Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi
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Читать онлайн книгу Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi страница 227
«Adieu, Matrëchka, c’est fini de mes folies ici! Ma petite colombe, adieu, et souhaite-moi bonne chance!
— Que le bon Dieu vous donne du bonheur, beaucoup de bonheur,» répondit-elle avec son accent bohémien.
Deux troïkas, tenues par deux jeunes cochers, stationnaient devant la maison: Balaga monta dans le premier traîneau, leva haut les bras, et se mit, sans se hâter, à rassembler les rênes. Anatole et Dologhow s’assirent derrière lui. Makarine, Gvostikow et le domestique prirent place dans le second.
«Est-ce prêt? Demanda Balaga… Laissez aller!» cria-t-il en enroulant les rênes autour de sa main, et les troïkas partirent, en les emportant à fond de train le long du boulevard Nikitski.
«Hé, gare, gare!» criaient les cochers à pleins poumons. Sur la place Arbatskaïa, une des troïkas accrocha une voiture: il y eut un craquement suivi d’un cri, mais elle continua sa course effrénée, jusqu’au moment où Balaga, d’un vigoureux coup de poignet, arrêta tout court les chevaux, au carrefour des Vieilles-Écuries.
Anatole et Dologhow mirent pied à terre sur le trottoir et s’approchèrent d’une grande porte cochère. Ce dernier siffla, on lui répondit, et une fille de service accourut à sa rencontre.
«Entrez par ici, dans la cour, autrement on vous verra; elle va venir!» lui dit-elle. Dologhow s’arrêta devant la porte cochère, pendant qu’Anatole, suivant la fille, tournait l’angle de la maison; il venait de franchir les quelques marches du perron, lorsque le grand laquais de Marie Dmitrievna se dressa tout à coup devant lui.
«Ma maîtresse vous attend, lui dit-il de sa voix de basse.
— Qui? Ta maîtresse?… Que me veux-tu? Murmura Anatole haletant.
— Venez, elle m’a donné l’ordre de vous amener près d’elle.
— Kouraguine, filons!… nous sommes trahis!» lui cria Dologhow, qui luttait corps à corps avec le dvornik, pendant que celui-ci s’efforçait de fermer la petite porte. Se dégageant enfin de son étreinte, et saisissant le bras d’Anatole, qui revenait à lui en courant, il l’entraîna au dehors, et s’élança avec lui dans la direction de leurs traîneaux.
XVIII
Marie Dmitrievna avait surpris dans le corridor la pauvre Sonia tout en larmes, l’avait confessée, et était allée aussitôt trouver Natacha en tenant à la main la réponse qu’elle avait adressée à Anatole, et qu’elle venait d’intercepter:
«Vilaine créature!… créature sans vergogne! Pas un mot, je ne veux rien entendre!…» Et, repoussant Natacha, qui suivait d’un œil sec tous ses mouvements, elle prit la clef et l’enferma à double tour. Appelant ensuite le dvornik, elle lui ordonna de laisser entrer dans la cour les personnes qui se présenteraient dans la soirée, de fermer derrière elles les issues, et de les lui amener au salon.
Lorsque Gavrilo vint lui annoncer qu’ils s’étaient enfuis, elle se leva, les sourcils froncés, et se mit à arpenter la chambre, les mains croisées derrière le dos, et réfléchissant à ce qui lui restait à faire. Vers minuit, tirant la clef de sa poche, elle retourna auprès de Natacha; Sonia sanglotait à la même place:
«Marie Dmitrievna, de grâce, laissez-moi entrer chez elle!»
Mais Marie Dmitrievna ouvrit la porte sans lui répondre et entra d’un pas résolu.
Sonia la suivit.
«C’est laid, c’est mal, se conduire ainsi sous mon toit, mais j’aurai pitié de son père, et je ne dirai rien,» se disait-elle en s’approchant de Natacha, qui était couchée sur le canapé, comme elle l’avait laissée. Natacha ne se retourna pas: ses sanglots étouffés trahissaient seuls l’émotion qui secouait tout son être.
«C’est bien, c’est joli! Dit Marie Dmitrievna, donner des rendez-vous à son amant dans ma maison!… Tu t’es couverte de honte comme la dernière des filles, et si je m’écoutais…, mais je veux ménager ton père, je ne lui en dirai pas un mot! Heureusement pour lui qu’il s’est enfui, mais je saurai le découvrir! Ajouta-t-elle d’une voix dure… tu m’entends?…» Et, s’asseyant à côté de Natacha, elle passa sa large main sous la tête de la jeune fille, et la força à se retourner de son côté. Sonia et Marie Dmitrievna furent saisies à la vue de son visage: ses yeux étaient secs et brillants, ses lèvres serrées, ses joues creuses.
«Laissez-moi, tout m’est égal, je mourrai!…» Et, se dégageant avec une violence sauvage, elle reprit sa première position.
«Nathalie, poursuivit Marie Dmitrievna, je te veux du bien; reste couchée, reste ainsi, si cela te plaît: je ne te toucherai pas, mais écoute…: je ne te redirai pas à quel point je te trouve coupable, tu le sais, mais que dirai-je à ton père, qui sera ici demain?»
Natacha ne répondit que par un sanglot.
«Il l’apprendra, bien sûr, ainsi que ton frère et ton fiancé!
— Je n’ai plus de fiancé, je l’ai refusé! S’écria Natacha avec colère.
— Peu importe! Reprit Marie Dmitrievna. Que diront-ils, eux? Je connais ton père… il est capable de le provoquer! Et alors qu’arrivera-t-il?
— Laissez-moi, laissez-moi! Pourquoi avez-vous tout dérangé, pourquoi? Qui vous en avait priée?» Et Natacha, élevant la voix, se souleva en jetant un regard farouche à Marie Dmitrievna.
«Mais où donc en voulais-tu venir? Répliqua celle-ci, qui ne se contenait plus… T’enfermait-on à triple tour? Qui l’empêchait, lui, de te voir chez moi? Pourquoi t’enlever comme une bohémienne? Tu crois donc qu’on ne t’aurait pas rattrapée?… Quant à lui, c’est un vaurien, un scélérat!
— Il vaut mieux que vous tous! Si vous ne m’aviez pas empêchée… Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi tout cela? Allez-vous-en, allez-vous-en!» Et elle pleurait avec ce désespoir sans bornes auquel s’abandonnent ceux qui sentent qu’ils sont eux-mêmes la cause de leur malheur.
Marie Dmitrievna essaya de la calmer, mais Natacha, se redressant tout à coup et retombant sur le canapé, s’écria: «Sortez, sortez, vous me méprisez, vous me détestez!»
Marie Dmitrievna tint bon, et continua à la sermonner et à lui répéter combien il était urgent de cacher ce déplorable scandale à son père, et que personne n’en saurait rien si elle consentait à ne pas se trahir. Natacha ne disait mot, ses larmes cessèrent, et le frisson et le tremblement de la fièvre s’emparèrent d’elle. Marie Dmitrievna lui glissa un oreiller sous la tête, la couvrit de deux couvertures bien chaudes, et la quitta, persuadée qu’elle finirait par s’endormir. Mais le sommeil ne lui vint pas: ses yeux restèrent grands ouverts et fixes, son visage conserva une pâleur mate, elle ne versa plus une larme, et Sonia, qui s’approcha d’elle à plusieurs reprises pendant cette longue nuit, ne put en tirer un seul mot.
Le comte revint le lendemain pour l’heure du déjeuner. Il était de très belle humeur: sa vente ayant été heureusement terminée, rien ne le retenait plus à Moscou, et il avait hâte d’aller retrouver la comtesse, qui