L'Œuvre. Emile Zola

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L'Œuvre - Emile Zola

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que lui prendre, comment marcher avec elle? Tout de suite, je sens que je patauge...

      Ah! si je savais, si je savais, quelle série de bouquins je lancerais à la tête de la foule!» Il se tut, lui aussi. L'hiver précédent, il avait publié son premier livre, une suite d'esquisses aimables, rapportées de Plassans, parmi lesquelles quelques notes plus rudes indiquaient seules le révolté, le passionné de vérité et de puissance. Et, depuis, il tâtonnait, il s'interrogeait dans le tourment des idées, confuses encore, qui battaient son crâne. D'abord, épris des besognes géantes, il avait eu le projet d'une genèse de l'univers, en trois phases: la création, rétablie d'après la science; l'histoire de l'humanité, arrivant à son heure jouer son rôle, dans la chaîne des êtres; l'avenir, les êtres se succédant toujours, achevant de créer le monde, par le travail sans fin de la vie. Mais il s'était refroidi devant les hypothèses trop hasardées de cette troisième phase; et il cherchait un cadre plus resserré, plus humain, où il ferait tenir pourtant sa vaste ambition.

      «Ah! tout voir et tout peindre! reprit Claude, après un long intervalle. Avec des lieues de murailles à couvrir, décorer les gares, les halles, les mairies, tout ce qu'on bâtira, quand les architectes ne seront plus des crétins! Et il ne faudra que des muscles et une tête solides, car ce ne sont pas les sujets qui manqueront... Hein? la vie telle qu'elle passe dans les rues, la vie des pauvres et des riches, aux marchés, aux courses, sur les boulevards, au fond des ruelles populeuses; et tous les métiers en branle; et toutes les passions remises debout, sous le plein jour; et les paysans, et les bêtes, et les campagnes!...

      On verra, on verra, si je ne suis pas une brute! J'en ai des fourmillements dans les mains. Oui! toute la vie moderne! Des fresques hautes comme le Panthéon! Une sacrée suite de toiles à faire éclater le Louvre!» Dès qu'ils étaient ensemble, le peintre et l'écrivain en arrivaient d'ordinaire à cette exaltation. Ils se fouettaient mutuellement, ils s'affolaient de gloire; et il y avait là une telle envolée de jeunesse, une telle passion du travail, qu'eux-mêmes souriaient ensuite de ces grands rêves d'orgueil, ragaillardis, comme entretenus en souplesse et en force.

      Claude, qui se reculait maintenant jusqu'au mur, y demeura adossé, s'abandonnant. Alors, Sandoz, basé par la pose, quitta le divan et alla se mettre près de lui. Puis, tous deux regardèrent, de nouveau muets. Le monsieur en veston de velours était ébauché entièrement; la main, plus poussée que le reste, faisait dans l'herbe une note très intéressante, d'une jolie fraîcheur de ton; et la tache sombre du dos s'enlevait avec tant de vigueur, que les petites silhouettes du fond, les deux femmes luttant au soleil, semblaient s'être éloignées, dans le frisson lumineux de la clairière; tandis que la grande figure, la femme nue et couchée, à peine indiquée encore, flottait toujours, ainsi qu'une chair de songe, une Ève désirée naissant de la terre, avec son visage qui soudait, sans regard, les paupières closes.

      «Décidément, comment appelles-tu ça? demanda Sandoz.

      —Plein air», répondit Claude d'une voix brève.

      Mais ce titre parut bien technique à l'écrivain, qui, malgré lui, était parfois tenté d'introduire de la littérature dans la peinture.

      «Plein air, ça ne dit rien.

      —Ça n'a besoin de rien dire... Des femmes et un homme se reposent dans une forêt, au soleil. Est-ce que ça ne suffit pas? Va, il y en a assez pour faire un chef-d'œuvre.»

      Il renversa la tête, il ajouta entre ses dents;«Nom d'un chien, c'est encore noir! J'ai ce sacré Delacroix dans l'œil. Et ça, tiens! cette main-là, c'est du Courbet... Ah! nous y trempons tous, dans la sauce romantique. Notre jeunesse y a trop barboté, nous en sommes barbouillés jusqu'au menton. Il nous faudra une fameuse lessive.» Sandoz haussa désespérément les épaules: lui aussi se lamentait d'être né au confluent d'Hugo et de Balzac.

      Cependant, Claude restait satisfait, dans l'excitation heureuse d'une bonne séance. Si son ami pouvait lui donner deux ou trois dimanches pareils, le bonhomme y serait, et carrément. Pour cette fois, il y en avait assez. Tous deux plaisantèrent, car d'habitude il tuait ses modèles, ne les lâchant qu'évanouis, morts de fatigue. Lui-même attendait de tomber, les jambes rompues, le ventre vide.

      Et, comme cinq heures sonnaient au coucou, il se jeta sur son reste de pain, il le dévora. Épuisé, il le cassait de ses doigts tremblants, il le mâchait à peine, revenu devant son tableau, repris par son idée, au point qu'il ne savait même pas qu'il mangeait.

      «Cinq heures, dit Sandoz qui s'étirait, les bras en l'air.

      Nous allons dîner... Justement, voici Dubuche.» On frappait, et Dubuche entra. C'était un gros garçon brun, au visage correct et bouffi, le cheveux ras, les moustaches déjà fortes. Il donna des poignées de main, il s'arrêta d'un air interloqué devant le tableau. Au fond, cette peinture déréglée le bousculait, dans la pondération de sa nature, dans son respect de bon élève pour les formules établies; et sa vieille amitié seule empêchait d'ordinaire ses critiques. Mais, cette fois, tout son être se révoltait, visiblement.

      «Eh bien! quoi donc? Ça ne te va pas? demanda Sandoz qui le guettait.

      —Si, si, oh! très bien peint... Seulement...

      —Allons, accouche. Qu'est-ce qui te chiffonne?

      —Seulement, c'est ce monsieur, tout habillé, là, au milieu de ces femmes nues... On n'a jamais vu ça.» Du coup, les deux autres éclatèrent. Est-ce qu'au Louvre, il n'y avait pas cent tableaux composés de la sorte? Et puis, si l'on n'avait jamais vu ça, on le verrait. On s'en fichait bien, du public! Sans se troubler sous la furie de ces réponses, Dubuche répétait tranquillement:

      «Le public ne comprendra pas... Le public trouvera ça cochon... Oui, c'est cochon:

      —Sale bourgeois! cria Claude exaspéré. Ah! ils te crétinisent raide à l'École, tu n'étais pas si bête!» C'était la plaisanterie courante de ses deux amis, depuis qu'il suivait les cours de l'École des Beaux-Arts. Il battit alors en retraite, un peu inquiet de la violence que prenait la querelle; et il se sauva, en tapant sur les peintres. Ça, on avait raison de le dire, les peintres étaient de jolis crétins, à l'École. Mais, pour les architectes, la question changeait. Où voulait-on qu'il fît ses études? Il se trouvait bien forcé de passer par là. Plus tard, ça ne l'empêcherait pas d'avoir ses idées à lui. Et il affecta, une allure très révolutionnaire.

      «Bon! dit Sandoz, du moment que tu fais des excuses, allons dîner.»

      Mais Claude, machinalement, avait repris un pinceau, et il s'était remis au travail. Maintenant, à côté du monsieur en veston, la figure de la femme ne tenait plus. Énervé, impatient, il la cernait d'un trait vigoureux, pour la rétablir au plan qu'elle devait occuper.

      «Viens-tu? répéta son ami.

      —Tout à l'heure, que diable! rien ne presse... Laisse-moi indiquer ça, et je suis à vous.» Sandoz hocha la tête; puis, doucement, de peur de l'exaspérer davantage:

      «Tu as tort de t'acharner, mon vieux... Oui, tu es éreinté, tu crèves de faim, et tu vas encore gâter ton affaire, comme l'autre jour.» D'un geste irrité, le peintre lui coupa la parole. C'était sa continuelle histoire: il ne pouvait lâcher à temps la besogné, il se grisait de travail, dans le besoin d'avoir une certitude immédiate, de se prouver qu'il tenait enfin son chef-d'œuvre. Des doutes venaient de le désespérer, au milieu de sa joie d'une bonne séance; avait-il eu raison de donner une telle puissance au veston de velours? retrouverait-il la note éclatante qu'il voulait pour sa figure nue? Et il serait plutôt mort là, que

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