Le meurtre d'une âme. Daniel Lesueur
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le meurtre d'une âme - Daniel Lesueur страница 14
—«La sentence du conseil est: la mort.»
Peu habitué à la solennité de ses fonctions, ce lourd officier brandebourgeois éprouva d'ailleurs un instant de trouble. Son visage pâlit. Il jeta un regard perplexe alentour, puis il ôta son casque, et s'adressant au condamné avec une certaine déférence:
—«Monsieur, vous serez fusillé au point du jour. Avez-vous quelque révélation à faire ou quelque désir à exprimer?
—Je voudrais,» dit Michel, «être exécuté devant le perron nord du château, du côté du parc, la figure tournée vers la façade, et qu'on ne me bandât pas les yeux.»
Le colonel consulta d'un signe ses subordonnés et répondit:
—«Le conseil vous l'accorde.»
Et il donna quelques ordres en allemand, après lesquels le condamné fut emmené hors de la salle.
Le volontaire garibaldien, devant la courtoisie tardive de son juge, avait eu, comme un éclair, la pensée de demander qu'on lui permît d'échanger quelques mots avec Mlle de Solgrès. Deux raisons avaient arrêté sur ses lèvres cette prière: l'improbabilité qu'on l'exauçât, car l'ennemi pouvait redouter la communication d'un secret important à cette jeune fille, dont le patriotisme et l'énergie sauraient en faire usage. Et aussi la crainte de compromettre celle qu'il aimait, soit dans son honneur de femme, soit dans sa sécurité et celle de sa famille. Amour ou complicité politique, tout lien soupçonné entre eux exposait Armande. Mais comment imaginer un tel lien s'il ne craignait pas de lui offrir le spectacle de son supplice? Lui seul la savait d'âme assez fortement trempée pour préférer cette vision atroce à la privation d'un suprême revoir. Voilà pourquoi il avait choisi la place de son exécution en face des fenêtres dont elle-même lui avait décrit plusieurs fois la disposition et la perspective.
L'aube d'hiver se débrouillait à peine des molles buées du dégel, ce n'était encore qu'une pâleur plutôt qu'une clarté, quand Mlle de Solgrès crut entendre un sourd roulement de tambour. Elle se dressa sur son séant, n'ayant même pas à s'éveiller, car elle n'avait pas dormi. «Quoi!» pensa-t-elle, «est-ce que les Prussiens se mettent en marche?... Quittent-ils le château? Oh! mais alors... Peut-être qu'ils emmènent Michel. Où vont-ils le conduire, mon Dieu? Si ce n'était que pour une confrontation dans le pays, on ne partirait pas si matin, ni surtout tambour en tête.»
Tandis qu'elle envisageait ces suppositions, Mlle de Solgrès s'était levée et revêtue d'un peignoir.
Le roulement de tambour reprit, bref et lugubre... Elle frissonna, et resta debout, l'oreille tendue. Qu'est-ce que cela voulait dire?... Une minute... Peut-être deux... Puis ce fut le même son d'horreur, un son qui ne trompe pas, qui roule et qui s'étouffe aussitôt, comme une répercussion de sépulcre. Mais cette fois, ce glas des tambours s'élevait juste sous ses fenêtres. Armande s'y précipita. Elle ouvrit une croisée. Toute la scène lui apparut.
Ce fut d'abord comme une hallucination, une pantomime de fantômes, dans le matin livide... Mais bientôt tout se précisa. En même temps que la signification terrible frappait l'esprit d'Armande, le jour grandissant dévoilait les détails à ses regards. En face d'elle, sur la pelouse, se tenait debout, les mains liées derrière le dos, celui qui allait mourir. Un souffle dissipa la brume. Soudain il fit clair. Alors, elle vit les yeux de son amant...
Ils s'attachaient à elle, souriants, fiers, brûlants d'amour. Une telle fascination sortait d'eux, une volonté si impérieuse et si tendre, que dès lors et jusqu'à la consommation du drame, elle fut leur chose, agonisante et pantelante, mais extasiée et soumise.
D'abord elle avait tendu les bras, sa bouche s'était ouverte pour une clameur de désespoir et de démence... Mais les yeux, les chers yeux souverains lui avaient dit: non! Un battement de paupières, un signe imperceptible de la tête, une supplication surhumaine des prunelles... La malheureuse amante avait compris... Pourquoi la révolte insensée et inutile, quand elle pouvait donner à celui qui allait mourir l'enchantement d'une sublime communion d'âmes? Rien n'eût sauvé le condamné devant lequel s'armaient les fusils du peloton d'exécution. Mais quelque chose pouvait lui cacher l'atrocité de cette fin soudaine, en pleine jeunesse, et c'était l'exaltation passionnée que lui verseraient les regards d'une femme. Elle lui jeta donc, de toutes ses forces éperdues, ce philtre d'enivrement, d'enthousiasme. Il devint radieux comme le martyr qui voit le ciel ouvert et livre aux bourreaux une chair désormais insensible. D'un geste, il écarta le mouchoir par lequel on voulut encore lui épargner la vue de l'appareil meurtrier. A quoi bon? Il ne voyait pas les fusils braqués, l'officier prêt à donner l'ordre... Il ne voyait que ce blanc visage de femme, ces yeux enflammés d'une tendresse héroïque, ces lèvres gonflées d'un immortel baiser, ces mains crispées et jointes... Créature d'amour et de douleur, qui représentait à la fois l'épouse élue et la patrie d'adoption, celle pour laquelle il aurait voulu vivre, mais aussi celle pour laquelle il était fier de mourir.
Un éclair multiple jaillit. Un faisceau de détonations vibra dans l'air humide et sonore.
Armande de Solgrès, cramponnée à l'appui de la fenêtre, spectatrice plus foudroyée mille fois que le cadavre abattu sur l'herbe, ne bougea pas, ne trembla pas, ne cria pas. Elle attendit encore que la fumée de la poudre se fût effacée, brume dans la brume, parmi l'atmosphère bleuâtre... Alors elle vit le corps étendu sur la face. Un sous-officier s'avançait, qui se pencha, dirigeant vers l'oreille le canon d'un revolver, pour donner le coup de grâce.
Elle ne perçut pas la suite... Le surhumain courage avait suffi à la surhumaine épreuve, mais ne dura pas au delà. Mlle de Solgrès perdit connaissance. Elle glissa, tomba, et resta étendue sur le tapis de sa chambre, tandis qu'au dehors un pâle soleil de février commençait à dorer les arbres du parc.
Конец ознакомительного фрагмента.
Текст предоставлен ООО «ЛитРес».
Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию на ЛитРес.
Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.