Le Diable amoureux. Jacques Cazotte
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Cette délibération fut assez courte, quoiqu'un peu troublée par le ramage des hiboux et des chats-huants qui habitaient les environs, et même l'intérieur de ma caverne.
Un peu rassuré par mes réflexions, je me rasseois sur mes reins; je me piète; je prononce l'évocation d'une voix claire et soutenue; et en grossissant le son, j'appelle à trois reprises et à très courts intervalles, Béelzébut.
Un frisson courait dans toutes mes veines, et mes cheveux se hérissaient sur la tête.
À peine avais-je fini, une fenêtre s'ouvre à deux battants, vis-à-vis de moi, au haut de la voûte: un torrent de lumière plus éblouissante que celle du jour fond par cette ouverture: une tête de chameau horrible, autant par sa grosseur que par sa forme se présente à la fenêtre: surtout elle avait des oreilles démesurées. L'odieux fantôme ouvre la gueule, et, d'un ton assorti au reste de l'apparition, me répond: Che vuoi? Toutes les voûtes, tous les caveaux des environs retentissent à l'envi du terrible Che vuoi?
Je ne saurais peindre ma situation; je ne saurais dire qui soutint mon courage et m'empêcha de tomber en défaillance à l'aspect de ce tableau, au bruit plus effrayant encore qui retentissait à mes oreilles.
Je sentis la nécessité de rappeler mes forces: une sueur froide allait les dissiper; je fis un effort sur moi. Il faut que notre âme soit bien vaste et ait un prodigieux ressort; une multitude de sentiments, d'idées, de réflexions touchent mon cœur, passent dans mon esprit, et font leur impression toutes à la fois.
La résolution s'opère, je me rends maître de ma terreur. Je fixe hardiment le spectre. «Que prétends-tu toi-même, téméraire, en te montrant sous cette forme hideuse?»
Le fantôme balance un moment: «Tu m'as demandé, dit-il d'un ton de voix plus bas...—L'esclave, lui dis-je, cherche-t-il à effrayer son maître? Si tu viens recevoir mes ordres, prends une forme convenable et un ton soumis.
—Maître, me dit le fantôme, sous quelle forme me présenterai-je pour vous être agréable?»
La première idée qui me vint à la tête étant celle d'un chien: «Viens, lui dis-je, sous la figure d'un épagneul.»
À peine avais-je donné l'ordre, l'épouvantable chameau allonge le col de seize pieds de longueur, baisse la tête jusqu'au milieu du salon, et vomit un épagneul blanc à soies fines et brillantes, les oreilles traînantes jusqu'à terre.
La fenêtre s'est refermée, toute autre vision a disparu, et il ne reste sous la voûte, suffisamment éclairée, que le chien et moi.
Il tournait tout autour du cercle en remuant la queue et faisant des courbettes. «Maître, me dit-il, je voudrais bien vous lécher l'extrémité des pieds; mais le cercle redoutable qui vous environne me repousse.»
Ma confiance était montée jusqu'à l'audace: je sors du cercle, je tends le pied, le chien le lèche; je fais un mouvement pour lui tirer les oreilles, il se couche sur le dos comme pour me demander grâce; je vis que c'était une petite femelle. «Lève-toi, lui dis-je; je te pardonne: tu vois que j'ai compagnie, ces messieurs attendent à quelque distance d'ici; la promenade a dû les altérer; je veux leur donner une collation; il faut des fruits, des conserves, des glaces, des vins de Grèce; que cela soit bien entendu; éclaire et décore la salle sans faste, mais proprement. Vers la fin de la collation, tu viendras en virtuose du premier talent, et tu porteras une harpe; je t'avertirai quand tu devras paraître. Prends garde à bien jouer ton rôle, mets de l'expression dans ton chant, de la décence, de la retenue dans ton maintien...
—J'obéirai, maître, mais sous quelle condition...
—Sous celle d'obéir, esclave. Obéis, sans réplique, ou...
—Vous ne me connaissez pas, maître; vous me traiteriez avec moins de rigueur; j'y mettrais peut-être l'unique condition de vous désarmer et de vous plaire.
Le chien avait à peine fini, qu'en tournant sur le talon, je vois mes ordres s'exécuter plus promptement qu'une décoration ne s'élève à l'Opéra. Les murs de la voûte, ci-devant noirs, humides, couverts de mousse, prenaient une teinte douce, des formes agréables; c'était un salon de marbre jaspé. L'architecture présentait un cintre soutenu par des colonnes. Huit girandoles de cristaux, contenant chacune trois bougies, y répandaient une lumière vive, également distribuée.
Un moment après, la table et le buffet s'arrangent, se chargent de tous les apprêts de notre régal; les fruits et les confitures étaient de l'espèce la plus rare, la plus savoureuse et de la plus belle apparence. La porcelaine, employée au service et sur le buffet, était du Japon. La petite chienne faisait mille tours dans la salle, mille courbettes autour de moi, comme pour hâter le travail, et me demander si j'étais satisfait.
«Fort bien, Biondetta, lui dis-je; prenez un habit de livrée, et allez dire à ces messieurs qui sont près d'ici que je les attends, et qu'ils sont servis.»
À peine avais-je détourné un instant mes regards, je vois sortir un page à ma livrée, lestement vêtu, tenant un flambeau allumé: peu après il revint, conduisant sur ses pas mon camarade le Flamand et ses deux amis.
Préparés à quelque chose d'extraordinaire, par l'arrivée et le compliment du page, ils ne l'étaient pas au changement qui s'était fait dans l'endroit où ils m'avaient laissé. Si je n'eusse pas eu la tête occupée, je me serais plus amusé de leur surprise; elle éclata par leur cri, se manifesta par l'altération de leurs traits et par leurs attitudes.
«Messieurs, leur dis-je, vous avez fait beaucoup de chemin pour l'amour de moi, il nous en reste à faire pour regagner Naples: j'ai pensé que ce petit régal ne vous désobligerait pas, et que vous voudriez bien excuser le peu de choix et le défaut d'abondance en faveur de l'impromptu.»
Mon aisance les déconcerta plus encore que le changement de la scène et la vue de l'élégante collation à laquelle ils se voyaient invités. Je m'en aperçus; et, résolu de terminer une aventure dont intérieurement je me défiais, je voulus en tirer tout le parti possible, en forçant même la gaîté qui fait le fond de mon caractère.
Je les pressais de se mettre à table, le page avançait les siéges avec une promptitude merveilleuse. Nous étions assis: j'avais rempli les verres, distribué des fruits; ma bouche seule s'ouvrait pour parler et manger, les autres restaient béantes; cependant je les engageai à entamer les fruits, ma confiance les détermina: je porte la santé de la plus jolie courtisane de Naples: nous la buvons. Je parle d'un opéra nouveau, d'une Improvisatrice romaine arrivée depuis peu, et dont les talents font du bruit à la cour: je reviens sur les talents agréables, la musique, la sculpture; et par occasion je les fais convenir de la beauté de quelques marbres qui font l'ornement du salon. Une bouteille se vide, est remplacée par une meilleure. Le page se multiplie, et le service ne languit pas un instant. Je jette l'œil sur lui à la dérobée: figurez-vous l'amour en trousse de page; mes compagnons d'aventure le lorgnaient de leur côté d'un air où se peignaient la surprise, le plaisir et l'inquiétude. La monotonie de cette situation me déplut; je vis qu'il était temps de la rompre. «Biondetto, dis-je au page, la signora Fiorentina m'a promis de me donner un instant; voyez si elle ne serait point arrivée.» Biondetto sort de l'appartement.
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