit Lupin.
– Oui. Hermann III fut pris en affection par le chancelier qui, à diverses reprises, se servit de lui comme envoyé secret auprès de personnalités étrangères. À la chute de son protecteur, Hermann III quitta Berlin, voyagea et revint se fixer à Dresde. Quand Bismarck mourut, Hermann III était là. Lui-même mourait deux ans plus tard. Voilà les faits publics, connus de tous en Allemagne, voilà l’histoire des trois Hermann, grands-ducs de Deux-Ponts-Veldenz au XIXe siècle.
– Mais le quatrième, Hermann IV, celui qui nous occupe ?
– Nous en parlerons tout à l’heure. Passons maintenant aux faits ignorés.
– Et connus de toi seul, dit Lupin.
– De moi seul, et de quelques autres.
– Comment, de quelques autres ? Le secret n’a donc pas été gardé ?
– Si, si, le secret est bien gardé par ceux qui le détiennent. Soyez sans crainte, ceux-là ont tout intérêt, je vous en réponds, à ne pas le divulguer.
– Alors ! Comment le connais-tu ?
– Par un ancien domestique et secrétaire intime du grand-duc Hermann, dernier du nom. Ce domestique, qui mourut entre mes bras au Cap, me confia d’abord que son maître s’était marié clandestinement et qu’il avait laissé un fils. Puis il me livra le fameux secret.
– Celui-là même que tu dévoilas plus tard à Kesselbach ?
– Oui.
– Parle.
À l’instant même où il disait cette parole, on entendit un bruit de clef dans la serrure.
– 2 –
– Pas un mot, murmura Lupin.
Il s’effaça contre le mur, auprès de la porte. Le battant s’ouvrit. Lupin le referma violemment, bousculant un homme, un geôlier qui poussa un cri.
Lupin le saisit à la gorge.
– Tais-toi, mon vieux. Si tu rouspètes, tu es fichu. Il le coucha par terre.
– Es-tu sage ?… Comprends-tu la situation ? Oui ? Parfait… Où est ton mouchoir ? Donne tes poignets, maintenant… Bien, je suis tranquille. écoute… On t’a envoyé par précaution, n’est-ce pas ? Pour assister le gardien-chef en cas de besoin ?… Excellente mesure, mais un peu tardive. Tu vois, le gardien-chef est mort !… Si tu bouges, si tu appelles, tu y passes également.
Il prit les clefs de l’homme et introduisit l’une d’elles dans la serrure.
– Comme ça, nous sommes tranquilles.
– De votre côté… mais du mien ? observa le vieux Steinweg.
– Pourquoi viendrait-on ?
– Si l’on a entendu le cri qu’il a poussé ?
– Je ne crois pas. Mais en tout cas mes amis t’ont donné les fausses clefs ?
– Oui.
– Alors, bouche la serrure… C’est fait ? Eh bien ! Maintenant nous avons, pour le moins, dix bonnes minutes devant nous. Tu vois, mon cher, comme les choses les plus difficiles en apparence sont simples en réalité. Il suffit d’un peu de sang-froid et de savoir se plier aux circonstances. Allons, ne t’émeus pas, et cause. En allemand, veux-tu ? Il est inutile que ce type-là participe aux secrets d’état que nous agitons. Va, mon vieux, et posément. Nous sommes ici chez nous.
Steinweg reprit :
– Le soir même de la mort de Bismarck, le grand-duc Hermann III et son fidèle domestique – mon ami du Cap – montèrent dans un train qui les conduisit à Munich… à temps pour prendre le rapide de Vienne. De Vienne ils allèrent à Constantinople, puis au Caire, puis à Naples, puis à Tunis, puis en Espagne, puis à Paris, puis à Londres, à Saint-Pétersbourg, à Varsovie… Et dans aucune de ces villes, ils ne s’arrêtaient. Ils sautaient dans un fiacre, faisaient charger leurs deux valises, galopaient à travers les rues, filaient vers une station voisine ou vers l’embarcadère, et reprenaient le train ou le paquebot.
– Bref, suivis, ils cherchaient à dépister, conclut Arsène Lupin.
– Un soir, ils quittèrent la ville de Trêves, vêtus de blouses et de casquettes d’ouvriers, un bâton sur le dos, un paquet au bout du bâton. Ils firent à pied les trente-cinq kilomètres qui les séparaient de Veldenz où se trouve le vieux château de Deux-Ponts, ou plutôt les ruines du vieux château.
– Pas de description.
– Tout le jour, ils restèrent cachés dans une forêt avoisinante. La nuit d’après, ils s’approchèrent des anciens remparts. Là, Hermann ordonna à son domestique de l’attendre, et il escalada le mur à l’endroit d’une brèche nommée la Brèche-au-Loup. Une heure plus tard il revenait. La semaine suivante, après de nouvelles pérégrinations, il retournait chez lui, à Dresde. L’expédition était finie.
– Et le but de cette expédition ?
– Le grand-duc n’en souffla pas un mot à son domestique. Mais celui-ci, par certains détails, par la coïncidence des faits qui se produisirent, put reconstituer la vérité, du moins en partie.
– Vite, Steinweg, le temps presse maintenant, et je suis avide de savoir.
– Quinze jours après l’expédition, le comte de Waldemar, officier de la garde de l’Empereur et l’un de ses amis personnels, se présentait chez le grand-duc accompagné de six hommes. Il resta là toute la journée, enfermé dans le bureau du grand-duc. À plusieurs reprises, on entendit le bruit d’altercations, de violentes disputes. Cette phrase, même, fut perçue par le domestique, qui passait dans le jardin, sous les fenêtres :
« Ces papiers vous ont été remis, Sa Majesté en est sûre. Si vous ne voulez pas me les remettre de votre plein gré… » Le reste de la phrase, le sens de la menace et de toute la scène d’ailleurs, se devinent aisément par la suite : la maison d’Hermann fut visitée de fond en comble.
– Mais c’était illégal.