Lélia. George Sand
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Lélia - George Sand страница 13
—Il parle bien, dit Sténio en se retournant vers Lélia, qui observait curieusement l’effet des paroles de Trenmor sur le jeune poëte; mais, ajouta-t-il à voix basse, bien penser, bien dire, est-ce assez pour laver le sang et la honte?
—Non sans doute, répondit Lélia tout haut. Il faut encore bien agir, et il l’a fait. Durant son martyre il a commencé une vie de dévouement, d’héroïsme et de charité qui ne cessera qu’avec lui. Il a commencé par essayer de consoler et de convertir les moins endurcis parmi les malheureux que la justice des hommes lui avait donnés pour frères. Et même au bagne ses efforts n’ont pas été sans succès. Il a eu du moins la douceur de se dire qu’il versait avec ses larmes une goutte du baume céleste dans des coupes à jamais abreuvées de fiel. Il a fait entendre à ceux dont les oreilles étaient fermées, des paroles de compassion et de soulagement qu’elles n’avaient jamais entendues et qu’elles n’entendront plus, mais qu’elles n’oublieront pas. Et depuis dix ans qu’il et libre, après que ses traits et ses manières ont tellement changé que personne ne peut le reconnaître; après qu’il a recouvré, par des incidents étranges et romanesques une fortune supérieure à celle qu’il avait perdue, sa vie, austère pour lui-même, féconde pour les autres, n’est qu’une suite de dévouements sublimes. Un mot te le fera connaître, cet homme que tu as la vanité de craindre encore; un mot....
—Arrêtez! dit Trenmor. Si ma vie nouvelle peut avoir quelque mérite à ses yeux lorsqu’il la connaîtra, ne lui ôtez pas à lui-même le mérite de croire en moi sans preuves et sans garanties. Cela ne peut être l’ouvrage d’une heure. Je puis bien supporter sa méfiance et son dédain quelques jours encore!
—Ma méfiance, peut-être! dit vivement Sténio. J’avoue qu’une vertu aussi exceptionnellement acquise que la vôtre m’étonne et m’effraie, moi qui ne connais encore de la vie que les chemins bordés de fleurs, par où l’on court à l’espérance. Mais ne craignez pas mon dédain, homme infortuné...
—Votre dédain ne peut pas m’effrayer, jeune homme! interrompit Trenmor avec un accent de fierté solennelle. Je sais que je n’échapperais à celui de personne si je me faisais connaître pour un homme exilé de la société humaine. Je sais aussi que quiconque possède mon secret a le droit de m’insulter et de me refuser la réparation du sang. J’ai donc dû placer plus haut l’estime et le respect de moi-même. Ces biens, je les ai recouvrés à la sueur de mon front, et j’ai lavé mes souillures, non dans le sang d’autrui, mais dans le plus pur de mon sang. Il n’est donc au pouvoir d’aucun homme de m’humilier. Vous m’estimerez quand vous pourrez, Sténio; mais alors vous pourrez vous dispenser de me le témoigner. Votre respect ne me ferait pas plus de bien que votre mépris ne peut me faire de mal. Il y a longtemps que je n’agis plus en vue de ce qu’on pensera de moi. Celui à qui j’ai affaire à cet égard, ajouta Trenmor en regardant les cieux, est placé plus haut que vous.»
L’attitude, la voix et le front du proscrit avaient quelque chose de si noble et de si puissant, que Sténio en fut troublé. Il jeta un regard timide sur lui-même, et demanda pardon à Dieu, dans son cœur, d’avoir offensé celui qui s’était mis sous la protection du ciel.
Trenmor tomba dans une profonde rêverie. Ses compagnons imitèrent son silence. La belle Lélia regardait le sillage de la barque où le reflet des étoiles tremblantes faisait courir de minces filets d’or mouvant. Sténio, les yeux attachés sur elle, ne voyait qu’elle dans l’univers. Quand la brise, qui commençait à se lever par frissons brusques et rares, lui jetait au visage une tresse des cheveux noirs de Lélia, ou seulement la frange de son écharpe, il frémissait comme les eaux du lac, comme les roseaux du rivage; et puis la brise tombait tout à coup comme l’haleine épuisée d’un sein fatigué de souffrir. Les cheveux de Lélia et les plis de son écharpe retombaient sur son sein, et Sténio cherchait en vain un regard dans ses yeux dont le feu savait si bien percer les ténèbres, quand Lélia daignait être femme. Mais à quoi pensait Lélia en regardant le sillage de la barque?—La brise avait emporté le brouillard; tout à coup Trenmor aperçut à quelques pas devant lui les arbres du rivage, et, vers l’horizon, les lumières rougeâtres de la ville; il soupira profondément.
«Eh quoi! dit-il, déjà! Vous ramez trop vite, Sténio, vous êtes bien pressé de nous ramener parmi les hommes!»
XIV.
Quelques heures après, ils étaient au bal chez le riche musicien Spuela. Trenmor et Sténio rentraient sous la coupole, et, du fond de cette rotonde vide et sonore, ils promenaient leurs regards sur les grandes salles pleines de mouvement et de bruit. Les danses tournoyaient en cercles capricieux sous les bougies pâlissantes, les fleurs mouraient dans l’air rare et fatigué, les sons de l’orchestre venaient s’éteindre sous la voûte de marbre, et dans la chaude vapeur du bal passaient et repassaient de pâles figures tristes et belles sous leurs habits de fête; mais au-dessus de ce tableau riche et vaste, au-dessus de ces tons éclatants adoucis par le vague de la profondeur et le poids de l’atmosphère, au-dessus des masques bizarres, des parures étincelantes, des frais quadrilles, et des groupes de femmes vives et jeunes, au-dessus du mouvement et du bruit, au-dessus de tout, s’élevait la grande figure isolée de Lélia. Appuyée contre un cippe de bronze antique, sur les degrés de l’amphithéâtre, elle contemplait aussi le bal, elle avait revêtu aussi un costume caractéristique, mais l’avait choisi noble et sombre comme elle: elle avait le vêtement austère et pourtant recherché, la pâleur, la gravité, le regard profond d’un jeune poëte d’autrefois, alors que les temps étaient poétiques et que la poésie n’était pas coudoyée dans la foule. Les cheveux noirs de Lélia, rejetés en arrière, laissaient à découvert ce front où le doigt de Dieu semblait avoir imprimé le sceau d’une mystérieuse infortune, et que les regards du jeune Sténio interrogeaient sans cesse avec l’anxiété du pilote attentif au moindre souffle du vent et à l’aspect des moindres nuées sur un ciel pur. Le manteau de Lélia était moins noir, moins velouté que ses grands yeux couronnés d’un sourcil mobile. La blancheur mate du son visage et de son cou se perdait dans celle de sa vaste fraise, et la froide respiration de son sein impénétrable ne soulevait pas même le satin noir de son pourpoint et les triples rangs de sa chaîne d’or.
«Regardez Lélia, dit Sténio avec un sentiment d’admiration exalté, regardez cette grande taille grecque sous ces habits de l’Italie dévote et passionnée, cette beauté antique dont la statuaire a perdu le moule, avec l’expression de rêverie profonde des siècles philosophiques; ces formes, et ces traits si riches; ce luxe d’organisation extérieure dont un soleil homérique a seul pu créer les types maintenant oubliés; regardez, vous dis-je, cette beauté physique qui suffirait pour constater une grande puissance, et que Dieu s’est plu à revêtir de toute la puissance intellectuelle de notre époque!... Peut-on imaginer quelque chose de plus complet que Lélia vêtue, posée et rêvant ainsi? C’est le marbre sans tache de Galatée, avec le regard céleste du Tasse, avec le sourire sombre d’Alighieri. C’est l’attitude aisée et chevaleresque des jeunes héros de Shakspeare: c’est Roméo, le poétique amoureux; c’est Hamlet, le pâle et ascétique visionnaire; c’est Juliette, Juliette demi-morte, cachant dans son sein le poison et le souvenir d’un amour brisé. Vous pouvez inscrire les plus grands noms de l’histoire, du théâtre et de la poésie sur ce visage, dont l’expression résume tout, à force de tout concentrer. Le jeune Raphaël devait tomber