Le Diable amoureux. Jacques Cazotte

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Le Diable amoureux - Jacques Cazotte

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À peine vous vis-je sous la voûte, que cette contenance héroïque à l'aspect de la plus hideuse apparition décida mon penchant: si, me dis-je à moi-même, pour parvenir au bonheur, je dois m'unir à un mortel, prenons un corps, il en est temps. Voilà le héros digne de moi. Dussent s'en indigner les méprisables rivaux dont je lui fais le sacrifice; dussé-je me voir exposée à leur ressentiment, à leur vengeance, que m'importe! Aimé d'Alvare, unie avec Alvare, eux et la nature nous seront soumis. Vous avez vu la suite; voici les conséquences:

      «L'envie, la jalousie, le dépit, la rage me préparent les châtiments les plus cruels auxquels puisse être soumis un être de mon espèce, dégradé par son choix; et vous seul pouvez m'en garantir. À peine est-il jour, et déjà les délateurs sont en chemin pour vous déférer, comme nécromancien, à ce tribunal que vous connaissez.

      —Dans une heure...

      —Arrêtez! m'écriai-je en me mettant les poings fermés sur les yeux, vous êtes le plus adroit, le plus insigne des faussaires. Vous parlez d'amour, vous en présentez l'image, vous en empoisonnez l'idée; je vous défends de m'en dire un mot; laissez-moi me calmer assez, si je le puis, pour devenir capable de prendre une résolution. S'il faut que je tombe entre les mains du tribunal, je ne balance pas, pour ce moment-ci, entre vous et lui; mais si vous m'aidez à me tirer d'ici, à quoi m'engagerai-je? Puis-je me séparer de vous quand je le voudrai? Je vous somme de me répondre avec clarté et précision...

      —Pour vous séparer de moi, Alvare, il suffira d'un acte de votre volonté. J'ai même regret que ma soumission soit forcée. Si vous méconnaissez mon zèle par la suite, vous serez imprudent, ingrat...

      —Je ne crois rien, sinon qu'il faut que je parte. Je vais éveiller mon valet de chambre: il faut qu'il me trouve de l'argent, qu'il aille à la poste. Je me rendrai à Venise, près de Bentinelli, banquier de ma mère.

      —Il vous faut de l'argent? Heureusement, je m'en suis précautionné: j'en ai à votre service...

      —Gardez-le. Si vous étiez une femme, en l'acceptant je ferais une bassesse...

      —Ce n'est pas un don, c'est un prêt que je vous propose. Donnez-moi un mandement sur le banquier; faites un état de ce que vous devez ici. Laissez sur votre bureau un ordre à Carle pour payer. Disculpez-vous par lettre auprès de votre commandant, sur une affaire indispensable qui vous force à partir sans congé. J'irai à la poste vous chercher une voiture et des chevaux. Mais, auparavant, Alvare, forcée à m'écarter de vous, je retombe dans toutes mes frayeurs; dites: Esprit qui ne t'es lié à un corps que pour moi, et pour moi seul, j'accepte ton vasselage et t'accorde ma protection.

      En me prescrivant cette formule, elle s'était jetée à mes genoux, me tenait la main, la pressait, la mouillait de larmes.

      J'étais hors de moi, ne sachant quel parti prendre; je lui laisse ma main qu'elle baise, et je balbutie les mots qui lui semblaient si importants. À peine ai-je fini qu'elle se relève. «Je suis à vous, s'écrie-t-elle avec transport; je pourrai devenir la plus heureuse de toutes les créatures.»

      En un moment, elle s'affuble d'un long manteau, rabat un grand chapeau sur ses yeux, et sort de ma chambre.

      J'étais dans une sorte de stupidité. Je trouve un état de mes dettes. Je mets au bas l'ordre à Carle de le payer; je compte l'argent nécessaire; j'écris au commandant, à un de mes plus intimes, des lettres qu'ils durent trouver très extraordinaires. Déjà la voiture et le fouet du postillon se faisaient entendre à la porte.

      Biondetta, toujours le nez dans son manteau, revient et m'entraîne. Carle, éveillé par le bruit, paraît en chemise. «Allez, lui dis-je, à mon bureau vous y trouverez mes ordres.» Je monte en voiture. Je pars.

      Biondetta était entrée avec moi dans la voiture. Elle était sur le devant. Quand nous fûmes sortis de la ville, elle ôta le chapeau qui la tenait à l'ombre. Ses cheveux étaient renfermés dans un filet cramoisi: on n'en voyait que la pointe: c'étaient des perles dans du corail. Son visage, dépouillé de tout autre ornement, brillait de ses seules perfections. On croyait voir un transparent sur son teint. On ne pouvait concevoir comment la douceur, la candeur, la naïveté pouvaient s'allier au caractère de finesse qui brillait dans ses regards. Je me surpris, faisant malgré moi ces remarques; et les jugeant dangereuses pour mon repos, je fermai les yeux pour essayer de dormir.

      Ma tentative ne fut pas vaine, le sommeil s'empara de mes sens, et m'offrit les rêves les plus agréables, les plus propres à délasser mon âme des idées effrayantes et bizarres dont elle avait été fatiguée. Il fut d'ailleurs très long; et ma mère, par la suite, réfléchissant un jour sur mes aventures, prétendit que cet assoupissement n'avait pas été naturel. Enfin, quand je m'éveillai, j'étais sur les bords du canal sur lequel on s'embarque pour aller à Venise.

      La nuit était avancée; je me sens tirer par la manche, c'était un portefaix: il voulait se charger de mes ballots. Je n'avais pas même un bonnet de nuit.

      Biondetta se présenta à une autre portière, pour me dire que le bâtiment qui devait me conduire était prêt. Je descends machinalement, j'entre dans la felouque, et retombe dans ma léthargie.

      Que dirai-je? le lendemain matin, je me trouvai logé sur la place Saint-Marc, dans le plus bel appartement de la meilleure auberge de Venise. Je le connaissais. Je le reconnus sur-le-champ. Je vois du linge, une robe de chambre assez riche auprès de mon lit. Je soupçonnai que ce pouvait être une attention de l'hôte chez qui j'étais arrivé dénué de tout.

      Je me lève et regarde si je suis le seul objet vivant gui soit dans la chambre; je cherchais Biondetta.

      Honteux de ce premier mouvement, je rendis grâce à ma bonne fortune. Cet esprit et moi ne sommes donc pas inséparables: j'en suis délivré; et, après mon imprudence, si je ne perds que ma compagnie aux gardes, je dois m'estimer très heureux.

      Courage, Alvare, continuai-je: il y a d'autres cours, d'autres souverains que celui de Naples; cela doit te corriger si tu n'es pas incorrigible, et tu te conduiras mieux. Si on refuse tes services, une mère tendre, l'Estramadure et un patrimoine honnête te tendent les bras.

      Mais que te voulait ce lutin qui ne t'a pas quitté depuis vingt-quatre heures? Il avait pris une figure bien séduisante: il m'a donné de l'argent; je veux le lui rendre.

      Comme je parlais encore, je vois arriver mon créancier; il m'amenait deux domestiques et deux gondoliers. «Il faut, dit-il, que vous soyez servi, en attendant l'arrivée de Carle. On m'a répondu, dans l'auberge, de l'intelligence et de la fidélité de ces gens-ci, et voici les plus hardis patrons de la république.—Je suis content de votre choix, Biondetta, lui dis-je, vous êtes logée ici?

      —J'ai pris, me répond le page les yeux baissés, dans l'appartement même de Votre Excellence, la pièce la plus éloignée de celle que vous occupez, pour vous causer le moins d'embarras qu'il sera possible.»

      Je trouvai du ménagement, de la délicatesse dans cette attention à mettre de l'espace entre elle et moi. Je lui en sus gré.

      Au pis aller, disais-je, je ne saurais la chasser du vague de l'air, s'il lui plaît de s'y tenir invisible pour m'obséder. Quand elle sera dans une chambre connue, je pourrai calculer ma distance. Content de mes raisons, je donnai légèrement mon approbation à tout.

      Je voulais sortir pour aller chez le correspondant de ma mère. Biondetta donna ses ordres pour ma toilette; et, quand elle fut achevée, je me rendis où j'avais besoin d'aller.

      Le

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