Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne. Hugo Grotius
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Que Dieu est éternel, tout-puissant tout-bon, & qu'il fait toutes choses.
VII. De ce que nous venons d'établir, il résulte que tout ce qui subsiste, tire son origine de Dieu. Car puis que nous avons conclu de ce qu'une chose existe nécessairement, qu'elle est par cela même unique, & exclut tout autre Être de même nature: il est évident que toutes les choses qui sont hors de Dieu ne sont point nécessairement & par elles-mêmes, & qu'elles ont dû être produites par une cause diférente d'elles. Or cette cause ne peut être que celle qui n'a point eu de commencement, puis que, comme nous l'avons vu dès l'entrée, tout ce qui est, doit avoir été produit ou immédiatement, ou médiatement, c'est-à-dire, dans ses causes, par un premier Principe. Et ce premier Principe est ce que nous apellons Dieu.
2 Preuve, tirée de la considération de toutes les parties du Monde, & de leurs diferens usages.
Quand le raisonnement ne nous conduiroit pas à cette derniére vérité, la vûe seule des choses créées nous l'aprendroit sufisamment. En éfet il est impossible de considérer avec atention la structure admirable du corps humain, l'arrangement de ses parties tant extérieures qu'intérieures, la destination des plus petites à de certains usages, le peu de part que les péres & les méres ont à cet arrangement & à cette destination; en un mot, l'artifice exquis que l'on découvre dans cet excellent ouvrage, & qui fait l'admiration de ceux qui s'occupent avec le plus de succès à en étudier les merveilles: l'on ne peut, dis-je, considérer tout cela sans conclurre, que l'Auteur de cet ouvrage est un Être souverainement sage & intelligent. Si dans une chose aussi évidente on ne se contente pas de ses propres lumières, on n'a qu'à lire Galien dans les endroits où il traite de l'usage de la main, & de celui de l'oeil.
Les corps des animaux brutes ne nous fournissent pas une preuve moins solide de cette vérité. La forme & la situation de leurs parties marquent visiblement une certaine intention & de certaines fins, dont une puissance aveugle, telle qu'est celle de la matiére, est absolument incapable. Je dis la même chose des plantes & des herbes, & je le dis après les Philosophes les plus éclairez. La situation des eaux1 a fait fort à propos naître à Strabon la même pensée.G Selon leur nature & la qualité de la matiére qui les compose, elles devroient être placées entre la Terre & l'Air. Si donc la Terre, au lieu d'en être couverte, en est seulement arrosée en diférens endroits, n'est-ce pas afin qu'elle puisse servir de demeure à l'homme, & produire les choses qui lui sont nécessaires? Or qui peut se proposer une certaine fin dans ses actions, sinon un Être sage & intelligent?
Note 1: (retour) La situation des eaux &c. Strabon liv. 17. après avoir distingué les ouvrages de la nature, c'est-à-dire, de la matiére, & ceux de la Providence, ajoûte ces mots. «Mais comme naturellement les eaux devroient environner & couvrir toute la terre, & que d'ailleurs l'homme n'est pas un animal aquatique, mais en partie terrestre & en partie aërien, & capable de jouïr de la lumiére, d'un côté la Providence a fait sur la surface de la terre plusieurs enfoncemens pour recevoir l'eau ou une partie de l'eau, & pour en être cachée: & de l'autre, plusieurs éminences par lesquelles la Terre s'élevant au dessus de l'eau, la couvre & n'en laisse paroître qu'autant qu'il en faut, pour l'usage de l'homme & des animaux, & pour nourrir les plantes.
Note G: (retour) La nature de l'eau ne demande pas qu'elle soit placée entre l'air & la Terre. Il sufit de remarquer, que la distribution qui en a été faite par toute la terre marque une sagesse & une bonté qui ne peut convenir à la matiére. TRAD.
H Pour dire encore un mot des bêtes, quelques-unes, comme les fourmis & les abeilles, font des choses si bien réglées & si bien conduites qu'à peine peut-on se défendre d'y reconnoître de la raison & de la sagesse. On en voit d'autres qui avant que d'avoir éprouvé ce qui leur peut nuire, ou ce qui leur est bon, s'éloignent de l'un & recherchent l'autre. Y auroit-il donc, éfectivement en celles-là, quelque intelligence qui dirigeât leurs actions, & dans celles-ci, quelque discernement qui réglât leur choix? Non sans doute; puis qu'on les voit astreintes à agir toûjours de la même maniére, & que leur capacité est tellement bornée à un certain ordre de choses, qu'elle n'a point de lieu dans d'autres un peu diférentes, quoi qu'aussi peu dificiles. Il faut donc que ces actions partent d'une cause extérieure, intelligente, qui agisse sur ces bêtes, & qui en régle les mouvemens: & cette cause n'est autre chose que Dieu.
Note H: (retour) On a tiré cet Article de son lieu, pour mettre tout d'une suite les réflexions de l'Auteur sur les fins particuliéres. TRAD.
Au reste, on voit dans les parties de l'Univers, non seulement une direction à de certaines fins particuliéres, mais aussi une destination à des fins générales, & qui tendent à la conservation réciproque de ces parties. L'eau, par exemple, qui de sa nature tend en bas, se meut quelquefois en haut. Pourquoi cela, si ce n'est I de peur que le vuide venant à séparer les parties de l'Univers, n'en détruise la liaison, qui ne peut subsister, à moins qu'elle ne soit universelle? Or ni cette fin qui va, pour ainsi dire, au profit du Monde entier, ni la force que telle ou telle partie a d'y concourir, ne peuvent être que la production d'un Esprit qui préside sur toutes les parties du Monde.
Note I: (retour) Cette crainte du vuide n'est aparemment, dans le sens de l'Auteur, qu'une précaution de la Providence, qui pour mieux lier les parties du Monde; en a exclus le vuide. Et cette réflexion, ainsi expliquée, supose que le vuide est possible. TRAD.
De plus le cours des Astres, & en particulier celui du Soleil & de la Lune, est si propre à rendre la terre fertile, & à conserver les animaux dans une bonne disposition, que l'imagination même, quelques éforts qu'elle fît, ne pourroit rien concevoir de plus éficace pour ces usages-là. La simplicité des Loix naturelles exigeoit, ce semble, que les Astres se mûssent sur l'Équateure. Pourquoi donc ont ils reçu une impression qui les fait mouvoir sur un cercle oblique? C'est sans doute, afin qu'ils répandissent leurs bonnes influences sur un plus grand nombre d'endroits. Le Ciel est donc en quelque façon pour la Terre, & la Terre est pour tous les animaux en général. Mais ne nous arrêtons pas là. Pour qui sont les brutes? Pour l'Homme, sans doute, qui par la prééminence de son esprit s'est assujetti les plus indomtables. Quand nous recueillirons de tout cela, que le Monde entier a été fait pour l'Homme, nous ne dirons rien que tous les Stoïciens n'ayent aperçû.2 Or comme cet ordre qui assujettit à l'Homme toutes les parties du Monde, & entr'autres les Astres, n'est ni l'éfet de la puissance