Le Tour de l'Espagne en Automobile. Pierre Marge
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Béziers est une ville animée, gaie et toute blanche qui, vivant de la vigne, surgit tout à coup au milieu des pampres. Du côté sud la ville s'étage sur une colline couronnée par son antique cathédrale, l'effet est très pittoresque.
Un peu après Béziers on traverse le canal du Midi, qui depuis des années ronge son ambition de faire communiquer un océan avec une mer et qui, en attendant de porter des cuirassés, porte des quantités de barques chargées de tonneaux.
Narbonne: à midi, l'auto s'arrête devant l'hôtel de la Dorade, où nous allons déjeuner. Narbonne! Marcellin Albert, le docteur Ferroul, que faites-vous maintenant? Il y a un mois seulement que se déroulait ici la sanglante épopée de la Vigne en révolte. A voir cette cité si calme, cette ville à l'air mort, ces habitants tranquilles, on ne dirait pas qu'hier le sang coulait dans les rues et qu'un formidable soulèvement des vignerons faillit renverser le gouvernement de la République!
La tête pleine de ces souvenirs, nous nous mîmes à table. Je ne sais si ces idées tragiques nous coupaient l'appétit ou si réellement la cuisine de l'hôtel de la Dorade était détestable, mais très véridiquement nous fîmes un bien piètre repas.
Après déjeuner, nous constatons avec terreur que le soleil chauffe de plus en plus; ce ne sont plus des rayons, mais bien des jets de plomb fondu que cet astre cruel verse sans discontinuer sur nos malheureuses têtes. En route cependant, et cherchons dans le mouvement de l'auto l'air qui manque totalement ici!
On passe non loin de la Nouvelle, le port de Narbonne. On sait que Narbonne, au temps des Romains, capitale de la Gaule narbonnaise, était aussi l'un des principaux ports de la Méditerranée; au quatorzième siècle, son port s'étant ensablé, la ville perdit sa qualité maritime. Depuis, elle a cherché, par la création de ce nouveau port, à ressaisir quelques bribes de sa prosperité d'autrefois, mais hélas! sans y parvenir.
A gauche la mer, les étangs.
Au loin une vapeur légère, une imprécise ligne bleuâtre qui se dessine et se fixe peu à peu à mesure qu'on avance: ce sont les Pyrénées.
La terre est rouge, les maisons sont rouges, les chèvres, d'une espèce particulière, sont rouges, les chiens, les chats, rouges. Tout est rouge ici, sauf la route qui est diablement blanche!
Perpignan, que nous effleurons seulement, nous apparaît assez insignifiante. La vieille ville, située au bord de la Têt, a cependant un certain air pittoresque. Elle est entourée de grands ombrages sous lesquels les indigènes viennent narguer l'irritant soleil de leur pays.
Puis une route étroite et détestablement entretenue nous rapproche de plus en plus des Pyrénées; les vastes plaines de ce matin ont fait place aux collines et aux ondulations qui font pressentir les hautes montagnes dans lesquelles nous allons entrer tout à l'heure. La monotonie est maintenant remplacée par l'intérêt qu'on rencontre toujours dans les pays montagneux.
A partir de Prades, on sent qu'il y a quelque chose de changé dans les mœurs et dans les gens; les habits, les types, ne sont plus ceux que nous avons l'habitude de voir, on dirait que nous voyons un nouveau peuple; c'est l'Espagne qui se rapproche et ces types inconnus doivent avoir quelque chose d'espagnol!
Villefranche-de-Conflent est un vrai spécimen de petite ville du moyen âge avec ses triples murailles très bien conservées, ses étroites maisons, ses tours, son château; assise au fond d'une gorge étranglée, où coule la Têt, elle forme un spectacle extrêmement curieux.
A partir d'ici nous sommes en pleines montagnes, au milieu des Pyrénées. La vallée va se resserrant à mesure que s'élève la route aux flancs des monts; parfois on a des échappées sur les hauts sommets des Pyrénées; c'est ainsi que subitement on voit apparaître et disparaître le Canigou majestueux. La grande chaleur de tantôt a disparu et maintenant la brise fraîche des sommets nous caresse délicieusement.
Montlouis, qui fut capitale de l'ancienne Cerdagne française, est une insignifiante petite ville malgré la haute situation qu'elle prétend occuper parce qu'elle est à 1 610 mètres d'altitude! Elle est dominée par sa forteresse, sans grande valeur stratégique.
On passe ensuite dans un endroit qui s'appelle le col de la Perche (1 577 mètres) on ne sait trop pourquoi car il ne ressemble en rien à un col. Mais on est ici sur les hauts plateaux, la vue peut maintenant s'étendre au loin et l'on aperçoit admirablement la chaîne des Pyrénées.
Bourg-Madame [1] est le dernier village français. C'est ici que sont les douanes, française en deçà du pont sur la Raour, espagnole après le pont. Nous comptions coucher à Puycerda; impossible, la douane espagnole est déjà fermée. Nous nous répandons dans l'unique hôtel de Bourg-Madame, l'hôtel Salvat, qui est d'une simplicité que je qualifierai de patriarcale, parce que ce qui y fut mis à notre disposition, chambres et nourriture, était dans un état de perfectionnement qu'on ne pourrait retrouver qu'en remontant jusqu'aux anciens peuples pasteurs.
Lundi, 12 août.
De l'autre côté de la frontière, tout près, Puycerda dresse sa silhouette escarpée d'ancienne ville fortifiée. C'est la capitale de la Cerdagne espagnole.
Les formalités douanières pour l'entrée provisoire des automobiles en Espagne sont ce que je connais de plus long, de plus compliqué et de plus exaspérant. D'abord le bureau du receveur n'ouvre qu'à partir de 9 heures le matin (à l'heure espagnole, en retard d'environ vingt minutes sur l'heure française) et s'empresse de se fermer à midi; il est vrai qu'en revanche, le soir, il rouvre à 3 heures et reste généreusement ouvert jusqu'à 5 heures et demie. Vous voyez combien le pauvre touriste doit faire un calcul de justesse pour viser et traverser la frontière juste pendant les courts instants durant lesquels elle se trouve ouverte.
Ignorant ces détails, nous avions, par suite d'un effort tout à fait inaccoutumé, quitté nos lits depuis 6 heures du matin, car nous aurions voulu arriver pour déjeuner à Barcelone; ce fut donc sans peine et avec une ponctualité digne du meilleur chronomètre, qu'à 9 heures précises nous arrêtâmes l'auto devant le bureau du receveur; mais nous ignorions encore autre chose, c'est que, si l'heure espagnole retarde sur l'heure française, les fonctionnaires espagnols retardent d'au moins autant sur l'heure espagnole. Oh! nous n'étions pas au bout de nos surprises et notre éducation de voyageurs en Espagne avait encore grandement à apprendre pour être parfaite. A 9 heures et demie, le receveur arriva d'un pas mesuré et digne, comme il sied à la fierté espagnole: il daigna ouvrir immédiatement son guichet.
Les formalités commencèrent, elles durèrent une heure!
Savez-vous combien j'ai dû consigner entre les mains de ces douaniers voraces? Deux mille trente francs et soixante et dix centimes; la voiture fut taxée pour dix-sept cent cinquante francs et le surplus servit de caution pour les pneus de rechange à raison de trois francs soixante-quinze centimes le kilogramme. Tout habitué que je suis aux énormités des douanes de tous les pays, j'avoue que je fus alors quelque peu estomaqué devant un pareil chiffre.
Il fallut bien payer, et à 10 heures et demie, nous quittions Puycerda, libres de porter nos humanités où bon nous semblerait dans ce curieux pays d'Espagne, dont nous avions franchi, enfin, toutes les barrières.