Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi

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Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi

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violemment à la porte, mais n’obtint aucune réponse: «Elle va fuir avec lui, elle en est capable, se disait-elle avec désespoir. Elle était triste aujourd’hui, mais résolue, et l’autre jour elle a pleuré en prenant congé de son père… C’est bien cela: elle fuira avec lui, mais que dois-je faire?… Le comte est absent!… Écrire à Kouraguine, lui demander une explication, mais pourquoi me répondrait-il? Écrire à Pierre, comme l’avait demandé le prince André en cas de malheur, mais n’a-t-elle pas déjà rompu avec Bolkonsky, car hier soir elle a envoyé sa réponse à la princesse Marie! Mon Dieu, que faire? Parler à Marie Dmitrievna, dont la confiance en Natacha est si entière, ce serait une délation!… Quoi qu’il en soit, c’est à moi d’agir, se disait-elle en poursuivant ces réflexions dans le sombre couloir, c’est à moi de prouver ma reconnaissance pour les bienfaits dont ils m’ont comblée, et mon affection pour Nicolas… Dussé-je ne pas bouger de trois nuits, je ne dormirai pas, je l’empêcherai de force de sortir, je ne laisserai pas le déshonneur et la honte entrer dans la famille!»

      XVI

      Anatole demeurait chez Dologhow depuis quelque temps. Le plan de l’enlèvement de Natacha avait été combiné par ce dernier, et devait s’exécuter le jour même où Sonia faisait serment de ne pas la perdre de vue. Natacha, de son côté, avait promis de se trouver à dix heures du soir à la porte de l’escalier dérobé, afin de rejoindre Kouraguine, qui l’y attendrait, pour l’emmener dans une troïka, à soixante verstes de Moscou, au village de Kamenka. Là un prêtre interdit devait les marier; après cette cérémonie dérisoire, un second relais de chevaux les conduirait plus loin sur la route de Varsovie, où ils espéraient prendre la poste à la première station, et passer ensuite la frontière.

      Anatole s’était muni d’un passeport, d’un permis pour la poste et de vingt mille roubles, que lui avaient procurés Dologhow et sa sœur.

      Les deux témoins, Gvostikow, ex-clerc de chancellerie, et Makarine, hussard en retraite, sans volonté aucune, mais complètement dévoués à Kouraguine, prenaient le thé dans la première pièce, pendant que dans le grand cabinet voisin, dont les murs étaient recouverts de haut en bas de tapis persans, de peaux d’ours et d’armes de toutes sortes, le maître du logis, vêtu d’un «bechmel2» de voyage, les pieds chaussés de bottes montantes, assis devant un bureau ouvert, revoyait les factures, comptait les assignats alignés en paquets, et inscrivait des chiffres sur une feuille volante:

      «Il faudra bien donner deux mille roubles à Gvostikow?

      — Donne-les, dit Anatole en rentrant de la pièce du fond, où un valet de chambre français emballait leurs effets.

      — Quant à Makarka (c’était le petit nom donné à Makarine), il est désintéressé, et se jettera au besoin pour toi dans le feu. C’est fini, les comptes sont réglés… est-ce bien cela? Ajouta Dologhow en lui tendant la feuille.

      — Mais sans doute, c’est bien cela,» répliqua Anatole, qui ne l’avait pas écouté, et dont les yeux souriants regardaient devant lui sans rien voir.

      Dologhow referma le bureau:

      «Sais-tu… lui dit-il d’un air moqueur, renonce à tout cela; il en est temps encore.

      — Imbécile! Repartit Anatole, ne dis donc pas de bêtises; si tu savais…, mais le diable seul sait ce qui en est.

      — Vrai, n’y pense plus, je te parle sérieusement… ce n’est pas une plaisanterie que tu entames là!

      — Ne vas-tu pas encore me taquiner? Va-t’en au diable!… – et Anatole fronça le sourcil: – Je n’ai plus le temps d’écouter tes sornettes.»

      Dologhow le regarda d’un air hautain:

      «Voyons, je ne plaisante pas… écoute!»

      Anatole revint sur ses pas en faisant un visible effort pour lui prêter attention, et par égard pour son ami, dont il subissait malgré lui l’influence.

      «Écoute-moi, je t’en prie, pour la dernière fois. Pourquoi plaisanterais-je? T’ai-je mis des bâtons dans les roues? N’est-ce pas moi, au contraire, qui t’ai arrangé tout cela, qui t’ai déniché le prêtre interdit, qui ai obtenu le passeport, qui ai trouvé de l’argent?

      — Eh bien, je t’en remercie; crois-tu donc que je ne t’en sois pas reconnaissant?» Et il embrassa Dologhow.

      — Je t’ai aidé, mais je te dois la vérité: l’entreprise est dangereuse, et, en y réfléchissant bien, elle est absurde! Tu l’enlèveras? à merveille. Après? Le secret transpirera, on apprendra que tu es marié, et tu seras poursuivi au criminel!

      — Folies, folies que tout cela, je te l’avais pourtant bien expliqué,» reprit Anatole, et avec cette complaisance que les intelligences bornées mettent à revenir sur leurs arguments, il lui répéta pour la centième fois toutes les raisons qu’il lui avait déjà débitées: «Ne t’ai-je pas dit: premièrement, que si le mariage est illégal, ce n’est pas moi qui en répondrai; et secondement, que s’il est légal, c’est bien indifférent, puisque personne à l’étranger n’en saura rien… N’est-ce pas cela? Et maintenant, plus un mot là-dessus!

      — Crois-moi, renonces-y! Tu t’engageras et…

      — Au diable! S’écria Anatole en se prenant la tête à deux mains. Vois un peu comme il bat!» Et, saisissant la main de son ami, il l’appliqua sur son cœur: «Ah! Quel pied, mon cher, quel regard!… Une vraie déesse!»

      Les yeux effrontés et brillants de Dologhow le regardaient avec ironie:

      «Et lorsque l’argent sera épuisé, alors…

      — Alors, répéta Anatole légèrement interdit par cette perspective inattendue. Eh bien! Alors, je n’en sais rien… Mais assez causé! Il est l’heure!» ajouta-t-il en tirant sa montre, et il passa dans la pièce voisine. «En aurez-vous bientôt fini?» dit-il en s’adressant avec colère aux domestiques.

      Dologhow serra l’argent, appela un valet de chambre, lui ordonna de servir n’importe quoi avant le départ, et alla ensuite rejoindre Makarine et Gvostikow, en laissant là Anatole, qui, étendu sur le divan de son cabinet, souriait amoureusement dans le vague et murmurait des paroles sans suite.

      «Viens donc prendre quelque chose! Lui cria-t-il de loin.

      — Je n’ai besoin de rien, répondit Anatole.

      — Viens, Balaga est arrivé!»

      Anatole se leva et entra dans la salle à manger. Balaga était un cocher de troïka, très réputé dans son métier, et qui leur avait constamment fourni des chevaux. Depuis six ans qu’il connaissait les deux amis, que de fois ne l’avait-il pas mené au petit jour de Tver à Moscou et ramené de Moscou à Tver la nuit suivante, lorsque Anatole y était en garnison! Que de fois ne les avait-il pas conduits en nombreuse compagnie de bohémiennes et de petites dames! Combien n’avait-il pas crevé à leur service de chevaux de prix, et écrasé de passants et d’izvotchiks? Ses maîtres, comme il les appelait, le délivraient toujours des griffes de la police; parfois, il est vrai, ils le rossaient, et ils l’oubliaient des nuits entières à la porte pendant leurs orgies; mais, en revanche, parfois aussi ils lui versaient à flots du champagne et du madère, son vin favori. Il était dans leurs secrets et connaissait sur leur compte bien des histoires

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