Le meurtre d'une âme. Daniel Lesueur

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Le meurtre d'une âme - Daniel Lesueur страница 5

Автор:
Серия:
Издательство:
Le meurtre d'une âme - Daniel Lesueur

Скачать книгу

masquée. C'est là que venaient d'entrer l'émissaire de Garibaldi et ses deux compagnes. Tout de suite ils ressentirent le bien-être relatif de cet endroit sec et abrité, à la température douce de cave. A mesure qu'ils y avançaient, la tiédeur ambiante augmentait. Maintenant ils osaient faire de la lumière. Les petits cristaux du grès scintillaient sur la blancheur des murailles. Le sable fin formé par cette pierre pulvérisée était souple et chaud comme du velours pour leurs pieds transis et meurtris.

      Les jeunes femmes conduisirent Michel jusqu'à la porte de fer qui donnait accès dans le parc. Louise, comme femme du garde, en avait une clef. Elle l'introduisit dans la serrure et fit jouer le lourd battant.

      —«Si la neige fond, je viendrai vous voir par ici,» dit-elle.

      —«Donne cette clef à Monsieur,» ordonna sa maîtresse.

      Louise hésita, étonnée.

      —«Si un danger le menace du dehors, il pourra se réfugier chez nous.»

      Malgré sa confiance et sa pitié, la Louison trouvait grave l'abandon de cette clef à un inconnu. Cependant elle ne put qu'obéir.

      —«Nous allons,» dit Armande à Michel, «vous laisser des allumettes, des rats-de-cave, la gourde d'eau-de-vie, et ce châle que j'ai emprunté à Louison.»

      En parlant, elle l'ôtait de ses épaules.

      —«Je ne veux pas,» dit l'Italien.

      —«Et moi, je le veux,» insista Mlle de Solgrès, avec un sourire qui para son visage d'une grâce inattendue.

      Déjà, elle portait ce rayon ineffable qui se pose avec l'amour sur le front des femmes, divinisant les plus belles et donnant du charme aux moins favorisées.

      On installa l'Italien dans une cavité, retirée comme une alcôve. Puis, malgré ses protestations, Armande et Louise promirent de faire immédiatement un autre voyage pour lui apporter quelques objets de première nécessité.

      Les vaillantes créatures le firent comme elles l'avaient dit. Bravant une seconde fois presque les mêmes fatigues et le froid encore accru, elles revinrent une heure plus tard, avec une couverture, un panier de provisions, un réchaud à alcool, une cruche d'eau et un peu de linge.

      Avant de se retirer pour la nuit, Armande voulut encore une fois panser la blessure de Michel. Et, sans doute, il y eut à ses doigts légers quelque influence miraculeuse, car, lorsqu'elle fut partie, le volontaire garibaldien ne sentit plus la cuisson et le battement douloureux de sa blessure. Une autre fièvre éloigna de ses yeux le sommeil. Cependant, c'était un lit presque confortable que le sien, creusé dans le sable moelleux, sous la bonne épaisseur de la couverture et du châle, que le jeune homme ramenait autour de ses membres. Vraiment la couche était presque voluptueuse pour un soldat qui, depuis plusieurs jours, dormait à la belle étoile, et, la veille, sur une planche, dans un poste ennemi. Pourtant Michel Occana restait les yeux ouverts parmi ces ténèbres et ce silence, absolus comme au fond d'une tombe. Et il se disait:

      «Elle viendra tôt, demain, la noble fille. Quel caractère tout de même, chez une femme! Si Dieu le veut, je la ferai connaître à Garibaldi. Il verra en elle une sœur d'âme de son intrépide Anita.»

       Table des matières

       LES BAISERS TRAGIQUES

Lettre D.

      Des jours émouvants commencèrent pour Armande de Solgrès. La neige couvrait toujours le sol. Dans les salles d'apparat du château, de grands feux flambaient sans cesse, alimentés par les squelettes dépecés des plus beaux arbres du parc. Parmi la clarté dansante, de rudes silhouettes allaient et venaient, casquées et bottées, avec un laisser-aller plein d'arrogance. On entendait dans les escaliers des cliquetis de sabres et d'éperons. Le soir, il y avait des chants, des rires, des bruits de bombance, tout l'étalage d'une insultante sécurité. En haut, dans la très simple chambre où les châtelaines, la mère et la fille, s'étaient réfugiées, des échos montaient qui les faisaient à tout instant tressaillir et se regarder avec douleur. Mme de Solgrès, malade et s'enfonçant avec une âpre satisfaction dans une langueur qu'elle espérait mortelle, ne quittait pas son lit. Elle ne parlait pas, ne s'informait pas, ne demandait aucune nouvelle. Seuls ses yeux s'entretenaient parfois brièvement et lugubrement avec ceux de sa fille. Mais une telle détresse même n'unissait pas ces deux femmes. La mère, éprise de son rang, naguère uniquement occupée de son rôle mondain, ignorait tout de l'enfant rustique, rebelle aux grâces des salons. Elle l'avait toujours jugée laide, inéducable, et ne lui accordait qu'une affection distante, dédaigneuse. Si elle avait pu discerner quelque chose en cette nature si éloignée de la sienne, peut-être se fût-elle inquiétée du rêve qui dorait et embellissait les yeux de la jeune fille. Une exaltation dévorante faisait vivre mille fois à Armande chacune des heures immobiles. Tandis qu'elle semblait si calme à ce morne chevet, ou bien assise à sa broderie près du jour froid de la fenêtre, elle ne songeait qu'à son secret brûlant. Ce souterrain, là-bas, où elle cachait un homme... un héros!... Elle y était allée ce matin, avant que le jour se levât. Elle y retournerait tout à l'heure, quand descendrait la tristesse du soir. Mais les crépuscules, pour elle, n'avaient ni livides pâleurs, ni brumes glaciales. Elle ne sentait pas le froid, elle oubliait la pesanteur de tout l'attirail dont elle se chargeait à chaque voyage pour apporter quelque bien-être dans la réclusion de son hôte.

      Le volontaire garibaldien n'avait pu repartir si tôt qu'il l'espérait. Sa blessure mettait du temps à se cicatriser. Puis, sa hâte maintenant n'était pas si grande. Quel homme de son âge, arrêté malgré lui par une si singulière aventure, n'en eût goûté la saveur romanesque, fût resté insensible à la sollicitude passionnée d'une fille héroïque et naïve. Lui, il ne la trouvait pas laide. D'ailleurs, elle ne l'était pas, quand elle accourait dans sa solitude, d'un pas élastique et hardi, et qu'il la voyait surgir dans son cercle étroit de lumière, toute rosée de froid, avec du givre sur la lourde auréole des cheveux fauves, les prunelles brillant d'enthousiasme et d'amour. Oh! comme le cœur de Michel battait, quand, après l'interminable attente, il croyait saisir un bruit furtif, la poussière craquante du grès criant sous une approche hâtive. Leur angoisse à tous deux aiguisait la joie de la rencontre. Armande avait toujours peur de ne pas le retrouver là. Michel se demandait si quelque accident, quelque surprise, ne le priverait pas brusquement de ces visites, dont chacune lui laissait un plus pénétrant souvenir.

      Un jour, la jeune fille arriva plus tard que de coutume et toute bouleversée d'émotion. Dans le bois, non loin de la caverne, elle avait rencontré deux soldats prussiens qui battaient les taillis et semblaient examiner les moindres fissures du sol. Elle avait dû faire un grand détour pour ne pas éveiller leur attention.

      —«Ils avaient un chien avec eux et l'excitaient à chercher,» dit-elle.

      —«Bah!» s'écria Michel avec une feinte insouciance, «ils s'amusaient à débusquer des blaireaux ou des hérissons...

      —S'ils découvraient ainsi l'ouverture du souterrain?...»

      Le jeune homme eut un sourire et un geste vague.

      —«Le colonel qui loge ici n'oserait pourtant pas vous faire tuer, vous, un soldat?..» murmura-t-elle comme effrayée des mots qu'elle prononçait.

      —«Comment donc!»

Скачать книгу