Pile et face. Lucien Biart
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—Je n'ai plus d'argent, répondit Mademoiselle d'un ton navré.
—Allons donc, deux mille balles? vous en avez envoyé plus de dix à votre frère pour son absinthe? Puis, c'est cossu, chez vous, sans vous offenser; ça sent le pain sur la planche. Voilà des meubles et des tapisseries qui se vendraient cher à Paris, je m'y connais. D'ailleurs, vous pouvez emprunter sur la bicoque, je sais qu'elle est à vous.»
Mademoiselle secoua tristement la tête; depuis plus d'un an, afin de satisfaire aux exigences d'Alexis, elle avait hypothéqué la petite maison qu'elle tenait de son tuteur.
«Vous réfléchirez, reprit Mme de La Taillade, qui se drapa dans son châle et dont les socques résonnèrent sur le parquet; nous ne repartirons que demain soir, avec ou sans l'enfant, à votre choix. Viens, chéri; ne vous dérangez pas; Alexis doit connaître les êtres.»
En ce moment Catherine parut, rouge comme la crête d'un coq et armée d'un balai, bien qu'il ne fût guère l'heure de se servir de cet ustensile; Mademoiselle s'était laissé choir sur un fauteuil, elle se redressa brusquement.
«Catherine!» s'écria-t-elle d'une voix impérieuse.
Il était temps; deux secondes de plus, et le balai, manié avec une énergique maladresse, aurait heurté le dos de Blanchote et aplati le chapeau d'Alexis. M. et Mme de La Taillade se retournèrent au cri poussé par Mademoiselle, et, frappés sans doute de l'attitude de la robuste Normande, jugèrent à propos de sortir à reculons, tout en murmurant autre chose que des patenôtres. Catherine suivit pas à pas les deux époux, balayant le parquet derrière eux avec une vigueur pleine de sentiments contenus.
La visite de M. de La Taillade, inattendue pour Catherine, n'était qu'un événement trop prévu par Mademoiselle, qui, depuis six mois, vivait sous la menace incessante de se voir enlever Gaston. Pour satisfaire aux exigences, sans cesse renouvelées de son frère, elle avait dû vendre peu à peu ses bijoux, hypothéquer sa maison et consacrer une partie de son revenu à solder l'intérêt de cet emprunt. Insensiblement, la misère s'approchait de l'hospitalière demeure autrefois si riante dans sa médiocrité. Encore un pas, et le hideux spectre allait s'asseoir au foyer glacé et mesurer le pain à ses hôtes. Effrayée, Mademoiselle s'était enfin décidée à se confier au docteur Fontaine. Celui-ci se plaignit avec amertume de n'avoir pas été consulté plus tôt. Il écrivit sur l'heure à M. de La Taillade, lui signifiant qu'il ne devait plus compter sur la faiblesse de sa sœur, réduite au strict nécessaire par ses libéralités passées. Bien que sachant à qui il s'adressait, le brave médecin ne put se défendre, au passage, d'invoquer l'humanité et le progrès, ce soleil du monde futur. D'un autre côté, il rassura son amie sur les suites possibles de cette brusque rupture, et lui démontra qu'Alexis, paresseux et incapable de se suffire à lui-même, se garderait bien de s'embarrasser de son fils.
Mademoiselle, les deux mains étendues sur son visage, était retombée sur son fauteuil. Elle releva la tête au bruit de la porte extérieure qui se refermait avec fracas. Avait-elle rêvé? Non, hélas! elle allait perdre Gaston, car ses ressources épuisées ne lui permettaient plus le moindre sacrifice. Elle se repentit de n'avoir pas retenu son frère, de n'avoir pas cherché à gagner le cœur de cette femme devant laquelle il semblait trembler, et fondit soudain en larmes.
«Bonté du ciel, ma chère maîtresse, s'écria Catherine qui venait de
reparaître, faut-il que je vous voie pleurer! Eux, emmener M. Gaston?
Ah! bien oui, ils ne sont pas de force, allez! Qu'elle y vienne donc, la
Parisienne, et je la coiffe de son cabas!
—Ils veulent de l'argent, ma bonne Catherine, et je possède à peine ce qui nous est indispensable pour vivre.
—Ah, les voleurs! mais ça n'est pas du monde, ces gens-là! Attendez, j'ai cinq cents francs, moi, je vais leur acheter M. Gaston…
—Ils en exigent deux mille, ma pauvre Catherine.»
La brave servante demeura interdite. Pour son esprit naïf, deux mille francs représentaient une de ces sommes fabuleuses dont on parle, mais qu'un souverain seul peut réunir.
«Il faut prévenir le maire, s'écria-t-elle enfin.
—Le maire est impuissant, répliqua Mademoiselle, mon frère a le code pour lui.»
Pour le coup, Catherine cessa de comprendre. Le code, quel était ce personnage plus puissant que M. le maire, et assez injuste pour donner raison à l'ex-sergent contre Mademoiselle? Mais non, la douleur égarait sa maîtresse, et le code, si hardi qu'on le supposât, ne pourrait commettre une énormité qui révolterait tous les honnêtes gens. Qui donc, depuis sa naissance, soignait, entretenait, nourrissait Gaston, et qui donc oserait soutenir qu'il n'était pas la propriété de Mademoiselle? Catherine feignit pourtant de se rendre aux explications de sa maîtresse, tout en se proposant d'éveiller au jour le docteur Fontaine. Par malheur, en ce moment même, le docteur se mettait en selle pour se rendre au château de Pontchartrain.
L'heure avançait; il fallut avoir recours à la prière pour obtenir de Catherine qu'elle allât se reposer, et pour lui arracher la promesse formelle qu'elle accueillerait le lendemain M. et Mme de La Taillade autrement qu'avec son balai.
Demeurée seule, Mademoiselle s'établit près du lit de son neveu. L'enfant dormait d'un sommeil paisible; ses boucles blondes inondaient son oreiller; ses mains croisées soutenaient sa tête. Au dehors, le vent continuait à souffler par rafales; la girouette grinçait, et vingt autres girouettes, comme entraînées par l'exemple, pivotaient à leur tour, changeant sans cesse le point de mire de leurs impassibles chasseurs. L'âme pleine de pensées lugubres, Mademoiselle ne relevait le front que lorsqu'un tourbillon accourait à l'improviste, secouait les fenêtres avec rage, enveloppait la maison, essayait de l'ébranler, et fuyait en sifflant comme un malfaiteur qui appelle à son aide des compagnons invisibles. A ces furieux efforts succédait un silence profond; on entendait alors la respiration de Gaston et le tic-tac de la grande horloge qui comptait dans l'ombre les secondes de l'éternité. Parfois un meuble craquait et faisait tressaillir Mademoiselle, qui prêtait machinalement l'oreille. Ses larmes coulaient encore, et sous son front endolori les idées se pressaient amères et confuses. Gaston allait partir, être malheureux, et elle ne pouvait rien. Elle regardait l'enfant d'un œil voilé, aussi brisée, aussi morne, aussi anéantie que si elle l'eût contemplé mort entre les planches d'un cercueil.
La première lueur du jour la surprit encore accoudée sur le lit de son neveu. A force de penser, son cerveau ne lui présentait plus qu'une image infidèle des choses, et sa raison, fatiguée de chercher une solution introuvable, la demandait au monde surnaturel. Elle songeait qu'à la dernière heure Dieu pourrait intervenir; puis, retombant dans la réalité, elle rêvait de se rendre avec Catherine dans la tour de l'ancien manoir, et de creuser la terre pour trouver les trésors que la rumeur publique prétendait y avoir été enfouis. Parfois aussi elle pressait son front entre ses mains comme pour en faire jaillir un moyen de gagner en une semaine, en un jour, en une heure, un peu de cet or devenu nécessaire pour assurer son bonheur. Hélas! Gaston avait comblé tous les vides de ce cœur créé pour être celui d'une épouse, d'une mère, et que l'indifférence des hommes avait meurtri sans le dessécher.
A la vue du premier rayon qui vint s'implanter comme un javelot d'or dans les rideaux de Gaston, Mademoiselle se leva, les membres engourdis. Elle se rapprocha de la fenêtre