Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi

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Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi

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de l’armée, dans la capitale, et chez le chancelier comte Roumiantzow, partisan déclaré de la paix, pour d’autres raisons d’État.

      Le cinquième parti soutenait Barclay de Tolly, tout simplement parce qu’il était ministre de la guerre et général en chef: «On a beau dire, assurait-on de ce côté, c’est, malgré tout, un homme honnête et capable… de meilleur, il n’y en a pas… La guerre n’étant possible qu’avec une unité de pouvoir, donnez-lui un pouvoir véritable, et vous verrez qu’il fera ses preuves, comme il les a faites en Finlande. Si nous avons encore une armée bien organisée, une armée qui s’est repliée jusqu’à la Drissa sans subir de défaite, c’est à lui que nous en sommes redevables; tout serait perdu si l’on nommait Bennigsen à sa place, car il a démontré en 1807 son incapacité.»

      Le sixième groupe, au contraire, portait haut Bennigsen; personne, à son avis, n’était plus actif, plus entendu que Bennigsen, et l’on serait bien obligé de l’employer: «La preuve, ajoutait-on, c’est que notre retraite de la Drissa n’était qu’une série ininterrompue de fautes et d’insuccès… et plus il y en aura, mieux cela vaudra: on comprendra alors qu’il est impossible de continuer. Ce n’est pas un Barclay qu’il nous faut, c’est un Bennigsen, un Bennigsen qui s’est distingué en 1807, à qui Napoléon lui-même a rendu justice, et aux ordres duquel on se soumettrait volontiers.»

      La septième catégorie comprenait un assez grand nombre de personnes, comme il s’en rencontre toujours auprès d’un jeune empereur, des généraux et des aides de camp, passionnément attachés à l’homme plutôt qu’au Souverain, l’adorant avec sincérité et désintéressement, comme l’avait adoré Rostow en 1808, et ne voyant en lui que qualités et vertus. Ceux-ci exaltaient sa modestie qui se refusait à prendre en mains le commandement de l’armée, tout en le blâmant de cette défiance exagérée: «Il devait, disaient-ils, se mettre franchement à la tête des troupes, former auprès de sa personne l’état-major du commandant en chef, prendre conseil des théoriciens aussi bien que des praticiens expérimentés, et conduire lui-même au combat ses soldats, que sa seule présence exalterait jusqu’au délire!»

      Le huitième parti, le plus nombreux, dans la proportion de 99 à 1 par rapport aux précédents, se composait de ceux qui ne désiraient particulièrement ni la paix ni la guerre: faire un mouvement offensif, rester dans un camp retranché sur la Drissa ou ailleurs, leur était aussi indifférent que de se voir commandés par l’Empereur en personne, par Barclay de Tolly, par Pfuhl ou par Bennigsen; leur but unique et essentiel était d’attraper au vol le plus, d’avantages et d’amusements possible. Se mettre, en avant, se faire valoir dans ce bas-fond d’intrigues ténébreuses et enchevêtrées qui s’agitaient au quartier impérial, leur était plus facile qu’ailleurs en temps de paix. L’un, pour ne pas perdre sa position, soutenait Pfuhl aujourd’hui, devenait son adversaire le lendemain, et, le jour suivant, assurait, pour se dégager de toute responsabilité et pour plaire à l’Empereur, qu’il n’avait aucune conviction, arrêtée à l’endroit de tel ou tel projet. Un autre, désireux de se bien poser, s’emparait d’une observation faite en passant par l’Empereur, pour la développer au conseil suivant, criait à tue-tête, gesticulait, se disputait, provoquait au besoin ceux qui étaient d’un avis contraire, afin d’attirer l’attention du Souverain et de témoigner de son dévouement au bien général. Un troisième profitait sans bruit d’une occasion favorable et de l’absence de ses ennemis pour demander, dans l’intervalle de deux conseils, et pour obtenir un secours d’argent en récompense de ses loyaux services, sachant à merveille qu’on aurait plus vite fait dans les circonstances présentes de lui accorder sa requête que de la lui refuser. Le quatrième se trouvait constamment, et par un pur effet du hasard, sur le chemin de l’Empereur, qui le voyait toujours accablé de travail. Le cinquième, afin de se faire inviter à la table impériale, défendait ou attaquait avec violence une opinion nouvellement adoptée, en se servant d’arguments plus ou moins justes.

      Ce parti n’avait en vue que d’avoir à tout prix des croix, des rangs, de l’argent, et ne s’occupait que de suivre les fluctuations de la faveur impériale: à peine avait-elle pris une direction, que cette population de fainéants se portait tout entière de ce côté, si bien qu’il devenait parfois difficile à l’Empereur d’agir dans un autre sens; à cause de la gravité du danger qui menaçait l’avenir et qui donnait à la situation un caractère d’agitation vague et fiévreuse, à cause de ce tourbillon de brigues, d’amours-propres, de collisions constantes d’opinions, de sentiments divers, ce dernier groupe, le plus considérable de tous, n’ayant que ses intérêts en vue, contribua singulièrement à rendre la marche de l’ensemble plus tortueuse et plus compliquée. Cet essaim de bourdons, se précipitant en avant dès qu’il s’agissait de débattre une nouvelle question, sans avoir même résolu la précédente, assourdissait leur monde au point d’étouffer la voix de ceux qui discutaient sérieusement et franchement.

      Au moment de l’arrivée du prince André à l’armée, un neuvième parti venait de se constituer, et commençait à se faire entendre: c’était celui des hommes d’État âgés, sages, expérimentés, qui, ne partageant aucun des avis mentionnés ci-dessus, savaient juger sainement ce qui se passait sous leurs yeux dans l’état-major du quartier impérial, et cherchaient un moyen de sortir de l’indécision et de la confusion générales.

      Ils pensaient et disaient que le mal provenait principalement de la présence de l’Empereur et de sa cour militaire, qui avait amené avec elle cette versatilité de rapports conventionnels et incertains, commode peut-être à la cour, mais fatale assurément à l’armée. L’Empereur devait gouverner, et ne pas commander les troupes; son départ et celui de sa suite étaient la seule issue possible à cette situation, car sa présence seule entravait l’action de 80000 hommes destinés à sa sûreté personnelle; et, à leur sens, le plus mauvais général en chef, du moment qu’il serait indépendant, vaudrait le meilleur généralissime paralysé dans sa liberté d’action par la présence et la volonté du Souverain.

      Schichkow, le secrétaire d’État, l’un des membres les plus influents de ce parti, adressa, de concert avec Balachow et Araktchéïew, une lettre à l’Empereur, dans laquelle, usant de la permission qui leur avait été accordée de discuter l’ensemble des opérations, ils l’engageaient respectueusement à retourner dans sa capitale, afin d’exciter l’ardeur guerrière de son peuple, de l’enflammer par ses paroles, de le soulever pour la défense de la patrie, et de provoquer en lui cet élan enthousiaste qui devint plus tard une des causes du triomphe de la Russie, et auquel contribua jusqu’à un certain point la présence de Sa Majesté à Moscou. Le conseil, présenté sous cette forme, fut approuvé et le départ de l’Empereur décidé.

      X

      Cette lettre n’avait pas encore été portée à la connaissance de l’Empereur, lorsque Barclay annonça un jour au prince André, pendant le dîner, qu’il devait se rendre le même soir, à six heures, chez Bennigsen, Sa Majesté ayant témoigné le désir de le questionner en personne au sujet de la Turquie.

      Dans le courant de la matinée, on avait reçu l’information complètement erronée, comme on le sut plus tard, d’un mouvement offensif de Napoléon; ce même jour, le colonel Michaud, en examinant avec l’Empereur les fortifications du camp de la Drissa, lui prouva que ce camp, élevé sur l’avis de Pfuhl, et regardé comme un chef-d’œuvre, était un non-sens et pouvait causer la perte de l’armée russe.

      Le prince André se présenta à l’heure indiquée chez Bennigsen, qui était logé dans une petite propriété particulière sur les bords de la Drissa; il n’y trouva que Czernichew, aide de camp de l’Empereur, qui lui raconta que celui-ci était allé une seconde fois, en compagnie du général Bennigsen et du marquis Paulucci, visiter les retranchements, sur l’utilité

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