Haine d'amour. Daniel Lesueur

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Haine d'amour - Daniel Lesueur

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nous ne nous quittions jamais. Nos leçons, nos promenades, nos emplettes, nous les faisions ensemble. Qu’est-ce que je vais devenir sans ma petite Luce? Voyez-vous, monsieur, quand j’y pense, la vie me semble tellement triste que je voudrais mourir.

      Il sourit à ce mot, que prononcent si vite les désespoirs de la vingtième année.

      Elle reprit:

      —Vous ne me croyez pas? C’est parce que vous n’avez pas de sœur. Mais l’idée de retrouver sa chambre vide!... (La voix de Gilberte s’étrangla.) Ah! si ce n’était pas pour mon père... je voudrais vraiment mourir ce soir.

      —Mais vous vous marierez à votre tour.

      Elle rougit, haussa légèrement les épaules.

      —Bah! qui sait?

      —Comment, qui sait? dit-il en riant. Auriez-vous prononcé des vœux devant l’autel de sainte Catherine?

      —Oh! non.

      —Alors?

      Elle se tut d’un petit air mystérieux. M. de Villenoise insista.

      —Vous voulez savoir?... dit-elle avec un regard sincère de ses beaux yeux bruns. Eh bien, moi, je ne consentirai à me marier que comme Lucienne, seulement avec quelqu’un qui me plaira tout à fait.

      —Et... vous ne prévoyez donc pas qu’on puisse vous plaire... tout à fait?

      Elle répondit—peut-être un peu trop vivement:

      —Oh! si...

      Puis elle resta interdite une seconde, rougit plus fort, et ajouta:

      —Mais je connais bien la vie, allez. Celui qui me plaira, je ne lui plairai pas. C’est toujours ainsi.

      —Toujours?... Non. Voyez votre sœur et mon ami Robert.

      —Oh! Lucienne est plus jolie et meilleure que moi. D’ailleurs, il y a des exceptions. Et cette chance-là ne se rencontrera pas deux fois dans une même famille.

      —Vous êtes donc modeste, mademoiselle Gilberte? Voilà une qualité presque invraisemblable chez une jeune fille.

      —Ces pauvres jeunes filles! Vous avez l’air de leur en vouloir. Qu’est-ce qu’elles vous ont fait?

      —Elles me font peur.

      Gilberte eut un rire d’enfant.

      —Quelle plaisanterie! Ainsi, moi, est-ce que je vous fais peur?

      —Plus que vous ne croyez.

      Gilberte baissa les yeux et un silence suivit. Comme ils étaient l’un devant l’autre dans un angle du salon et que la musique faisait encore tourner les autres couples, elle leva les mains et lui dit:

      —Valsons.

      Il l’entraîna d’un élan presque rageur, fâché contre lui-même et aussi contre elle, sans savoir au juste pourquoi.

      Mais tout à coup, après avoir ramené la jeune fille à sa place, M. de Villenoise s’aperçut que les mariés étaient partis. Alors il eut la vision du coupé qui emportait Robert et Lucienne. Il se les imagina, dans l’ombre de cette voiture close, savourant les premières minutes de solitude. Il se représenta la lenteur et l’hésitation des premières tendresses... Et cette virginale robe blanche enserrée par ce robuste bras vêtu de drap noir... D’un grand effort, il tâcha de réveiller son scepticisme à l’égard du mariage, son culte pour l’indépendance et sa haine de tout lien, en même temps que sa méfiance des virginités de corps obtenues par l’atrophie ou la déviation des âmes. Il ne put pas. Tout cela faisait place à un malaise de désir indistinct, à un sourd désenchantement de ce qui, jusque-là, suffisait à occuper sa fantaisie, sinon à lui remplir le cœur.

      Cependant, le général, désireux de se retirer, cherchait sa fille cadette. Il s’arrêta devant le garçon d’honneur de Gilberte, qui se leva aussitôt.

      —Je n’ai pas eu le loisir de causer avec vous, monsieur, dit le vieillard. Je le regrette. Mon gendre nous a dit de vous tant de bien! Mais nous nous retrouverons. Vous êtes des nôtres désormais.

      —Mon général, c’est beaucoup d’honneur...

      —Vous êtes un lettré, un travailleur, reprit M. Méricourt. Mon cousin, le membre de l’Institut,—vous l’avez vu? le second témoin de ma fille Lucienne,—estime beaucoup vos œuvres. J’admire cela infiniment chez un jeune homme dans votre grande situation de fortune. Tant d’autres ne songeraient qu’à s’amuser...

      —Mais cela m’amuse, mon général.

      M. Méricourt chercha une autre phrase d’éloge. Toutefois, sur ce terrain, il était mal à l’aise, ne sachant pas au juste la nature des travaux aux-quels se livrait Vincent, et se rappelant avoir passé, dans la Revue des Deux Mondes, des articles signés de lui sur «l’Alexandrinisme dans la littérature romaine». Le titre l’avait effrayé; il ne les avait pas lus.

      Brusquement donc, il aborda un autre sujet.

      —Vous montiez, ces jours-ci, un beau cheval, monsieur. Il a des lignes superbes, beaucoup de branche, des jambes de cerf; et il se rassemble, m’a-t-il paru, à galoper sur le bord d’un chapeau.

      —Ah! ma jument alezane... Gipsy. Oui, une bonne bête. Où donc l’avez-vous vue, mon général?

      —Au Bois. Je vous ai aperçu à plusieurs reprises. Mais... de loin. Car vous ne fréquentez pas l’avenue des Poteaux, ni celle des Acacias.

      —Non, j’avoue que la foule...

      —Ne vous attire pas. Moi non plus. Du moins la foule des bipèdes. Mais celle des quadrupèdes m’intéresse. Je connais tous les beaux chevaux de Paris. J’aime à les rencontrer là. Puis ma fillette est contente de se voir saluer par tous les officiers.

      —Alors Mme Dalgrand va se trouver privée. Car mon ami Robert...

      —Oh! interrompit le général—tombant au piège de Vincent, qui voulait le faire parler de Gilberte,—ce n’est pas de ma fille aînée qu’il s’agit. Lucienne est une écuyère médiocre; elle manque du feu sacré. Mais c’est la petite!... On dirait qu’elle est née à cheval, cette gamine-là. Vous la verrez... Elle est étonnante.

      —Est-ce que Mlle Gilberte aimerait chasser à courre? Nous avons ce qu’il faut, dans mes modestes bois de Villenoise.

      —Merci, monsieur. Je vous suis bien reconnaissant. Mais ce sont là des goûts de haut luxe que je ne voudrais pas lui donner.

      M. Méricourt expliqua même qu’il désirait plutôt modérer cette passion chez Gilberte. Car pourrait-elle monter plus tard, quand elle serait mariée? C’était douteux. Avec les jeunes filles et les difficultés de leur établissement, on ne peut jamais savoir. Sans sa position spéciale dans l’armée,—car il restait un maître et un arbitre en matière d’équitation, et pouvait encore, par exceptionnelle faveur, choisir

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