En dialogue avec le monde. Andrea Franc
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L’unification du marché intérieur et de la monnaie en 1848 s’accompagne d’une vague de fondations de banques commerciales modernes dans la seconde moitié du XIXe siècle, dont la Schweizerische Kreditanstalt à Zurich en 1856. L’industrialisation marque parallèlement l’émergence d’une nouvelle couche, moderne, de la classe ouvrière. Ce groupe social évolue lui aussi au sein d’un réseau international d’idées et d’écrits. En 1832, lors de l’incendie d’Uster, des tisserands à domicile se révoltent contre l’introduction de machines à tisser. Les années suivantes, des grèves sont organisées en divers endroits. Le canton de Glaris, haut-lieu de l’industrie textile, édicte dès 1862 une loi sur les fabriques qui impose la journée de douze heures. Au niveau de la politique économique, le protectionnisme en Europe reste une constante. Même après le Blocus continental et le Congrès de Vienne en 1815, l’accès aux débouchés européens demeure difficile pour la Suisse, en dépit de la paix politique. Après la Révolution de juillet 1830, la situation avec la France s’améliore légèrement, amenant au moins la suppression des droits de passage. En 1834, l’Union douanière allemande (Zollverein), fondée sous la direction de la Prusse, élève l’Allemagne au rang de troisième zone économique d’Europe derrière la Grande-Bretagne et la France.
Le rapport Bowring de 1836
La littérature spécialisée internationale associe le terme de « libre-échange » à la Grande-Bretagne du début du XIXe siècle. Dans un écrit de 1819, l’homme d’affaires David Ricardo développe la théorie des avantages comparatifs, en vertu de laquelle, le libre-échange contribue à la prospérité de tous les pays, y compris à celle des pays les plus pauvres. Au même moment, la Grande-Bretagne débat sur les « corn laws » devant régir le commerce des céréales. Des formations politiques prônent alors la suppression des droits de douane à l’importation de céréales. C’est dans ce contexte que John Bowring, membre de la Chambre des communes, se rend en Suisse au nom du gouvernement britannique. Il est chargé de rédiger un rapport sur les cantons fédéraux et de montrer comment la Suisse pratique le libre-échange et en tire profit. Son « Report on the Commerce and Manufactures of Switzerland, presented to both houses of parliament by command of His Majesty » détaillé est le premier et très important rapport scientifique sur l’économie suisse dans les années 1830. Pour chaque canton suisse visité, Bowring décrit non seulement l’économie, mais aussi la politique, l’éducation, la culture et la sécurité sociale. Il note ainsi qu’à Berne, les prisonniers apprennent à écrire. Bien plus qu’une documentation de l’histoire économique générale de la Suisse, le rapport Bowring dresse aussi un état des lieux des directoires commerciaux cantonaux. Il explique comment les commerçants s’organisent en associations et créent des instances régulatrices. Bowring évoque en particulier comment les commerçants suisses prônent le libre-échange et comment l’économie suisse prospère dans le même temps. Lui-même drapier et politicien, Bowring va en quelque sorte à la rencontre de ses homologues suisses. À Genève, il est ainsi accueilli par Marc-Antoine Fazy-Pasteur qui, après ses années d’apprentissage en Angleterre, a créé une filature à Carouge, dans la banlieue genevoise. Ce dernier dirige également une manufacture d’indiennes à Annecy, en France, et appartient à l’opposition libérale à Genève dans les années 1830. En Appenzell, John Bowring s’entretient longuement avec Johann Caspar Zellweger, déjà âgé. Propriétaire de la société Zellweger & Co., celui-ci est actif sur le plan tant politique que philanthropique, en tant que président de la Société suisse d’utilité publique. Outre par l’économie florissante, Bowring est surtout impressionné par le haut niveau d’éducation, le niveau de vie et la satisfaction générale des travailleurs dans les cantons.
Sir John Bowring (1792–1872), drapier, député britannique et futur gouverneur de Hong Kong.
Page de titre du rapport Bowring, 1836.
Extrait de l’introduction du rapport Bowring, 1836
It could not, indeed, but excite the attention of any reflecting person, that the manufactures of Switzerland – almost unobserved, and altogether unprotected, had been gradually, but triumphantly, forcing their way into all the markets of the world, however remote, or seemingly inaccessible. That such a remarkable result was not the consequence of geographical position is obvious, for Switzerland neither produces the raw material which she manufactures, nor, when manufactured, has she any port of outlet, except on the conditions which her maritime neighbours impose upon her. No one of her fabrics owes its prosperity to a protecting or interposing legislation; yet it is not the less true that without custom-houses to exclude or laws to prohibit the full action of foreign competition on her various industries, her progress has been almost unexampled in manufacturing prosperity. I anticipated, certainly, that Switzerland would exhibit a living and instructive example of the truth and importance of the great principles of political economy when brought into practical operation; but I scarcely expected to find that they had been instrumental in producing such a vast mass of content and happiness as I found existing in the manufacturing cantons, or that they would have raised so large a proportion of the labouring class to independence and comfort.
La Suisse est donc confrontée à des barrières douanières, mais aussi à un développement incertain du commerce avec les États de l’Union douanière allemande. Ceux-ci allaient-ils aussi céder à la tentation du protectionnisme ? Le commerce avec les territoires d’outre-mer s’affirme dès lors comme la bouée de sauvetage de l’industrie suisse. Dès le XVIIIe siècle, le réseau des entrepreneurs suisses couvre le monde entier, et ces contacts sont développés plus avant pendant le Blocus continental. À Genève et à Neuchâtel, le Blocus a raison des manufactures d’indiennes (toiles de coton imprimées en couleur), mais en Suisse orientale, Glaris en tête, l’industrie textile prospère au milieu du XIXe siècle. Grâce aux tissus de confection imprimés à la mode orientale, indienne ou africaine, l’industrie textile y retrouve un bel essor. Les indiennes et mouchoirs colorés de l’atelier de tissage manuel du Toggenbourg ainsi que les célèbres sarongs et étoffes en batik de l’indiennerie de Glaris voyagent via la Turquie jusqu’en Perse (aujourd’hui l’Iran) et en Indochine, aux îles de Malaisie, aux Philippines et au Japon tout comme à l’intérieur du continent africain. Le financement moderne des entreprises industrielles va de pair avec l’expansion moderne des transactions commerciales. Ainsi, le Directoire commercial de Saint-Gall finance une expédition à Shanghai afin de trouver de nouveaux débouchés pour l’industrie textile de Suisse orientale. D’autres expéditions conduisent les marchands suisses en Afrique de l’Est et sur l’île de Zanzibar. Aujourd’hui encore, composer des délégations économiques pour toutes les régions du monde relève de la compétence d’econonomiesuisse.