Histoire des salons de Paris. Tome 1. Abrantès Laure Junot duchesse d'
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Madame la duchesse de Lauzun42, madame la princesse de Monaco!
Madame Necker alla au-devant d'elles, et les saluant avec une réserve douce, sans froideur, mais avec dignité, les conduisit à un grand canapé où les deux jeunes femmes s'assirent.
Madame la duchesse de Lauzun parut d'abord vouloir parler à madame Necker avec un empressement mêlé d'émotion; mais en voyant autant de monde, elle fut embarrassée.
– En vérité, madame, je ne sais comment vous exprimer ma gratitude! M. le maréchal voulait venir avec moi, mais il est goutteux et souffrant, vous le savez… je suis donc venue seule, mais bien pénétrée, madame, de vos bontés pour moi.»
Je vous assure qu'en faisant ce portrait, je pensais tout ce que j'écrivais, et que rien n'y est exagéré. Tout est vous-même… et si ces messieurs veulent éprouver un double plaisir, ils écouteront M. de La Harpe, qui lit si merveilleusement bien… et qui voudra bien nous dire ce qui se trouve dans ce cahier.
(M. de la Harpe s'incline.)
Ah! oui! oui!.. madame la duchesse, permettez-le.
Madame, je vous en conjure… ne lisez pas devant madame de Monaco!.. elle, si belle, si charmante!.. ah! ne me faites pas faire sans le vouloir une chose qui pourrait paraître de ma part une étrange preuve d'orgueil, et surtout de prétention si peu fondée!..
Aussi bonne que belle!..
Ah ça! si je comprends toute l'agitation qui est autour de moi, je crois qu'il est question de lire un portrait de madame de Lauzun!.. Je ne sais pas si M. de La Harpe est susceptible?.. ajouta-t-elle en se tournant vers lui avec un de ses plus charmants sourires.
Madame la princesse veut-elle me dire en quoi j'ai à me soumettre à ses commandements?
En me donnant ce rouleau de papier pour que je lise moi-même ce que madame Necker a écrit et ce que nous pensons tous.
Vous êtes aussi une ravissante femme, dit madame Necker, toujours avec cette réserve qui ne la quittait jamais, mais à laquelle se mêlait une vive émotion… Elle prit les deux jeunes femmes presque dans ses bras, et les regardant toutes deux:
– Eh bien! il sera fait comme l'a dit la souveraine des suaves odeurs… nous ne sommes qu'avec des amis! eh bien! qu'une jolie femme prononce l'éloge d'une autre.
On se plaça autour d'une grande table ronde, recouverte d'un tapis de velours vert bordé d'une frange d'or; sur cette table était un flambeau d'argent à douze branches surmonté d'un abat-jour; autour de la table se rangèrent M. de La Harpe, M. de Chastellux, M. Suard, l'abbé Morellet, l'abbé Galiani, M. de Saint-Lambert, M. de Florian, M. Gibbon, M. de Chabanon et M. Moultou, etc. etc. À côté de madame Necker toujours debout, mais toutes deux assises, étaient les deux jeunes femmes, mises à la mode du temps; elles portaient un pierrot en pékin rayé avec un grand fichu en gaze de Chambéry, bordé d'une magnifique blonde… Le pierrot de madame de Lauzun était de pékin puce rayé, couleur sur couleur, d'une large raie satinée, et garni d'une ruche découpée; sur sa tête était un petit chapeau de satin rose, avec un bouquet de plumes également roses, posé sur le côté. Madame de Monaco était en cheveux, n'ayant que ce qu'on appelait alors un œil de poudre; elle était habillée d'une étoffe vert clair parsemée de petites roses…
Au moment où l'on allait commencer la lecture du portrait, on annonce:
M. le comte de Buffon, M. de Marmontel!..
Eh quoi! c'est vous!.. et si tard!..
Il n'est jamais tard pour venir à vous, car pour une si douce chose que celle de vous voir, on est toujours prêt!.. (Il s'incline très-bas devant les deux jeunes femmes.) Madame la princesse de Monaco, veut-elle bien recevoir mon hommage44?
(Il s'approche de madame de Lauzun, qu'il connaît davantage, et lui prend la main, qu'il baise, toujours en s'inclinant profondément.)
J'espère, Marmontel, que vous n'aurez pas permis au comte de faire une trop longue course à pied?
Traverser les Tuileries seulement, madame.
C'est encore beaucoup.
Lorsque les vieillards ne marchent pas, ils perdent l'usage de leurs jambes…
Mais n'en est-il pas de même de leurs facultés? Voyez Voltaire! s'il n'avait pas toujours écrit, il n'aurait pas produit aussi tard ni aussi bien.
Ah! aussi bien!
(M. de Buffon sourit sans parler.)
Mais…
Mon cher La Harpe, vous ne pouvez, avec toute votre amitié pour M. de Voltaire, lui reconnaître du talent dans ses derniers jours45.
Messieurs, messieurs, point de discussion sur le génie du grand homme46!
Et notre éloge?
Pas aujourd'hui…
Et moi, comme auteur, et comme maîtresse de maison, j'ordonne ici… et je veux que vous entendiez votre amie vous louer comme vous devez l'être.
Je suis prête!..
(Au
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Quelle que fût la bonté naturelle de madame Necker, on sait que M. de Malesherbes était l'ami le plus intime de M. Turgot, et presque, par cette raison, l'ennemi de M. Necker!.. M. de Malesherbes était ensuite plus
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Petite-fille de la maréchale de Luxembourg.
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Mademoiselle de Stainville, femme du prince Joseph de Monaco, était une charmante personne; elle avait, à l'époque où elle se trouvait chez madame Necker, à peine dix-neuf ans. Ses cheveux blonds étaient les plus beaux du monde… Arrêtée d'abord en 93, elle obtint de rester chez elle avec des gardes; elle s'échappa et sortit de Paris… Elle erra plusieurs mois dans la campagne… Enfin, sa malheureuse destinée lui inspira la volonté de rentrer dans Paris… Elle fut arrêtée de nouveau, et cette fois condamnée à mort!.. La malheureuse jeune femme écrivit à ce monstre à face humaine, à Fouquier-Tinville, en lui disant
– Si j'ai peur, dit-elle avec ce doux sourire d'ange qui était un des charmes puissants de son visage, que ces misérables n'en voient rien… Elle périt
Les deux filles qu'a laissées madame la princesse de Monaco sont madame la marquise de Louvois et madame la comtesse de La Tour-du-Pin.
Le fait de l'éloge de madame de Lauzun, lu par madame de Monaco, est exact; il se passa, comme je le rapporte, chez madame Necker.
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M. de Buffon, né le 7 septembre 1707, avait alors quatre-vingts ans; il mourut à Paris l'année suivante 1788, le 16 avril.
C'est encore une réputation trop exhaussée; quand on voit sur le piédestal de sa statue
Aristote avait posé les premiers fondements de la zoologie; Pline mêla le vrai et le faux, le ridicule et le sublime, accueillant toutes les versions, mais racontant admirablement ce que lui-même voyait; puis vinrent ensuite Gessner (Conrad), Aldrovande, et plus tard
M. de Buffon est de Montbard; les détails de sa vie habituelle me sont aussi familiers que ceux d'un de mes parents les plus proches. Je sais donc de lui des traits qui repoussent le génie. Cette manie de n'écrire qu'habillé ou tout au moins poudré, et en jabot de dentelle… c'est pitoyable, et cela révèle un talent lorsqu'on y ajoute ce mot:
Avec ce système, le génie devrait être bien plus fréquent, tandis qu'il est bien rare!.. Je crois au contraire que le génie, c'est la conception instantanée et surtout rapide de ce qui s'offre à nous. Cette pensée est viable ou elle ne l'est pas. Le moule dans lequel elle fut jetée ne vous la rendra pas. Voilà du moins comment je comprends le génie. Il fut créateur, mais créateur comme la Divinité. Dieu n'a ni repentir ni calcul; ce qu'il produit est parfait. Le génie!.. oh! quel abus on a fait de ce grand nom! Le génie!.. ce mot a été souillé… et maintenant il faudrait un autre mot pour désigner cette émanation de Dieu, cette parcelle du feu qui brûle devant son trône!.. Quel abus nous avons fait et nous faisons encore des mots!!!
M. de Buffon n'aimait pas Linnée: cela devait être; mais pourquoi le laisser voir?.. Linnée reçut longtemps les attaques peu courtoises de M. de Buffon sans lui répondre; cependant le savant de la Suède pensa que le silence était une approbation tacite, et il répondit; mais savez-vous comment? Le fait est assez peu connu.
Un jour, en parcourant les bruyères, les vallées et les lacs de sa province glacée, il trouva dans ses courses une plante fort ordinaire, laide et désagréable à voir, et même à étudier. Elle est de la famille des cariophyllées173; elle ne croît que dans des terrains arides et incultes. Les magiciennes de la Thessalie l'employaient dans leurs enchantements, et dans presque toutes ses touffes on est sûr de trouver un crapaud, parce qu'ils aiment cette plante; lorsque Linnée la trouva, elle était inconnue comme classification; il la plaça avec celles de sa parenté, et la baptisa du nom de BUFFONIA. Ce fut la seule vengeance qu'il tira de M. de Buffon, qui avait été fort mal pour lui.
Cette nature morale et cette nature physique s'alliant ensemble pour une passion humaine des plus basses, la vengeance, m'a toujours paru un texte bien remarquable à commenter!..
M. de Buffon était parfaitement aimable lorsqu'il était avec des personnes auxquelles il voulait plaire. Ses manières et son ton, tout en lui formait ce qu'on appelait alors un homme parfaitement aimable comme un homme du monde… Il avait ces formes non-seulement polies, mais complètement inconnues maintenant, et qui paraîtraient une sorte de caricature des manières d'aujourd'hui… M. de Buffon avait une belle tête de vieillard, et sa tournure avait de la distinction. Son père était conseiller au parlement de Dijon (Benjamin Leclerc).
Un fait que je tiens de mon oncle l'évêque de Metz, c'est que J. – J. Rousseau, passant par Montbard, voulut voir M. de Buffon; il était absent. Jean-Jacques se fit conduire chez lui, et là ayant demandé à être introduit dans le cabinet où travaillait M. de Buffon, Jean-Jacques se prosterna et
M. de Buffon mourut, à Paris, le 16 avril 1788; son fils périt sur l'échafaud, sans que son nom, dont la France devait être trop fière pour le souiller de sang, pût le préserver de la proscription des cannibales qui nous décimaient.
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M. de Voltaire était mort depuis neuf ans (1778).
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On sait qu'ils se détestaient; mais il y avait un raccommodage