Aziyadé. Pierre Loti

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Aziyadé - Pierre Loti страница 6

Автор:
Серия:
Издательство:
Aziyadé - Pierre Loti

Скачать книгу

qui se traduisait par le trouble des sens.

       Table des matières

      Elle était venue habiter avec les trois autres femmes de son maître un yali de campagne, dans un bois, sur le chemin de Monastir; là, on la surveillait moins.

      Le jour je descendais en armes. Par grosse mer, toujours, un canot me jetait sur les quais, au milieu de la foule des bateliers et des pêcheurs; et Samuel, placé comme par hasard sur mon passage, recevait par signes mes ordres pour la nuit.

      J'ai passé bien des journées à errer sur ce chemin de Monastir. C'était une campagne nue et triste, où l'oeil s'étendait à perte de vue sur des cimetières antiques; des tombes de marbre en ruine, dont le lichen rongeait les inscriptions mystérieuses; des champs plantés de menhirs de granit; des sépultures grecques, byzantines, musulmanes, couvraient ce vieux sol de Macédoine où les grands peuples du passé ont laissé leur poussière. De loin en loin, la silhouette aiguë d'un cyprès, ou un platane immense, abritant des bergers albanais et des chèvres; sur la terre aride, de larges fleurs lilas pâle, répandant une douce odeur de chèvrefeuille, sous un soleil déjà brûlant. Les moindres détails de ce pays sont restés dans ma mémoire.

      La nuit, c'était un calme tiède, inaltérable, un silence mêlé de bruits de cigales, un air pur rempli de parfums d'été; la mer immobile, le ciel aussi brillant qu'autrefois dans mes nuits des tropiques.

      Elle ne m'appartenait pas encore; mais il n'y avait plus entre nous que des barrières matérielles, la présence de son maître, et le grillage de fer de ses fenêtres.

      Je passais ces nuits à l'attendre, à attendre ce moment, très court quelquefois, où je pouvais toucher ses bras à travers les terribles barreaux, et embrasser dans l'obscurité ses mains blanches, ornées de bagues d'Orient.

      Et puis, à certaine heure du matin, avant le jour, je pouvais, avec mille dangers, rejoindre ma corvette par un moyen convenu avec les officiers de garde.

       Table des matières

      Mes soirées se passaient en compagnie de Samuel. J'ai vu d'étranges choses avec lui, dans les tavernes des bateliers; j'ai fait des études de moeurs que peu de gens ont pu faire, dans les cours des miracles et les tapis francs des juifs de la Turquie. Le costume que je promenais dans ces bouges était celui des matelots turcs, le moins compromettant pour traverser de nuit la rade de Salonique. Samuel contrastait singulièrement avec de pareils milieux; sa belle et douce figure rayonnait sur ces sombres repoussoirs. Peu à peu je m'attachais à lui, et son refus de me servir auprès d'Aziyadé me faisait l'estimer davantage.

      Mais j'ai vu d'étranges choses la nuit avec ce vagabond, une prostitution étrange, dans les caves où se consomment jusqu'à complète ivresse le mastic et le raki …

       Table des matières

      Une nuit tiède de juin, étendus tous deux à terre dans la campagne, nous attendions deux heures du matin,—l'heure convenue.—Je me souviens de cette belle nuit étoilée, où l'on n'entendait que le faible bruit de la mer calme. Les cyprès dessinaient sur la montagne des larmes noires, les platanes des masses obscures; de loin en loin, de vieilles bornes séculaires marquaient la place oubliée de quelque derviche d'autrefois; l'herbe sèche, la mousse et le lichen avaient bonne odeur; c'était un bonheur d'être en pleine campagne une pareille nuit, et il faisait bon vivre.

      Mais Samuel paraissait subir cette corvée nocturne avec une détestable humeur, et ne me répondait même plus.

      Alors je lui pris la main pour la première fois, en signe d'amitié, et lui fis en espagnol à peu près ce discours:

      —Mon bon Samuel, vous dormez chaque nuit sur la terre dure ou sur des planches; l'herbe qui est ici est meilleure et sent bon comme le serpolet. Dormez, et vous serez de plus belle humeur après. N'êtes-vous pas content de moi? et qu'ai-je pu vous faire?

      Sa main tremblait dans la mienne et la serrait plus qu'il n'eût été nécessaire.

      —Che volete, dit-il d'une voix sombre et troublée, che volete mî? (Que voulez-vous de moi?) …

      Quelque chose d'inouï et de ténébreux avait un moment passé dans la tête du pauvre Samuel;—dans le vieil Orient tout est possible!—et puis il s'était couvert la figure de ses bras, et restait là, terrifié de lui-même, immobile et tremblant …

      Mais, depuis cet instant étrange, il est à mon service corps et âme; il joue chaque soir sa liberté et sa vie en entrant dans la maison qu'Aziyadé habite; il traverse, dans l'obscurité, pour aller la chercher, ce cimetière rempli pour lui de visions et de terreurs mortelles; il rame jusqu'au matin dans sa barque pour veiller sur la nôtre, ou bien m'attend toute la nuit, couché pêle-mêle avec cinquante vagabonds, sur la cinquième dalle de pierre du quai de Salonique. Sa personnalité est comme absorbée dans la mienne, et je le trouve partout dans mon ombre, quels que soient le lieu et le costume que j'aie choisis, prêt à défendre ma vie au risque de la sienne.

       Table des matières

      LOTI A PLUMKETT, LIEUTENANT DE MARINE

      Salonique, mai 1876.

      Mon cher Plumkett,

      Vous pouvez me raconter, sans m'ennuyer jamais, toutes les choses tristes ou saugrenues, ou même gaies, qui vous passeront par la tête; comme vous êtes classé pour moi en dehors du " vil troupeau ", je lirai toujours avec plaisir ce que vous m'écrirez.

      Votre lettre m'a été remise sur la fin d'un dîner au vin d'Espagne, et je me souviens qu'elle m'a un peu, à première vue, abasourdi par son ensemble original. Vous êtes en effet " un drôle de type ", mais cela, je le savais déjà. Vous êtes aussi un garçon d'esprit, ce qui était connu. Mais ce n'est point là seulement ce que j'ai démêlé dans votre longue lettre, je vous l'assure.

      J'ai vu que vous avez dû beaucoup souffrir, et c'est là un point de commun entre nous deux. Moi aussi, il y a dix longues années que j'ai été lancé dans la vie, à Londres, livré à moi-même à seize ans; j'ai goûté un peu toutes les jouissances; mais je ne crois pas non plus qu'aucun genre de douleur m'ait été épargné. Je me trouve fort vieux, malgré mon extrême jeunesse physique, que j'entretiens par l'escrime et l'acrobatie.

      Les confidences d'ailleurs ne servent à rien; il suffit que vous ayez souffert pour qu'il y ait sympathie entre nous.

      Je vois aussi que j'ai été assez heureux pour vous inspirer quelque affection; je vous en remercie. Nous aurons, si vous voulez bien, ce que vous appelez une amitié intellectuelle, et nos relations nous aideront à passer le temps maussade de la vie.

      À

Скачать книгу