Histoire des salons de Paris. Tome 1. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 1 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Le salon où elle se trouvait était celui du contrôle-général. M. Necker avait été nommé au moment où l'ardeur animait chacun pour ramener le calme, ne fût-ce même que pour l'apparence. À peine le retour de M. et madame Necker avait-il été connu, que leurs nombreux amis étaient accourus pour les revoir et leur dire toute la joie qu'on éprouvait de ce retour dans Paris et dans toute la France. Madame Necker souriait doucement en regardant M. Necker, qui, de son côté, renvoyant une partie de ce bonheur à sa femme et à sa fille, voyait doubler pour lui les jouissances de l'amour-propre par celles du cœur.

      Madame Necker avait naturellement un son de voix très-grave, mais aussi parfaitement doux; avantage de femme que n'avait pas madame de Staël, dont la voix était belle, et même pleinement sonore, mais nullement harmonieuse. Quant à madame Necker, son état de maladie rendait son timbre encore plus doux.

      – Madame, vous alliez nous dire une histoire de M. de Malesherbes au moment où M. de La Harpe est entré, lui dit le baron de Nédonchel40; voulez-vous ne pas nous priver de cette bonne chose? Qu'est-ce que M. de Malesherbes pouvait avoir de si curieux à montrer à madame de Pons, lui qui ne trouve rien d'extraordinaire, lui montrerait-on la tour de porcelaine de Pékin?

      Madame Necker sourit.

      – En effet, il s'étonne difficilement, lui qui aime tant à étonner les autres; mais ici la chose n'est pas ce que vous pourriez croire; voici le fait: M. de Malesherbes dit à madame de Pons: J'ai dans mon jardin un cèdre du Liban! – Ah! mon Dieu, dit-elle, que cela doit être beau, un cèdre du Liban!.. allons le voir. Elle cherchait dans les nues, tandis que M. de Malesherbes, qui a la vue basse, comme vous savez, et qui est même myope, cherchait à ses pieds. Enfin il tombe par terre, et touchant ce qu'il cherchait de l'œil et de la main: Le voilà, le voilà! – Quoi donc? – Eh! le cèdre – Et où cela? —

      C'était un arbrisseau à deux lignes de terre!

      Vous jugez des rires de madame de Pons.

      – Y a-t-il longtemps qu'il n'a fait quelque belle surprise, opéré quelque magique étonnement? demanda quelqu'un à M. Suard.

      – Je ne sais; mais il est à remarquer que cette manie qui lui donne un amusement, au reste bien innocent, ne nuisant à personne, n'a encore amené que des résultats heureux, et n'a produit aucun résultat fâcheux, pour lui au moins: pour les autres, je n'en dirai pas autant, et malheur à l'honnête homme si le coquin a offensé M. de Malesherbes!..

      Dernièrement il était à Melun et voulait aller à Vaux. Ses chevaux étant fatigués, il les laisse à l'auberge et part à pied pour Vaux. Il faisait à son départ un temps superbe; mais à peine à moitié chemin, le ciel se couvre, et la pluie tombe fortement. M. de Malesherbes fut contrarié; mais il se résigna, et se mit sous un arbre pour s'abriter, car il n'avait pas même de parapluie. Enfin l'orage, car c'était plus qu'un grain, continuant toujours, il se détermina à gagner le château en recevant toute la pluie. À peine fut-il sur le chemin, qu'un paysan déboucha d'un des grands sentiers qui bordent la route, dans une petite carriole couverte d'une toile verte, et fort bonne en apparence, surtout pour un homme qui recevait pleinement l'orage sur une assez mauvaise redingote de bouracan fort légère. – Voulez-vous me donner une place à côté de vous, mon ami? demanda M. de Malesherbes au paysan; je vous donnerai pour boire.

      Le paysan regarda M. de Malesherbes, et loin de se déranger pour lui faire place, il se mit au contraire plus en avant, et dit à monsieur le premier président, en regardant alternativement lui et sa redingote:

      – Bah, c'est bien la peine!.. le temps va s'éclaircir!.. et vous êtes, ma foi, bien couvert!.. Ce n'est pas comme cet homme-là.

      Et il lui montrait un paysan qui travaillait aux vignes et n'avait que sa chemise.

      – Mais il est jeune et je suis vieux, dit M. de Malesherbes avec une sorte d'expression, pour attendrir le méchant homme…

      – Vieux!.. mais pas trop!.. Quel âge avez-vous ben?..

      – Soixante ans, vienne la Saint-Jean, c'est-à-dire dans huit jours…

      – Ah! ah! dit le paysan, fouettant toujours sa bête et trottant à côté du pauvre piéton qu'il éclaboussait de son mieux… – La patience de M. de Malesherbes est connue dans ces sortes d'aventures; mais celle-ci commençait à l'ennuyer, parce que le remède était aussi par trop près de lui. – Savez-vous si nous sommes encore loin du château, demanda-t-il au paysan?..

      – Oh! monsieur… le voilà tout à l'heure! est-ce que vous y allez?..

      M. de Malesherbes fit un signe affirmatif…

      – Et moi aussi… j'y vais pour des affaires.

      Il dit ce mot d'affaires avec un ronflement dans la voix qui annonçait le maître de plusieurs gros sacs d'écus!..

      – Et quelles sont vos affaires?.. Peut-on vous le demander, si cela peut se dire?

      – Oh! mon Dieu, oui!.. Je suis fermier de monseigneur, je tiens la ferme des Trois-Moulins… ici près… là tout au bord de l'eau… de beaux prés, ma foi… et si beaux qu'ils tentent tout le monde!.. J'ai un voisin, Mathurin le pêcheur, qui veut me prendre un de mes prés… J'ai plaidé… mais bah! il plaide aussi! et je ne sais pas comment il s'arrange, je suis toujours condamné à quelque chose;… ça n'est pas juste!.. Enfin, on m'a dit comme ça que monsieur le premier président venait aujourd'hui par ici, et j'ai attelé ma jument, et me v'là… Je demanderai à monseigneur de me recommander à lui, et si je n'ai pas tout-à-fait tort, il me donnera raison… Avec des protections, la justice marche toujours.

      Monsieur de Malesherbes ne riait plus… – Pourquoi dites-vous cela? Avez-vous donc des juges dans ce canton qu'on fait marcher avec de l'argent?.. demanda-t-il au paysan d'une voix sévère.

      Le paysan se mit à rire de ce rire malin et bête qui ne dit ni oui ni non. M. de Malesherbes répéta sa question.

      – Je n'ai pas dit cela, dit le rustre pressé par son nouvel ami, mais je le crois…

      Cependant la pluie redoublait de violence; le paysan regarda le vieillard, qui marchait avec peine dans le sentier couvert d'une terre glaise glissante;… il fit un faux pas… et faillit tomber… Le paysan se mit à rire…

      – On voit ben que vous n'êtes pas habitué à marcher dans nos chemins… ça vous accoutumera…

      Et il se mit encore à rire… En ce moment ils arrivaient au château… Le paysan entra au trot de sa jument dans la première cour, où il fut obligé de s'arrêter. M. de Malesherbes doubla le pas et gagna le château, où il fut reçu, comme vous pouvez le penser, avec la joie qu'il inspire toujours, mais sans étonnement, parce que ces aventures-là lui sont familières… Il dit son histoire avec le paysan et pria le duc de Praslin de le faire venir après le dîner pour qu'il parlât au premier président… En me racontant toutes ces scènes ce matin, ajouta M. Suard, je vous jure qu'il était plus amusant et plus extraordinaire que jamais dans les effets qu'il produit… Mais il s'est surpassé dans la description de l'étonnement du paysan en reconnaissant dans le premier président son voyageur qui glissait et se mouillait sur le chemin humide et crotté de Melun au château!.. Sa détresse, en regardant les éclaboussures qu'avait faites sa malice sur la redingote de bouracan, était bien comiquement rendue par M. de Malesherbes…

      – Et je suis sûre, dit madame Necker, qu'il a promis à l'homme de lui faire rendre justice s'il y a lieu?

      – Vous

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<p>40</p>

Je dirai, une fois pour toutes, que les histoires que je rapporte sont toutes véritables, ainsi que les noms des personnes que je cite.