Les ailes brûlées. Lucien Biart

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Les ailes brûlées - Lucien Biart

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pas celle d’un galant homme.

      –Monsieur! répliqua le colonel les dents serrées, ne vous occupez pas de moi, je vous en prie, et ne me fournissez pas l’occasion que je cherche de tuer quelqu’un.

      Mauret regarda son ami avec stupeur, fit mine de s’éloigner et se ravisa.

      –Nous égorger vous et moi, dit-il, ce serait trop bête. Il faut que vous soyez bien malheureux, Lansac, pour agir comme vous le faites à l’égard d’une femme, pour me parler comme vous venez de le faire.

      M. de Lansac se pressa contre la fenêtre, et Mauret demeura interdit en voyant cet homme de fer porter la main à ses yeux et tenter d’étouffer un sanglot.

      –Lansac! s’écria-t-il en se rapprochant, quelle affreuse torture vous étreint donc pour que vous puissiez pleurer?

      –Je l’aime, murmura l’officier.

      Mauret lui saisit de nouveau le bras et l’entraîna dehors. Redevenu maître de lui, M. de Lansac raconta brièvement sa lutte, sa fuite, sa chute et la conduite de Mme de Lesrel.

      –Vous devez me comprendre, dit-il à Mauret, puisque, vous aussi, vous avez le malheur de l’aimer.

      –Certes, je l’aime, répliqua le jeune homme; mais faut-il que, dans cette occasion, je sois le raisonnable et vous le fou? Vous retardez d’un demi-siècle, mon cher; vous êtes de la race des Werther et des René, héros dont les femmes de notre époque ne savent plus la langue. Voilà le résultat de votre vie d’ermite. Ce qui effleure la peau des autres entame votre chair, ce qui leur chatouille le cœur broie le vôtre. Vous faites comme le lierre qui embrasse le tronc et meurt où il s’attache. Moi, je prends exemple sur le volubilis, je me raccroche aux branches–il y en a de fort jolies–et je vis par l’amour, ce qui est plus rationnel que d’en mourir. Mme de Lesrel est une coquette,–vous voyez que je ne lui marchande pas la vérité. Il faut accepter le peu qu’elle donne, ne lui livrer en échange qu’une part de son être, non son être entier. Sa conduite envers vous est étrange, en dehors de ses allures habituelles, j’en conviens; mais les femmes seront toujours des énigmes. Ne parlons pas d’elle, du reste, parlons de vous. La guerre semble prochaine, mon ami, et, au train dont vont les choses, nous nous battrons avec les Prussiens avant un mois; c’est à cela qu’il faut songer. Etudions ensemble les pays où nous aurons à lutter, voulez-vous? C’est par les diversions, vous me l’avez souvent répété, que l’on réussit à battre l’ennemi; occupons-nous des diversions.

      L’entrain, la cordiale sympathie de son jeune collègue détendirent un peu les nerfs de M. de Lansac. Il était près de trois heures du matin lorsque le jeune homme, qui devait aller passer une huitaine dans sa famille, prit congé du colonel. Il restait convenu qu’aussitôt son retour, on se mettrait résolument à l’étude.

      Cinq jours plus tard, entraîné par son général, M. de Lansac dut assister à une fête donnée pour l’inauguration de l’hôtel du comte de L… Il aperçut Mme de Lesrel, et se réfugia dans un salon où l’on jouait. Pour échapper à la tentation de se rapprocher de la jeune femme, il s’établit à une table d’écarté. Il perdait avec entrain lorsque le hasard lui donna pour adversaire M. de Lesrel, et sa veine devint plus mauvaise encore. En ce moment, Mme de Lesrel parut dans le salon. Elle hésita une seconde, se rapprocha de son mari et, s’appuyant sur son épaule, lui dit un mot à l’oreille. Cette familiarité si naturelle fit monter le sang à la tête du colonel; ses ressentiments se réveillèrent d’autant plus implacables qu’il crut à une préméditation, à une bravade. Il n’en était rien, la jeune femme venait simplement déclarer qu’elle voulait partir, sans soupçonner qu’elle allait se trouver en face de M. de Lansac, qui ne jouait jamais. Elle sortait à peine du salon, que son mari gagna, et cita en riant le vulgaire proverbe: «Malheureux au jeu, heureux en amour.» Le colonel devint rouge, il releva le propos avec aigreur; deux mots blessants furent échangés. Alors qu’il ne la cherchait plus, M. de Lansac venait de trouver l’occasion de tuer quelqu’un.

      En ramenant sa femme, M. de Lesrel lui dit:

      –Je ne vois plus guère le colonel de Lansac chez vous, ma chère; mais c’est encore trop. Vous ferez bien de lui fermer votre porte: c’est un malotru.

      Mme de Lesrel, troublée, n’osa demander une explication; elle craignait que le son tremblant de sa voix ne frappât son mari. Le lendemain, deux amis de M. de Lansac, se présentèrent chez M. de Lesrel. Une rencontre à l’épée fut décidée pour le soir même.

      C’est chose grave qu’un duel, et l’alternative de tuer ou d’être tué est toujours poignante. Aucun motif de haine personnelle n’animait M. de Lansac contre M. de Lesrel, et peu à peu l’âme si droite de l’officier se révolta à l’idée de frapper un innocent. Puis, si la chance le favorisait, une barrière sanglante allait se dresser entre lui et celle qu’il aimait; tout était perdu cette fois, même l’espérance.

      –Allons, pensa-t-il, mon adversaire sera bien assez habile pour me passer son épée à travers le corps; au besoin je l’y aiderai.

      Cette sombre résolution prise, M. de Lansac se sentit plus calme; lasse de luttes énervantes, son âme aspirait au repos. La vie lui apparaissait noire, triste, misérable; la mort comme un asile de paix. Si la chair se révoltait et demandait à vivre encore, l’esprit répondait aussitôt: sans espérance, à quoi bon?

      M. de Lansac mit ordre à ses affaires, écrivit à Mme de Lesrel, afin de lui expliquer son sacrifice. Puis, ayant réfléchi, et ne voulant lui laisser ni regrets ni remords, il déchira sa lettre.

      Il sortit vers midi pour rejoindre ses témoins.

      –Je rentrerai à cinq heures, dit-il à Louis, qui ne se doutait pas des événements, ne t’éloigne pas, j’aurai peut-être besoin de toi.

      A quatre heures, une femme voilée se présenta; elle voulait parler à M. de Lansac. Le colonel ne recevait jamais de visites de ce genre; mais Louis, loin de s’en étonner, comprit pourquoi on lui avait ordonné de ne pas s’absenter. Il fit pénétrer la visiteuse dans le salon, l’assurant que M. de Lansac ne tarderait pas à rentrer. La porte refermée, il aspira l’air parfumé par le passage de la jeune femme et se frotta les mains avec vigueur.

      –Ah! murmura-t-il, nous allons nous réconcilier. La princesse est jolie, si elle est capricieuse, et mon maître a bon goût.

      Il était près de six heures lorsque le colonel descendit de voiture devant sa demeure. Louis, qui l’épiait et s’étonnait de ne pas le voir plus exact à un rendez-vous qu’il croyait convenu, se hâta de lui ouvrir.

      –Elle est là, monsieur, dit-il d’un air à la fois malicieux et mystérieux.

      –Qui? demanda le colonel.

      –La dame, celle qui sent bon.

      M. de Lansac était très pâle, ses traits se crispèrent. Il n’eut pas le temps d’empêcher Louis d’ouvrir la porte du salon, et il se trouva en face de Mme de Lesrel.

      –Vous! vous! s’écria-t-il.

      Elle s’avança vers lui, ne pouvant parler.

      –Vous! répéta de nouveau le colonel, comme épouvanté.

      –Moi, dit-elle enfin, qui

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