La 628-E8. Octave Mirbeau

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La 628-E8 - Octave  Mirbeau

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la culbute dans le canal... Pour l'Allemagne, c'est un pays encore plus dangereux... Rappelez-vous la guerre de 70... Ce qui va vous arriver... c'est effrayant!

      On leur avait conté de terrifiantes anecdotes sur l'hostilité des populations, l'implacable rigueur des règlements, la tyrannie sanguinaire des autorités... Il semblait qu'il fût plus facile et moins périlleux de pénétrer à la Mecque, à Péterhof ou à Lhassa, qu'à Cologne et à Essen...

      —Et les routes!... Quelque chose d'affreusement préhistorique... Pas de vicinalités, dans ces pays-là... pas de ponts et chaussées!... Admettons, pour un instant, que les populations ne vous massacrent point; que vous sortiez, à peu près intacts, votre automobile et vous, des griffes de l'autorité... jamais vous ne sortirez de ces routes-là... Des cloaques,... des fondrières,... des abîmes... L'accident certain,... la prison probable,... la mort possible... Voilà ce qui vous attend... Mais vous ne connaissez pas les Allemands. Tenez, pendant la guerre, nous avons dû loger, à la campagne, un escadron de uhlans... Savez-vous ce qu'ils faisaient?... Ils mangeaient le cambouis de nos voitures... Mais oui... tel est ce peuple, mon cher...

      Si bien qu'ils avaient hésité longtemps à m'accompagner, dans ce voyage, qui, pour toutes sortes de raisons, leur tenait à cœur... Aussi, avant de partir, s'étaient-ils munis copieusement de toutes les recommandations politiques, diplomatiques, militaires et douanières... Nous avions un portefeuille bourré de certificats, d'attestations, et d'admirables lettres d'une très belle écriture, ornées de cachets rouges imposants. Les papiers hollandais disaient: «Nous prions les autorités, etc.» Les papiers allemands disaient: «Ordre est donné aux autorités.» Il y a avait là une nuance plutôt rassurante... Mais, le moment venu de les mettre à l'épreuve, qu'allaient-ils peser, devant tant de barbarie?...

      La douane allemande.

      Ce qui nous arriva, quand nous franchîmes la frontière allemande, à Elten...

      Nous venions de passer un mois merveilleux, un mois enchanté, en Hollande, dans la douce et claire Hollande, encore tout émus de ses paysages de ciel et d'eau, de ses villes penchées, de ses musées. Il ne nous était rien arrivé de fâcheux, au contraire. Ici un accueil réservé et, au fond, bienveillant; là, une hospitalité enthousiaste. Même en Frise, où une automobile est une bête presque inconnue, où la curiosité hollandaise se montre parfois gênante, nous n'avions suscité qu'une sorte d'étonnement respectueux... Du moins, cet étonnement, c'est ainsi que je me plus à le qualifier... Quand on file sur les routes frisonnes, on voit, à chaque minute, passer des hommes au visage placide, qui mènent ces admirables chevaux, dont la peinture hollandaise consacre les belles formes rondes, de ces chevaux très noirs, à la haute encolure, à la robe luisante, qui s'accordent si bien avec le paysage et décorent nos corbillards parisiens avec tant de majesté... Ils s'arrêtaient pour nous considérer, laissant s'emballer leurs bêtes surprises... Je garde le souvenir de celui que nous fîmes, en cornant, se retourner de loin, et qui, sans plus se soucier de son cheval parti et galopant, à fond de train, dans le polder, demeura pétrifié d'admiration, immobile au bord de la route, son chapeau à la main...

      Je me rappelais aussi qu'à Edam, ayant laissé l'automobile à la garde de Brossette, pour prendre le coche d'eau qui mène à Volendam, nous avions été entourés, subitement, par les habitants de tout le village... Il y avait là de jolies filles souriantes, parées de bijoux et de dentelles; il y avait surtout des hommes, dont l'aspect nous inquiéta. Ces colosses, calmes et rasés, très beaux sous leurs bonnets de peau de mouton et dans leurs amples culottes bouffantes, me faisaient penser à ces paysans héros, leurs ancêtres, qui boutèrent, hors de leur République, notre bouillant Louis XIV, ses fringantes cavaleries, ses infanteries si bien dressées, ses cuisines et ses dames, non sans garder quelques bannières et drapeaux, et quelques canons historiés. Et je m'imaginai qu'ils examinèrent ces trophées du même regard fier et conquérant dont leurs descendants examinaient notre machine... À notre retour de Volendam, j'appris de Brossette, qu'il avait été traité royalement et que ces braves gens lui avaient offert un banquet.

      —Seulement, expliqua Brossette,... j'ai dû en promener quelques-uns,... les notables de l'endroit,... et y aller d'une conférence sur le mécanisme...

      —Vous savez donc le hollandais? lui demandai-je...

      —Non, monsieur... Mais il y a les gestes... C'est égal... ce sont des types, vous savez!... Et je ne m'y fierais pas...

      Oui, mais l'Allemagne?... Ses douaniers rogues, ses terribles officiers, son impitoyable police? Les épreuves allaient maintenant commencer. Je regrettai, ah! combien je regrettai, à ce moment, de n'avoir pas l'âme chimérique de M. Déroulède, pour, d'un geste, rayer à jamais de la carte du monde ce barbare pays!

      Nous arrivâmes, venant d'Arnheim, vers quatre heures de l'après-midi, à Elten. Je cherchai longtemps où pouvait bien être la douane... On m'indiqua un petit bâtiment, modeste et familial, que nous eûmes la surprise de trouver vide... Je heurtai les portes et appelai vainement, plusieurs fois... À grand'peine, je finis par découvrir une bonne femme, assise, dans le coin d'une pièce, et qui reprisait pacifiquement des bas... Elle avait de larges lunettes, un visage vénérable et très doux. Elle était sourde. Près d'elle, un chat jaune dormait, roulé en boule sur un vieux coussin... Un pot de terre chantait sur la grille d'un fourneau. J'eus beau inspecter la pièce, pas le moindre appareil de force, nulle part... pas de râtelier avec sa rangée de fusils,... nul casque à pointe,... pas même un portrait de l'Empereur Guillaume, aux murs... Je crus que je m'étais trompé. Avec beaucoup de difficultés, je mis la bonne femme au fait de ce qui m'amenait.

      —Oui... oui, fit-elle, en se levant pesamment... c'est bien ici...

      Elle posa ses lunettes et son ouvrage sur une table encombrée de paperasses, de registres, de livres à souche. Le chat réveillé s'étira voluptueusement... Elle dit en souriant:

      —Un beau temps pour voyager... Na!... Venez avec moi... C'est à deux pas...

      Nous traversâmes la rue. Elle me fît entrer dans un cabaret où un gros homme, très rouge de figure et très court de cuisses, fumait sa grande pipe, assis devant une chope de bière... Quoiqu'il fût tout seul, il semblait s'amuser extraordinairement. Peut-être songeait-il à nos défaites, à ses victoires? Car, à quoi peuvent bien songer les Allemands?—La femme lui dit quelques mots.

      —Ah! ah! fit le gros homme... Très bien... très bien! Nous allons voir ça...

      Je remarquai alors qu'il était coiffé, assez comiquement, d'une casquette anglaise, qui lui collait au crâne, et que ses vêtements, déteints, ne rappelaient l'uniforme que par deux ou trois boutons de cuivre et par un liséré, où le rouge ancien reparaissait, çà et là, à de longs intervalles... Nous sortîmes.

      Il tourna autour de la voiture, l'examina avec une curiosité réjouie... Brossette le suivait, prêt à ouvrir les coffres à la première réquisition... Moi, j'extrayais de ma poche le fameux portefeuille... Et tel fut le dialogue qui s'engagea entre un citoyen français et un douanier allemand:

      —Ça va bien, hein?

      —Assez bien...

      —Ça va vite?

      —Assez vite, oui.

      —Trente kilomètres?

      —Oh! Plus... plus...

      —Sacristi!... C'est joli... c'est joli...

      Il passa la main sur la poire de la trompe, gonfla ses joues, souffla:

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