Les ailes brûlées. Lucien Biart
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Aussitôt après sa terrible scène avec M. de Lansac, Mme de Lesrel, impitoyable en apparence, était rentrée dans sa chambre pour se jeter sur un fauteuil. Le regard fixe, elle demeura longtemps immobile. Soudain elle appela ses femmes, se dépouilla fébrilement de sa parure, puis, sous prétexte de migraine, déclara qu’elle voulait être seule. Elle s’établit alors près de son feu, le front appuyé sur sa main. Parfois, elle se levait d’un bond, marchait, se tordait et revenait s’asseoir en pressant son mouchoir sur sa bouche pour étouffer des sanglots.
Durant cette entrevue où M. de Lansac s’était brûlé les ailes, Mme de Lesrel ne lui avait pas menti. Comme tant d’autres, on l’avait mariée sans qu’elle soupçonnât les conséquences de l’acte qu’elle accomplissait. L’amour, qui couronne parfois ces unions consacrées sans lui, mais qui s’en venge le plus souvent, n’était pas venu pour la jeune femme. Dans l’homme dont elle portait le nom, Mme de Lesrel–elle le disait en riant, et c’était vrai– n’avait jamais pu voir qu’un ami plus familier, par conséquent plus importun que les autres. Avant tout femme de luxe, esprit absorbé par les plaisirs superficiels, elle ignorait la passion, et tenait ingénument pour des exagérations ce qu’elle en entendait raconter ou en voyait.
Dès son entrée dans le monde, sa beauté, sa position, sa fortune, avaient attiré vers la brillante jeune femme les galanteries de tous ceux qui l’approchaient. Coquette par désœuvrement, par éducation, par malice, elle se faisait un jeu de prendre le cœur des braconniers qui lui demandaient le sien. Aucun de ses adorateurs, élevés comme elle dans la richesse et pour la richesse, n’était mort, en somme, des coups qu’il prétendait avoir reçus. La jeune femme malmenait des fats, froissait des amours-propres, et ne voyait là qu’une vengeance légitime. N’avait-elle pas le droit de désespérer un peu les galants qui, avec les formules les plus respectueuses, la suppliaient de leur livrer son honneur?
Il n’était que trop vrai que M. de Lansac, par son insensibilité apparente, avait excité la curiosité de la jolie femme. Etonnée de rencontrer un rebelle au joug qu’elle imposait d’ordinaire sans effort, elle voulut avoir raison de ce récalcitrant, et alla plus loin qu’elle n’avait coutume. La victoire lui était restée, mais non sans dommage pour elle. Le commerce de cet homme droit, sérieux, qui ne jouait avec aucun sentiment, qui ressemblait si peu aux Parisiens blasés dont elle vivait entourée, fit sentir à Mme de Lesrel tout le vide, toute la frivolité de sa vie mondaine. Elle se trouvait en face d’un caractère nouveau, d’un homme énergique, résolu, dont les timidités amoureuses l’intéressaient à un haut degré. Elle l’estima, se plut à le voir s’enthousiasmer, et fut bientôt surprise de se sentir inquiète, préoccupée, lorsque par hasard il ne se montrait pas à son heure accoutumée. Elle se sentait attirée vers lui par une force dont elle ignorait encore la puissance, et, le jour où le colonel avait cru découvrir qu’elle l’aimait, elle venait en effet de se brûler les ailes à la flamme qu’elle avait allumée.
Ce sentiment qu’elle éprouvait pour la première fois, dont elle ne chercha pas à s’expliquer la nature, ravit d’abord Mme de Lesrel. Elle se voyait aimée, sincèrement aimée, cette fois, et la vie lui apparut sous un aspect nouveau. Quoi! l’amour existait réellement? Ces comédies, ces drames, ces romans où il jouait un si grand rôle, n’étaient pas de pures conventions, de simples rêves de l’imagination? Le bandeau qui couvrait les yeux de l’ingénue coquette tomba soudain, elle apprit qu’elle avait une âme. Le trouble qu’elle ressentait en face de M. de Lansac, la joie qu’elle éprouvait de l’entendre vanter, les heures qu’elle passait à songer à lui, autant de sensations étranges, délicieuses. Mais bientôt ce bonheur eut ses amertumes. Les familiarités de son mari devinrent un supplice pour la jeune femme. Un jour, l’idée de fuir avec M. de Lansac traversa son esprit. Elle savait enfin ce que la passion renferme d’orages, à quels abîmes aboutissent ses sentiers d’abord fleuris.
Elle ne s’illusionna qu’un instant. Quelle que fût sa réserve présente, M. de Lansac, tôt ou tard, avouerait son amour. Cette déclaration, selon l’heure où elle serait faite, pouvait devenir un danger. La jeune femme eut peur d’elle-même! Toutes les délicatesses de sa fine nature se révoltaient à cette pensée. Souffrir, soit; se souiller, jamais. Sachant comment on se fait aimer, elle crut plus facile encore de se faire haïr, et se montra fébrile, capricieuse avec M. de Lansac, qui supporta ces épreuves en homme sincèrement épris, c’est-à-dire en baisant la main qui le torturait. Cette soumission rendit le danger plus grand pour Mme de Lesrel, toujours tentée de crier: je vous aime! à celui qu’elle venait de blesser.
Dans un moment d’énergie, elle provoqua l’aveu qu’elle redoutait, et brisa héroïquement son cœur en même temps que celui de l’homme qu’elle aimait.
La fièvre qui dévorait M. de Lansac n’épargna pas Mme de Lesrel, et, quinze jours après son sacrifice, la jeune femme savait déjà que, si tout danger de chute était désormais écarté, c’était au prix de son bonheur et de son repos. M. de Lansac devait la haïr, elle ressentait une mortelle douleur en songeant qu’il l’accusait, faute de comprendre qu’elle avait voulu rester digne de lui. Vingt fois elle fut tentée de lui écrire la vérité, il lui semblait que cette action soulagerait sa propre peine. Bientôt elle l’accusa à son tour; pourquoi, puisqu’il l’aimait, ne forçait-il pas sa porte? Peu à peu, comme il arrive aux âmes capables de nobles actions, elle s’exalta dans son sacrifice et goûta une joie amère de se sentir méconnue.
Après plusieurs semaines de séquestration volontaire, la jeune femme, sollicitée par son mari, et ne pouvant justifier son caprice de solitude, dut reprendre sa vie mondaine. Elle revit M. de Lansac et fut douloureusement impressionnée par son visage amaigri et ses regards fiévreux. Il vint la saluer et lui adressa quelques mots; elle s’inclina, trop émue pour répondre; ce fut tout.
A dater de cet instant, elle le rencontra partout où elle alla: au bal, au théâtre, à la promenade. Elle partit pour la mer et l’y retrouva, elle rentra à Paris en plein été et l’y retrouva encore. Il la saluait avec courtoisie; puis, grave, solitaire, il errait sans la perdre de vue.
Un soir, dans une réunion, il vint se placer près d’un groupe de jeunes femmes dont Mme de Lesrel faisait partie et parla des coquettes. Ses paroles, amères, ironiques, devenaient plus mordantes encore par sa façon de les accentuer. Il se sentit soudain prendre le bras, se retourna brusquement et reconnut Mauret, revenu depuis quelques jours d’Algérie.
–Je vous tiens enfin, lui dit le jeune homme avec bonne humeur, et en l’interrompant sans façon; dites-moi donc à quelle heure on vous rencontre, mon cher; je me suis déjà présenté chez vous trois fois, et Louis m’a reçu avec une mine de dogue mécontent.
M. de Lansac, après une seconde d’hésitation, suivit son ami, qui l’attirait doucement.
–Avez-vous donc été malade? demanda le jeune officier, surpris de la pâleur de M. de Lansac.
–Très malade, répliqua le colonel; mais je commence à prendre le dessus.
Parvenu près d’un balcon en ce moment désert, Mauret saisit la main de son ami.
–Que se passe-t-il? lui demanda-t-il aussitôt. Par le ciel! Lansac, je viens de vous entendre parler devant Mme de Lesrel d’une façon si blessante pour elle, que je n’ai pu m’empêcher d’intervenir.
–Votre Mme de Lesrel, répondit le colonel, m’a, par manière de jeu