Le Tour de l'Espagne en Automobile. Pierre Marge

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Le Tour de l'Espagne en Automobile - Pierre Marge

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riantes qui reprennent sans interruption.

      Dans une jolie baie, au bord d'une plage de sable fin, voilà Benicassim, qui s'étale coquettement comme une baigneuse nonchalamment couchée au soleil après le bain. Benicassim, quel nom bien arabe! La ville ne dément pas son nom, car ses petites maisons carrées, resplendissantes de blancheur, qui sont groupées autour de son dôme aux azulejos brillants, lui donnent un aspect absolument mauresque.

      Décidément la curiosité des populations augmente dans des proportions gigantesques; l'auto est signalé du plus loin que puissent apercevoir les habitants du pays et aussitôt tous les indigènes accourent faire la haie sur notre passage.

       A Castellon de la Plana notre arrivée bouleversa littéralement la ville; nous crûmes un instant qu'il y avait une émeute et nous eûmes toutes les peines du monde à nous persuader que tout ce monde, toute cette agitation, tout ce bruit étaient le résultat de notre présence. Un café ouvert malgré l'heure encore matinale, nous permit de nous arrêter dans cette ville pour nous rafraîchir un peu et surtout pour étudier toute cette curieuse population. Un cercle compact se forma aussitôt autour de la voiture, on faillit prendre d'assaut le café où nous nous étions réfugiés; non, quand j'y repense je crois toujours avoir devant les yeux un tableau de guerre civile. Et cependant toute pensée belliqueuse était bien loin de ces gens-là, car j'ai rarement vu des populations qui nous fussent aussi sympathiques que celles de toute la côte méditerranéenne de l'Espagne; ces Espagnols sont polis à l'extrême mais sans être obséquieux, ils sont fiers mais affables, c'est un peuple agréable mais combien négligent des choses de la vie: figés dans leur contemplation éternelle, arabes ils sont restés.

      Que d'enfants! que d'enfants! il ne faut pas venir me raconter que l'Espagne se dépeuple; non, la chose n'est pas possible avec une aussi prodigieuse quantité de moutards.

       En sortant de Castellon nous constatons avec peine que la route est devenue subitement exécrable; les trous, les abominables trous de Barcelone ont réapparu et la poussière couvre le chemin d'une couche digne des mauvaises routes d'Italie. Allons! reprenons la première vitesse et les perpétuels débrayages! Avec un peu de philosophie et beaucoup de patience, nous finirons bien par arriver à Valence! Tout de même les cantonniers sont réellement trop négligents dans ce satané pays; je voudrais bien en tenir un en ce moment; ce que je le flanquerais avec plaisir le nez le premier dans sa poussière. Et ça n'est pas assez de la mauvaise route, voilà, que le soleil s'en mêle et qu'il nous arrose de rayons à fondre l'acier, peu à peu nous cuisons, d'imposantes cascades coulent de nos fronts, de nos nez sur les tapis de la voiture cependant que nos gosiers altérés remplacent incessamment cette eau par des appels désespérés aux alcarazas.

      Pour nous distraire de notre martyre, nous examinons avec intérêt la campagne que nous parcourons; des orangers à perte de vue; nous sommes au milieu du pays des oranges, des «belles Valence» qu'en hiver les marchands ambulants clament dans nos rues de France. Le pays des oranges d'Espagne commence à Benicarlo, où nous passâmes hier, et finit à Dénia, au sud de Valence; ce jardin des orangers s'appelle la Plana au nord, la Ribera au milieu et la Marina au midi. Les oranges de la Plana sont les moins bonnes, elles ont un goût acide qui nuit à leur qualité; il s'en exporte cependant de grandes quantités, sur Marseille principalement. Celles de la Ribera sont beaucoup plus fines et plus douces; elles se vendent surtout à Liverpool. La Marina produit les meilleures; ses arbres donnent en outre d'abondantes moissons de feuilles et de fleurs dont on extrait parfum, essences, boissons.

      Les files d'orangers s'alignent perpendiculairement à la route et s'en vont loin, loin, loin, parallèles, interminables. En cette saison les oranges ne sont pas mûres encore; on distingue dans le feuillage de petits fruits verts qui seront dans quelques mois les pommes d'or délicieuses. Parfois cependant nous apercevons de grosses oranges, bien jaunes, qu'on a laissées sur l'arbre pour un usage spécial sans doute; car c'est une singulière particularité de l'orange de pouvoir rester sur l'arbre plusieurs mois encore après sa complète maturité, alors que les autres fruits en général tombent ou se dessèchent.

      Ces fruits si doux qui nous viennent en France enveloppés dans de délicats papiers de soie et dont nous nous régalons en hiver, c'est donc sur ces arbres-là qu'on les récolte, ces arbres qu'irrévérencieusement nous couvrons en passant d'une abondante couche de poussière!

      Sagonte, surmontée de sa colline aux murailles crénelées, apparaît au bord du Palancia. Cette ville est un squelette aux maisons décharnées qui ne rappelle que par le souvenir hélas! l'antique métropole des Ibères, la Saguntum des Romains, dont la résistance acharnée aux armes d'Annibal est restée célèbre à tout jamais. C'est la Murviedro des Espagnols, nom qui descend de l'ancienne appellation mauresque signifiant «vieilles murailles». Romains de Scipion, Carthaginois d'Annibal, où êtes-vous? Y avait-il autant de poussière ici de votre temps?

      Et la route continue lamentablement trouée comme une écumoire pendant que nous sautons comme des carpes dans une poêle et que les ressorts plaintivement clament leurs malheurs sur des notes tantôt graves, tantôt aiguës.

      La campagne qui nous entoure est un véritable jardin dont le sol rouge, irrigué par un système de canaux intelligemment disposés, est couvert de riches cultures, d'arbres verts et de fleurs; c'est la huerta de Valence.

      Enfin! voici au loin des dômes couverts d'azulejos resplendissants, c'est Valence; notre supplice touche à sa fin. De Castellon à Valence il y a 68 kilomètres de route absolument défoncée sur laquelle, tout en étant épouvantablement cahoté, on ne peut avancer à plus de 15 kilomètres à l'heure. Je vous prie de croire que c'est long, 68 kilomètres faits à cette allure et dans ces conditions.

      Il est midi. Nous pénétrons dans Valence [5] en franchissant sur un pont le rio Turia, à sec, comme une rivière espagnole qui se respecte. Cela me rappelle que ce matin, parmi les gués que nous avons passés, il y avait celui du rio Secco, encore plus à sec bien entendu pour ne pas faire mentir son nom! Puis on passe sous la porte dite Torres de Serranos, colossale porte flanquée de deux énormes tours en briques qui donnent à la ville un aspect féodal.

      Nous descendons au Grand-Hôtel, calle de San Vincente; nous y trouvons des chambres très propres, une cuisine tout simplement exquise. Il règne dans la salle à manger une fraîcheur délicieuse qui caresse voluptueusement nos épidermes saturés de soleil et de poussière; ces Espagnols s'entendent admirablement à disposer l'intérieur de leurs maisons pour qu'il y fasse toujours frais. Avec quelles délices, dès notre entrée à l'hôtel, malgré soif et faim, nous sommes-nous délassés dans l'agréable chose qu'est toujours mais qu'était surtout en la circonstance: un bain.

      Les autos sont rares à Valence. Ce que ç'a été compliqué pour loger notre voiture! Ici pas de garages; seulement un mécanicien réparateur dont la boutique est archipleine avec une motocyclette et une de Dion de 3 chevaux. Je réussis enfin à dénicher une remise dans laquelle notre voiture ne put pénétrer qu'en lui faisant faire un rétablissement sur une grosse pierre qui obstruait l'entrée.

      Valence, la Valencia del Cid, a conservé un cachet mauresque très marqué. Ville déjà prospère au temps des Ibères, puis sous les Romains et sous les Wisigoths, elle fut conquise par les Maures en 714; elle devint, en 1021, la capitale d'un royaume sarrazin indépendant, le royaume de Valence, qui comprenait toute la contrée depuis l'embouchure de l'Ebre au nord jusqu'à Alméria au sud. Les Sarrazins lui donnèrent le summum de sa grandeur; pendant cinq siècles Valence fut l'un des grands centres de la civilisation arabe et l'heure de la décadence ne sonna pour elle, comme hélas! pour la plupart des villes des Maures, que lorsqu'elle eut été définitivement conquise par les catholiques. Les Arabes furent chassés de Valence en l'an 1238 par Jacques Ier d'Aragon. Pendant

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