Le Tour de l'Espagne en Automobile. Pierre Marge

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Le Tour de l'Espagne en Automobile - Pierre Marge

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Barcelone est vaste et commode, sa superficie est supérieure à celle du port de Marseille et presque égale à celle de Gênes; il y règne toujours une très intense animation produite par la foule de navires qui viennent y apporter leur tonnage.

      A 4 heures du soir l'auto était amenée devant l'hôtel et nous quittions Barcelone. La route, dès la sortie de la ville, est fabuleuse, invraisemblable, jamais je n'avais rien vu de pareil: c'est une succession ininterrompue de trous noyés par la poussière dans lesquels l'auto plonge en aveugle, saute et s'agite comme un navire balancé par les lames furieuses au milieu de la tempête. A moins de vouloir rompre le châssis, on est obligé d'avancer à une allure que ne désavouerait aucune tortue; de la première vitesse ralentie au maximum, et malgré cela des débrayages et des coups de freins à chaque pas. Enfin nous avançons tellement doucement que de temps en temps j'éprouve l'horrible mortification de me voir dépasser par des attelages de mules: pour une 100 chevaux, c'est vraiment déplorable! Est-ce que les conseilleurs obligeants auraient eu, pour une fois, raison? J'enrage! Enfin, nous verrons bien.

      L'épouvantable chemin dure ainsi pendant environ 20 kilomètres, jusqu'au delà de Molins de Rey, et je constaste qu'il nous fallu 2 heures pour faire ce trajet, soit une moyenne de 10 kilomètres à l'heure.

      Puis, subitement, la route se fait bonne, excellente même par endroits et restera telle jusqu'à Tarragone.

      On est assez éloigné de la mer qu'on ne voit que par aperçus lointains. Voici quelques montagnes, une sierra couverte de vastes forêts de pins maritimes; la route monte dans la sierra, l'on tournoie dans les airs sur de larges virages, la route grimpe dru mais les innombrables chevaux de notre attelage ne font qu'en rire, car, libérés désormais sur un sol excellent, ils courent pour rattraper le temps perdu. La vue s'étend très jolie du haut de ces montagnes qu'on ne tarde pas à redescendre.

      C'est maintenant Villafranca del Panades, au bas de la sierra, ville sale dont le nom indique sans nul doute qu'elle est dans la panade; qu'on me pardonne ce mot quelque peu risqué, mais je n'ai pu le retenir, il peint trop bien l'aspect délabré de cette triste ville. Et cependant ce pays est riche et cultivé.

      Dans la plaine, désormais, la route file au milieu de vignobles à perte de vue; puis en rase campagne, on passe sous un superbe arc romain qui annonce la proximité de l'antique Tarragone. Un peu plus loin, tout au bord de la route nous nous arrêtons pour admirer le tombeau des Scipions, vaste tombeau romain, très bien conservé, qui servirait de sépulture aux deux frères Scipion tombés à Anitorgis. C'est une imposante construction d'une dizaine de mètres de hauteur et sur la façade de laquelle il reste une sculpture fort nette encore représentant deux captifs.

      Quelques kilomètres encore et nous faisons notre entrée dans Tarragone [3]. Sur un beau boulevard ombragé de grands arbres, la façade accueillante et sympathique de la Fonda de Paris réunit tous nos suffrages: nous descendons ici et nous avons bien fait, car nous avons trouvé un hôtel propre et bien tenu.

       Table des matières

      Levés de grand matin, nous commençons immédiatement la visite de la ville. A travers un dédale de petites rues étroites et où le soleil ne doit jamais descendre, nous gagnons la Cathédrale. La cathédrale de Tarragone et son superbe cloître sont parmi les plus beaux types de style roman que j'aie jamais vus; je ne saurais trop conseiller aux touristes qui viendront à Tarragone d'aller y faire au moins une courte visite. L'église est sombre et austère, on se sent réellement là dans le lieu des prières et des prières espagnoles, c'est-à-dire les plus ferventes de toutes; comme dans toutes les églises d'Espagne, là pas de chaises ni de prie-Dieu, on s'agenouille sur les froides dalles; les femmes s'y étendent les bras en croix et baisent dévotieusement le sol. A côté, le cloître est une espèce d'antichambre, un promenoir riant et clair et tournant autour d'un patio rempli de verdure, dans lequel on vient se reposer des prières et de la contrainte du lieu saint. Le cloître de Tarragone est beau entre tous, ses fines arcades à nervures sont comme aériennes et semblent suspendues au plafond plutôt que le supporter; de riches fresques ornent ses murs et l'une d'elles est particulièrement curieuse: c'est la Procesion de las ratas, la procession des rats, qui représente une dévote troupe de rats procédant gravement à l'enterrement de quelques chats, exemple charitable bien digne d'êtres plus civilisés; mais voilà que la mort des chats n'était qu'une ruse de guerre et que soudain les cadavres ressuscitent et dévorent leurs trop complaisants fossoyeurs.

      Après la cathédrale nous allons voir les Murailles cyclopéennes. L'antique Tarraco était une ville ibérienne déjà florissante aux temps des conquêtes carthaginoise et romaine; ses primitifs habitants l'avaient entourée d'une formidable ceinture de murailles qui existe encore aujourd'hui sur près de 3 kilomètres de long. Les Romains, les Wisigoths, puis les Arabes exhaussèrent et consolidèrent ensuite ces murailles, de sorte qu'aujourd'hui leur base seule est ibérienne, ainsi qu'on le constate aisément en voyant les énormes blocs de roc assemblés sans ciment qui constituent le pied des murs.

      Tarragone est sur une hauteur dominant la mer, mais ses maisons descendent jusqu'au port, qui est grand et bien abrité. Des quais, en se retournant, on a une très jolie vue de la ville bâtie en amphithéâtre.

      Notre hôtel est situé à côté d'une caserne et cette coïncidence m'a permis de constater que les soldats espagnols n'étaient nullement ennemis du confortable; devant le corps de garde il y a toute une collection de chaises, de fauteuils, de rocking-chairs dans lesquels officiers, sous-officiers et soldats se prélassent d'un air absolument satisfait.

      A 9 heures du matin nous quittions le nouvel asile des Pères chartreux expulsés de France, et soit dit en passant, il nous a été impossible de découvrir exactement le lieu de la retraite où ils fabriquent maintenant la «Tarragone»; c'est, paraît-il, dans un bâtiment très quelconque, vers le port.

      La route est bonne et nous filons à 50 à l'heure. La campagne alterne en riches cultures, vignes et oliviers et en landes désertes où ne croissent que genièvre, bruyères, aloès et palmiers nains. A mesure qu'on avance, la flore se fait plus méridionale; les champs sont bordés d'arbousiers aux grandes gousses, de cactus et d'aloès.

      Hospitalet est un petit village groupé auprès d'une grande bâtisse à quatre tours, qui fut jadis un refuge pour les pèlerins et dont la masse noire se découpe nettement au bord de la mer sur le bleu des flots.

      La route maintenant se fait accidentée: elle monte et redescend continuellement la croupe des montagnes qui viennent mourir à la mer; elle est bonne, mais coupée de dangereux caniveaux très saillants et sur lesquels se racle parfois le ventre de l'auto; il faut aller lentement et prudemment. Mais le paysage est grandiose; le chemin tournoie sans cesse au milieu des montagnes arides animées seulement de rares bergers au milieu de leurs troupeaux, le regard s'étend parfois sur la mer sans limites et sur la droite se découpent de hautes montagnes dont les cimes légèrement embrumées sont un signe de la chaleur qui s'appesantit sur nos têtes. C'est très curieux, il fait chaud, très chaud, mais nous ne souffrons nullement de la chaleur: abrités sous le tendelet de la voiture, constamment rafraîchis par la brise de la mer, nous bravons sans peine et soleil et chaleur.

      Nous pénétrons dans le large delta de l'Ebre, contrée fertile et admirablement irriguée par le fleuve, dont les eaux sont constamment puisées et déversées dans les champs par des roues élévatoires. Ces roues élévatoires sont un reste de la civilisation mauresque: les Arabes étaient d'habiles agronomes et pendant leur occupation toute l'Espagne était arrivée à un degré de fertilité inconnu aujourd'hui. Leurs roues

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