Le meurtre d'une âme. Daniel Lesueur

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Le meurtre d'une âme - Daniel Lesueur

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prendre comme dans une souricière?

      Tout à coup, les deux soldats, dans une alerte dont le saisissement fut visible, sautèrent, se bousculèrent, s'engouffrèrent dans la maisonnette. Puis ce fut tout autour le désert et un silence d'énigme. Armande n'y tint plus. Elle s'élança, dévala parmi les arbres, sans souci des sentiers, et ce fut seulement à l'approche du but qu'elle songea à se composer un maintien, à prendre un air indifférent. Quel coup lorsqu'elle entra!... Ce qu'elle n'avait pas osé prévoir, pour se persuader qu'une telle catastrophe n'appartenait pas au domaine du possible, devenait une réalité. Michel,—son Michel!...—était aux mains des soldats prussiens, qui, brutalement, exploraient ses effets, retournant les poches et palpant les doublures.

      —«Qu'est-ce que cet homme a fait, monsieur le colonel?...» demanda Mlle de Solgrès, d'une voix comme affaiblie, lointaine, qui l'interloqua elle-même.

      Le chef brandebourgeois se retourna, et tout le sang d'Armande se glaça dans ses veines quand elle vit le sillon rouge balafrer la redoutable figure. Lui, apercevant la jeune châtelaine, portait maussadement deux doigts à hauteur de visière.

      —«Cet homme est quelque espion, mademoiselle,» répliqua-t-il, sans remarquer le mouvement fier qui, chez son prisonnier, protestait contre un tel mot. «Et, en outre, il a tenté de m'assassiner.»

      C'était net. Aucune fable n'effacerait ce fait d'une agression, trop évidente par la blessure du chef allemand, et dont Armande ne pouvait imaginer les circonstances. Elle eut vers Occana un coup d'œil de désespoir, mais en même temps d'approbation, comme pour lui dire: «Tu exposais plus que ta vie...—ta mission sacrée! Donc, tu n'as pu agir que pour un motif supérieur.»

      Mais quelle surprise pour trois des acteurs de de cette scène,—car les soldats, ne comprenant que les ordres jetés par leur colonel dans leur langue, étaient revenus à leur immobilité d'automates,—lorsque Louise Bellard se leva, chancelante, et vint se jeter aux pieds de sa jeune maîtresse. Armande l'avait vue à demi pâmée,—par l'effroi, supposait-elle,—et ne lui attribuait aucun rôle direct dans ce qui se passait. Mais, dès que la paysanne ouvrit la bouche, elle comprit. L'éclair de la vérité lui jaillit aux yeux, tandis que lui apparaissait l'admirable ruse de cette simple femme.

      —«Oh! mademoiselle,» gémissait la Louison, «qu'allez-vous penser de moi?... Mais il faut bien tout vous dire... C'est mon bon ami, mademoiselle... Il me fréquentait depuis quelque temps... Il était dans ma chambre... Et comme il a cru voir par le carreau de la porte que monsieur l'officier me tarabustait un peu,—histoire de rire...—alors il a perdu la tête... Ah! mon Dieu!... Qu'est-ce qu'on va lui faire?»

      Si l'histoire était vraisemblable, l'accent, l'expression l'étaient encore davantage. Comédie sublime, qui suggestionna si fortement Mlle de Solgrès que celle-ci, sans hésiter, y prit son rôle par cette réponse:

      —«Toi, Louison!... Un galant!... Et pendant que ton mari se fait tuer peut-être! Ah! malheureuse!...»

      Louise, prosternée, sanglotait, le visage dans ses mains. Puis, tout à coup elle se releva, se tourna vers l'Italien, et l'apostrophant:

      —«C'est ta faute aussi, grand bêta!... Grand jaloux! Tu avais bien besoin d'arriver là comme un brutal!... Monsieur l'officier n'est pas capable de forcer une femme qui ne veut pas... Et si je voulais, c'était mon affaire.»

      Aucune psychologie n'atteindra en profondeur la finesse féminine. Cette paysanne trouvait ce qu'il fallait dire pour atténuer le dépit furieux du colonel et la confusion qu'il commençait d'éprouver devant Mlle de Solgrès. Tel fut le soulagement du Prussien et sa hâte de terminer la ridicule aventure, qu'il fut à deux doigts de laisser immédiatement aller son captif. Il ricanait sans déplaisir, retroussait sa moustache, et se tournant vers la jeune châtelaine, il se disposait à lui présenter quelque excuse galamment cavalière pour tant de bruit à propos de rien, lorsque, dans son mouvement, il rencontra les yeux de l'étranger. Le visage pâle et impassible de Michel, son regard fulgurant, marquaient une hauteur peu d'accord avec la vulgaire intrigue dont on le donnait pour héros. Son silence acquiesçait, mais c'était tout. Il n'offrait rien de l'embarras d'un rustre qu'un téméraire accès de vivacité aurait emporté dans un mauvais pas.

      —«Comment vous appelez-vous, mon gaillard?» demanda rudement l'officier.

      La Louison s'écria impétueusement:

      —«Mais c'est monsieur Michel. Il demeure à la ville et vient me voir en cachette.

      —Taisez-vous!...» tonna le Prussien. «Et vous, répondez!» ordonna-t-il à cet amoureux si étrangement muet.

      —«Mon nom est Michel... André Michel,» fit l'Italien.

      —«Où demeurez-vous?

      —Ordinairement à Paris. Mais j'en suis sorti avant le blocus. Ces derniers temps j'étais à Étampes.

      —Où cela?

      —A l'hôtel des Trois-Rois,» répliqua vivement Occana, qui, par bonheur, connaissait le nom de cet hôtel.

      Il ne douta pas que Mlle de Solgrès ne trouvât rapidement moyen d'aviser le patron, un bon patriote, qu'il eût à mystifier le chef allemand.

      —«Pourquoi ne servez-vous pas à l'armée?» interrogea encore celui-ci.

      —«Je ne suis pas citoyen français. Mes parents étaient Italiens,» déclara Michel avec toute l'assurance de la vérité.

      —«C'est bien. On contrôlera vos dires. Et gare à vous si vous avez menti!» conclut l'autre d'un air menaçant. Puis, s'adressant à ses hommes, il leur donna un ordre dans leur langue.

      Aussitôt ceux-ci prirent chacun un bras de Michel, et, marquant le pas comme à la parade, leurs bottes martelant le sol en mesure, ils l'emmenèrent hors de la maison.

      —«Ne soyez pas trop sévère pour cet écervelé, monsieur le colonel,» intervint Armande, qui parvint presque à poser sa voix et à prendre une attitude détachée. «L'ambassadeur italien est un ami de ma famille. Je serais désolée que quelque complication survînt avec ses nationaux par la faute d'une de mes servantes.

      —Je n'oublie pas les égards qu'on doit aux neutres, quand ils restent neutres,» dit l'officier prussien en appuyant sur les derniers mots. «J'ai l'honneur de vous saluer, mademoiselle.»

      Lorsqu'il fut sorti, avec sa raideur allemande, Louise dévoila son visage, obstinément enfoui depuis un moment dans son tablier. Elle vit disparaître la lourde silhouette, et sa rage de femme outragée, son désespoir de la catastrophe possible, s'exhalèrent en invectives:

      —«Ah! le cochon!... le cochon!...» répétait-elle à dix reprises, dans une frénésie écumante, tendant son poing fermé dans la direction de la porte.

      —«Tais-toi, Louise... Regarde-moi,» dit Armande avec autorité.

      La paysanne obéit.

      —«Si Michel sort du château sain et sauf, il le devra à ta présence d'esprit. Tu as été admirable, Louise... Laisse-moi t'embrasser.

      —Ah! mademoiselle,» s'écria l'humble femme en sanglotant... «Je lui devais bien ça... C'est en voulant me défendre qu'il...

      —Assez... Je sais... Je devine... Maintenant,

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