La 628-E8. Octave Mirbeau
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу La 628-E8 - Octave Mirbeau страница 6
Ils ne risquaient rien, ni le mécanicien, ni le garage, car ils tablaient à coup sûr, sur l'ignorance du client, à qui il suffisait, pour qu'il se tût, qu'on lui lançât à propos une belle expression technique:
—Mais, monsieur, c'est le train baladeur. C'est l'arbre de came... C'est le cône d'embrayage... C'est le différentiel... Le différentiel, monsieur... pensez donc!
Contre de si terribles mots, que vouliez-vous qu'il fît?... Qu'il payât... Et il payait... Il se montrait même assez fier d'avoir acquis le droit de dire à ses amis:
—Je suis ravi de ma machine... Elle va très bien... Hier, j'ai eu une panne de différentiel...
Aujourd'hui que le commerce de l'automobilisme se développe de tous côtés, amène une concurrence formidable, tend à rentrer dans les conditions normales des autres commerces, les garages voudraient bien refréner le mal qu'ils ont déchaîné... Ainsi les escrocs arrivés, les cocottes vieillies aspirent à l'honorabilité d'une existence décente et régulière. Dans l'espoir de faire disparaître une partie de ces abus qui finissaient par les discréditer, eux aussi, la chambre syndicale des constructeurs d'automobiles a décidé de refuser impitoyablement, aux mécaniciens, des commissions, sur les réparations des voitures qu'ils mènent. On commence, un peu partout, à prendre des précautions, pour ramener à des pourcentages avouables le taux de ces bénéfices usuraires. On voit dans les garages, ceux qui furent les plus acharnés, hier, à inculquer aux mécaniciens les meilleurs procédés de brigandage, leur prêcher, aujourd'hui, d'un ton convaincu, les beautés de la modération et du désintéressement, le respect enthousiaste de la morale. Les garages leur crient:
—Il n'est que d'être honnête, mes amis, et d'avoir une conscience pure.
Reste à savoir si des gens habitués à des gains qui, pour être immoraux, n'en ont pas moins augmenté leur vie, élargi leur bien-être, fondé une caste, enviée des autres travailleurs, y renonceront facilement...
Un jour, Brossette, avec qui je discutais de ces choses, me dit:
—Eh bien, quoi, monsieur?... Quoi donc?... Tout ça c'est des histoires de riches... Alors?
Et pourtant Brossette est conservateur, nationaliste, clérical. En dehors de L'Auto, il ne lit que La Libre Parole... Encore aujourd'hui, il croit fermement à la trahison de Dreyfus, comme un brave homme.
Mon chauffeur.
Brossette—Charles-Louis-Eugène Brossette,—est né en Touraine, dans un petit village, près d'Amboise. Jusqu'à vingt ans, il a travaillé, chez son père, maréchal-ferrant, et là, il a pris, en même temps que le goût des chevaux, le goût de «la mécanique»: les deux choses qui ont fait sa vie. Son service militaire terminé, son père, un des plus parfaits ivrognes de la région, étant mort, le jeune Charles Brossette est entré, comme charretier, dans une grande ferme, puis, comme cocher, chez des bourgeois riches. Il aimait bien les chevaux, les connaissait à merveille, les menait et les soignait de même, mais il détestait la livrée. Ses divers patrons souffraient de ce qu'il fût toujours «ficelé comme quat'sous». Il n'a pas changé, d'ailleurs.
Lorsqu'on commence à parler de l'automobile, Brossette comprend aussitôt qu'il y a quelque chose à faire «là-dedans». Il a des économies—car, contrairement aux lois de l'hérédité, il est sobre et même un peu avare—et il s'en vient à Paris, pour apprendre ce nouveau métier, dans un garage. Il est intelligent, adroit; il s'y passionne. Ce lourdaud de province en remontre bien vite aux lascars parisiens les plus délurés. Il va d'usine en usine, de garage en garage, se familiarise avec tous les types de voiture, conduit des cocottes, des boursiers, des ducs, fait des voyages, prend part à des enlèvements de jeunes filles et à des épreuves de tourisme.
Il revenait d'Amérique, un peu désillusionné, quand je le rencontrai, lui cherchant une voiture, moi, un mécanicien. Au cours de nos pourparlers, je lui demandai son opinion sur l'Amérique.
—Rien d'épatant, monsieur, me répondit-il. L'Amérique? Tenez... c'est Aubervilliers... en grand!
L'observation était, sans doute, un peu courte. Elle m'amusa. J'engageai Brossette.
J'eus d'abord de la peine à m'habituer à lui... Et puis, je m'y habituai, comme à un vice.
Brossette est le produit du garage.
Il ne sait pas très bien distinguer entre ce qui m'appartient et lui appartient, et confond volontiers ma bourse avec la sienne. Depuis trois ans, l'extraordinaire, c'est que le réservoir d'essence de ses voitures, grâce à une fatalité diabolique, a sans cesse des trous, des trous invisibles, par où la motricine coule et fuit, et qu'on ne peut pas arriver à boucher... Exemple fâcheux, et contagion plus rare, le réservoir d'huile imite son voisin à la perfection.
À chaque fin de mois, lorsque Brossette m'apporte son livre, la même conversation s'engage, chaque fois, entre nous...
—Voyons, Brossette, je n'y comprends rien. Le mardi 17, vous me marquez cinquante-cinq litres d'essence.
—Sans doute...
—Bon. Le mercredi 18, encore cinquante-cinq litres...
—Bien sûr...
—Bon... Mais rappelez-vous?... Le mercredi, nous ne sommes pas sortis...
—Évidemment... sans ça!...
—Et je vois que, le jeudi 19, c'est encore cinquante-cinq litres...
—Naturellement... Monsieur sait bien... Ce sacré réservoir!
—Et l'huile? Vous ne me ferez jamais croire...
—Le réservoir aussi!... C'est facile à comprendre. Ils fuient... Tout s'en va...
—Réparez-les, sapristi!
—Mais je ne fais que ça, monsieur! Je m'y tue... je m'y tue... On ne peut pas!
Il m'est pénible de prendre ce brave garçon en flagrant délit de mensonge et de vol... Et puis, quoi?... Tout ça, c'est des histoires de riches... Je