Histoire des salons de Paris. Tome 1. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 1 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Necker est renvoyé. M. de Maurepas est vengé de la mystification de M. de Pezay!.. mais il ne l'est pas de ce qu'il appelle les offenses personnelles de M. Necker. Il le mande dans son cabinet, et là il lui annonce, avec la brutalité d'un homme mal appris, lui, le modèle de la politesse exquise, que le Roi lui donne sa démission, et que tous les ministres, M. de Castries excepté, donnent la leur si M. Necker demeure au ministère. M. Necker sort de chez M. de Maurepas, qui est convaincu qu'il l'a insulté, comme s'il dépendait de vouloir insulter pour atteindre quand on est haut placé! M. Necker regarde avec pitié le vieillard, impuissant dans sa haine comme dans son pouvoir d'homme d'état; il lui dit seulement que les coffres sont pleins et qu'il a accompli ses promesses. Et le lendemain, 19 mai 1781, le Roi reçut un petit billet de deux pouces et demi de large sur trois pouces et demi de haut, contenant ce qui suit, sans vedette ni titre:

      «La conversation que j'ai eue hier avec M. de Maurepas ne me permet pas de différer de remettre entre les mains du Roi ma démission. J'en ai l'âme navrée. J'ose espérer que S. M. daignera garder quelque souvenir des années de travaux heureux, mais pénibles, et surtout du zèle sans bornes avec lequel je m'étais voué à la servir.

«Necker.»

      M. Necker reçut des visites de condoléance de M. le prince de Condé et du prince de Conti à Saint-Ouen, et des ducs d'Orléans et de Chartres.

      «Gardez-vous pour des temps meilleurs,» lui dit madame Necker.

      À cette époque de la première retraite de M. Necker, sa fille avait dix-huit ans; mais elle était tellement femme du monde que l'on pouvait déjà prononcer hardiment sur elle le jugement qui la proclamait l'un des esprits les plus lumineux de son temps comme publiciste. Mais je parlerai d'elle plus tard, et en son lieu. Madame de Staël ne doit être en concurrence avec personne; elle éclipse tout là où elle se trouve, et la maison où elle paraît doit être la sienne. Sa mère rend une lumière assez vive pour être admirée seule à côté de M. Necker, soit qu'elle s'y montre son guide sur la mer orageuse des mouvements politiques, soit qu'elle le console dans sa belle retraite de Saint-Ouen.

      Le ministère qui remplaça M. Necker, M. de Fleury35 (Joly), le marquis de Castries36, le comte de Ségur37, M. Amelot38, M. de Vergennes39, cette réunion d'hommes, se comprenant mal, ne s'aimant pas, s'ennuyait et ne faisait rien. On changea encore de ministre, et M. d'Ormesson fut sacrifié à M. de Calonne. À dater du départ de M. Necker, l'anarchie se mit dans le département des finances… et dans tous les autres. Que devenait Louis XVI au milieu de ce conflit de passions personnelles et d'agitation publique?.. Il voyait, sentait le mal, et ne remédiait à rien. Enfin le tumulte en vint au point de ne savoir comment la machine irait encore. Un jour M. de Castries se rappela que M. Necker l'avait fait entrer au ministère, et à son tour le désigna au Roi pour contrôleur-général. Le Roi le voulait bien; hélas! il voulait tout!.. Mais autour de lui que de voix négatives!.. M. de Vergennes voulait tenir M. Necker éloigné du ministère, et encore une fois la Couronne se trouvait dans une position désastreuse.

      Tout-à-coup on exile M. Necker pour un ouvrage dans lequel madame Necker avait écrit bien des belles pages. M. Necker l'adressa au Roi en violant l'étiquette. C'en fut assez; les ennemis de M. Necker se prévalurent de CETTE FAUTE: il fut non pas exilé, mais relégué hors de Paris. J'ai une lettre de Louis XVI, une lettre de trois pages, écrite à M. de Vergennes, dans laquelle il parle de M. Necker d'une manière outrageante!.. Qu'est-ce qu'un roi qui peut traiter ainsi un homme qu'il a jugé digne de sa confiance pendant plusieurs années, surtout lorsque cet homme lui a donné des preuves de son habileté et de son attachement?..

      «Qu'on ne me parle plus de M. Necker, s'écria Louis XVI, ni de M. de Mareuil!»

      En janvier 1785, il disait de M. Necker: «C'est un homme de talent, sans doute, mais un brouillon fanatique qui, dirigé par sa femme, voudrait faire de mon royaume une république criarde comme est leur ville de Genève…»

      Pendant ce temps M. Necker voyait M. de Castries en secret, et tout se préparait pour sa rentrée au ministère. C'est ce moment que j'ai choisi pour peindre madame Necker dans son salon… Elle avait, à cette époque, bien des sentiments qui l'agitaient, et que pouvait-elle faire? Rien comme femme du ministre; tout, comme femme privée, comme souveraine d'un royaume où l'opinion était elle-même une souveraine.

      Des années s'écoulèrent ainsi; par l'histoire de la Révolution, qu'il faut suivre en même temps pour me bien comprendre, on peut voir ce que faisaient à cette époque les sociétés en France, et combien les salons étaient puissants… comment ils pouvaient et comment ils faisaient. M. Necker et M. de Calonne, M. Necker et M. Turgot, en arrivèrent à être eux-mêmes les causes portées devant ce terrible tribunal du monde; il les jugea, comme toujours, sans y entendre grand'chose, parce qu'à l'ordinaire les parties sont absentes. Il y eut des pamphlets écrits, des brochures signées et avouées des auteurs; les choses en étaient arrivées à un point alarmant pour la majesté royale. Louis XVI, qui la voyait en silence s'écrouler tous les jours sans songer à la soutenir d'un bras de souverain, Louis XVI songea cependant à sévir contre les ministres qui, soit en place, soit dans la retraite, troublaient l'ordre public et dérangeaient la société jusque dans ses bases.

      Le 7 avril 1787, un dimanche, le Roi écrivit à M. de Calonne, alors contrôleur-général, pour lui demander sa démission… Il avait fait cette terrible profession de foi à l'Assemblée des Notables!.. et pourtant il n'avait eu peur de rien… M. de Montmorin lui porta la lettre du Roi. La dénonciation de M. de Lafayette donna le coup de grâce à M. de Calonne, qui, au fait, pour être ministre des Finances, dans une aussi terrible crise, n'avait aucune des qualités requises… Il était agréable, mais toujours Robin, et son portrait, fait par madame de Staël, est fort éblouissant: ses amis le comparaient à Alcibiade; mais, s'il lui a jamais ressemblé, c'était probablement pour avoir fait couper la queue à son chien. Le Roi lui envoyait sa démission dans sa lettre le plus gracieusement qu'il pouvait. Le vendredi suivant, le lieutenant de police, M. de Crosne, successeur de M. de Sartines et de M. Lenoir, alla porter lui-même à M. Necker l'ordre qui l'exilait à vingt lieues de Paris, lui laissant le choix du lieu de sa retraite. M. Necker, qui s'attendait à rentrer au contrôle-général, partit à l'heure même avec sa femme; mais il fut contraint de s'arrêter à Marolles, à peu près à dix lieues de Paris, et de là il écrivit que madame Necker étant trop malade pour aller plus loin, il demandait de demeurer près d'elle; ce que le Roi accorda. Il quitta Marolles quelques jours après, et se rendit à Château-Renard, près de Montargis. Mais en partant il avait quitté le lieu du combat en Parthe… en lançant une flèche qui avait porté au milieu du cœur, et la blessure était de telle sorte que la main seule qui l'avait faite la pouvait guérir. Le mal grandissait, la plaie s'envenimait… mais ce fut bien pis lorsque M. de Brienne s'en mêla: le sang français coula par flots; la Seine reçut des cadavres. Enfin la Cour vit le danger; elle fit donner un chapeau rouge à M. de Loménie, et rappela M. Necker. Madame Necker était alors plus malade que jamais, et ne pouvait demeurer dans un même lieu sans que des douleurs très-violentes la fissent aussitôt changer de place. Partout déjà sonnait le tocsin de la révolte; et pour accepter la place de contrôleur-général, il fallait le courage de madame Necker.

      SALON DE MADAME NECKER.

      1787

      Dans une pièce vaste et bien éclairée, dont les fenêtres donnaient sur un jardin, étaient plusieurs personnes autour d'une femme encore assez jeune, grande, élancée, et d'une pâleur qui révélait un état de souffrance habituel. Un mouvement nerveux paraissait agiter tous ses traits, et particulièrement sa bouche, lorsqu'elle gardait le silence. Elle était belle pourtant, si l'on pouvait l'être avec cette

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<p>35</p>

Successeur immédiat de M. Necker.

<p>36</p>

Ministre de la Marine, depuis maréchal.

<p>37</p>

Ministre de la Guerre, depuis maréchal, grand-père de l'auteur de l'ouvrage sur la campagne de Russie.

<p>38</p>

De la maison du Roi.

<p>39</p>

Des affaires étrangères.