Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne. Hugo Grotius
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Réponse à l'objection, que si Dieu étoit la cause de tout, il seroit l'auteur du mal.
VIII. Mais ne semble-t-il pas que, s'il y avoit un Dieu auteur de toutes choses, & infiniment bon, on ne verroit pas dans le monde tant de miséres & tant de désordres? Je répons qu'il y a de deux sortes de maux, le mal moral, c'est-à-dire, le crime, & le mal physique, c'est-à-dire, la misére. A l'égard du premier, il est sûr qu'on ne peut l'atribuer à Dieu sans blesser sa sainteté. Nous avons dit qu'il est l'auteur de toutes choses, mais ce n'est que de celles qui subsistent réellement: & rien n'empêche que les choses qui subsistent réellement, n'en produisent d'autres qui ne sont que de purs accidens & de pures maniéres d'être, tel qu'est ce qu'il y a de criminel dans les méchantes actions: de sorte qu'il n'est pas besoin de remonter jusqu'à Dieu pour en trouver la source. Lors qu'il créa l'Homme & les Intelligences qui sont au-dessus de l'homme, il leur donna une liberté qui les rendait capables du bien & du mal. Mais quoique cette liberté se puisse déterminer au mal, elle n'est pas cependant mauvaise en elle-même. Pour ce qui est du mal physique qui est proprement ce que nous apellons douleur, il n'y a aucun inconvénient à dire qu'il vient de Dieu; puis qu'il s'en sert ou à corriger l'Homme, ou à le punir. Et bien loin que cette espéce de mal répugne à sa bonté, on peut dire qu'il l'employe souvent par un principe d'amour pour les hommes; de la même manière que les Médecins prescrivent aux malades des remédes désagréables au goût, mais nécessaires pour leur guérison.
Réfutation de l'opinion de deux premiers principes
IX. Il faut réfuter en passant l'opinion de ceux qui établissent deux premiers Principes, l'un bon, & l'autre mauvais.
I. Deux Principes si oposez ne peuvent que causer du désordre, & même une destruction entiére, bien loin de pouvoir produire quelque chose d'aussi bien construit, & d'aussi sagement réglé, qu'est le Monde. II. De ce qu'il y a un Être bon par soi-même, il ne s'ensuit pas qu'il y en ait un absolument & nécessairement mauvais. La malice est un défaut qui supose une chose qui existe déjà: or l'existence est par soi-même quelque chose de bonL.
Note L: (retour) De plus il ne faut pas concevoir le mal comme une chose naturelle, mais comme la dépravation de l'état naturel des choses. Or, comme nous l'avons prouvé, un Être qui est nécessairement & par soi-même, est parfaitement immuable: & quand il ne le seroit pas, il est toujours évident qu'un premier Être devenu mauvais, ne le seroit pas nécessairement, puis qu'il ne le seroit pas de toute éternité. ADD. DU TRAD.
Que Dieu gouverne toutes choses. x. Preuve.
X: S'il est vrai, comme nous l'avons établi, que Dieu a créé le Monde, il n'est pas moins constant, qu'il le gouverne par sa Providence. Sa bonté l'y oblige: sa science infinie & sa toute-puissance lui en donnent les moyens: l'une lui fait connoître tout ce qui se fait & tout ce qui se doit faire: l'autre le rend capable d'exécuter ce qu'il juge à propos pour conduire & pour régler l'Univers. Avec un degré de sagesse & de bonté infiniment plus petit, les hommes étendent leurs soins sur leurs enfans, & avec quelque chose qui n'est en soi-même ni bonté ni sagesse, mais qui en réprésenté assez bien les démarches, les bêtes mêmes savent élever & conserver leurs petits. Il faut rapeller ici ce que nous avons dit de certains mouvemens peu naturels, que l'on remarque dans le Monde, mais qui servent bien mieux à sa conservation que d'autres plus naturels, & plus simples.
Que Dieu gouverne toutes les choses sublunaires.
XI. La Terre & toutes les choses sublunaires étant l'ouvrage du Créateur, aussi bien que le Ciel, & tous les corps célestes, cette même raison fait voir combien est mal fondée l'opinion de ceux, qui reconnoissant une Providence, la renferment dans l'étendue des Cieux. Il ne seroit pas même dificile de prouver, que la Terre est plus particuliérement que le Ciel, l'objet des soins de la Providence. Le cours des Astres est si conforme aux besoins de l'Homme, qu'on peut dire qu'ils ont été créez pour lui. Or lequel est le plus digne des soins de Dieu, ou la Fin, ou les moyens qui sont destinez à cette fin?
Que Dieu gouverne les natures particuliéres.
Il n'y a pas plus de raison à prétendre, que Dieu ne conduit que les natures universelles, & ne touche point aux Êtres Singuliers. Est-ce qu'il ne les connnoît pas? C'est ce que quelques-uns disent, mais si cela est, comment se connoît-il lui-même? De plus, nous avons prouvé que la science de Dieu est nécessairement infinie: elle s'étend donc à tous les Êtres particuliers. Or si Dieu les connoit tous, pourquoi ne les gouverneroit-il pas tous? Cela paroît encore par ces fins tant particuliéres, que générales, que nous avons découvertes dans chaque partie du Monde. Sans toutes ces considérations, une seule raison sufit. C'est que les natures universelles ne subsistent que dans les Êtres particuliers. Si donc Dieu abandonne les Êtres particuliers, il faut aussi qu'il abandonne le genre; s'il conserve & gouverne le genre, il faut de nécessité qu'il conserve & gouverne les Êtres particuliers.
Preuve de la Providence, par la conservation des États
XII. La durée des États & des Empires est une preuve si forte de la Providence Divine, que tous les Philosophes et tous les Historiens en ont très-bien senti le poids. En général, par tout où cet ordre, qui soumet un État à une autorité supérieure, a été reçu, il y subsiste toujours. En particulier, on voit que certaines formes de Gouvernement se maintiennent en quelque Païs pendant une longue suite de siécles. Combien de temps n'a pas duré, par exemple, le Gouvernement monarchique des Assyriens, des Egyptiens et des François. Le Gouvernement Aristocratique des Vénitiens compte déjà plus de douze cents ans. Il est vrai que la Politique a beaucoup contribué à cette longue durée. Cependant, si l'on prend garde combien il y a toûjours eu d'esprits déréglez et turbulens; à combien de traverses un État est sujet de la part de ses Voisins, et quelle, est l'inconstance de toutes les choses du Monde: on verra qu'il est impossible qu'une certaine maniére de Gouvernement subsiste: si long tems, sans une direction toute particuliére de la Providence. Cette direction est encore plus sensible dans la maniére dont Dieu change la forme des Empires & les ôte à de certains Peuples pour les donner à d'autres. Ceux par qui il opére ces grandes Révolutions, Cyrus, par exemple, Alexandre, César, Cingi parmi les Tartares, & Namcaa dans la Chine, ont tous eu une enchaînure de succès, que toute la prudence humaine n'auroit jamais pu leur procurer; ils ont tous éprouvé un bonheur dont la grandeur surpassoit leurs désirs, & dont la durée constante était fort éloignée du cours ordinaire des choses du monde, dans lesquelles on ne voit que mêlange & qu'inégalité. La ressemblance qu'ont entr'eux ces événemens mémorables, & leur concours à une même fin, c'est-à-dire, à l'établissement d'un Empire sur les ruïnes d'un autre, ne peuvent partir d'une cause fortuite & aveugle. On peut faire plusieurs fois de suite un coup de dé heureux: mais si on le fait jusqu'à cent fois, il n'y a personne qui ne l'atribue d'abord à quelque adresse cachée.
3. Preuve par les miracles.
XIII. Entre toutes les preuves qui nous convainquent d'une