Aziyadé. Pierre Loti
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À trois heures, un matin, un homme sorti de derrière un cyprès me barra le passage. C'était un veilleur de nuit; il était armé d'un long bâton ferré, de deux pistolets et d'un poignard;—et j'étais sans armes.
Je compris tout de suite ce que voulait cet homme. Il eût attenté à ma vie plutôt que de renoncer à son projet.
Je consentis à le suivre: j'avais mon plan. Nous marchions près de ces fondrières de cinquante mètres de haut qui séparent Péra de Kassim-Pacha. Il était tout au bord; je saisis l'instant favorable, je me jetai sur lui;—il posa un pied dans le vide, et perdit l'équilibre. Je l'entendis rouler tout au fond sur les pierres, avec un bruit sinistre et un gémissement.
Il devait avoir des compagnons et sa chute avait pu s'entendre de loin dans ce silence. Je pris mon vol dans la nuit, fendant l'air d'une course si rapide qu'aucun être humain n'eût pu m'atteindre.
Le ciel blanchissait à l'orient quand je regagnai ma chambre. La pâle débauche me retenait souvent par les rues jusqu'à ces heures matinales. À peine étais-je endormi, qu'une suave musique vint m'éveiller; une vieille aubade d'autrefois, une mélodie gaie et orientale, fraîche comme l'aube du jour, des voix humaines accompagnées de harpes et de guitares.
Le choeur passa, et se perdit dans l'éloignement. Par ma fenêtre grande ouverte, on ne voyait que la vapeur du matin, le vide immense du ciel; et puis, tout en haut, quelque chose se dessina en rose, un dôme et des minarets; la silhouette de la ville turque s'esquissa peu à peu, comme suspendue dans l'air … Alors, je me rappelai que j'étais à Stamboul,— et qu'elle avait juré d'y venir.
VI
La rencontre de cet homme m'avait laissé une impression sinistre; je cessai ce vagabondage nocturne, et n'eus plus d'autres maîtresses,—si ce n'est une jeune fille juive nommée Rébecca, qui me connaissait, dans le faubourg israélite de Pri-Pacha, sous le nom de Marketo.
Je passai la fin d'août et une partie de septembre en excursions dans le Bosphore. Le temps était tiède et splendide. Les rives ombreuses, les palais et les yalis se miraient dans l'eau calme et bleue que sillonnaient des caïques dorés.
On préparait à Stamboul la déposition du sultan Mourad, et le sacre d'Abd-ul-Hamid.
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