Le Guaranis. Aimard Gustave

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Le Guaranis - Aimard Gustave

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avez tort de supposer cela; bien que le désert soit grand, un coquin ne s'y cache pas aussi facilement que vous le croyez, lorsqu'un homme comme moi a intérêt à le retrouver.

      – Vous, c'est possible, mais moi, c'est autre chose, vous en conviendrez.

      – C'est vrai, fit-il en hochant la tête; c'est égal, dites-moi toujours son nom.

      – A quoi bon?

      – On ne sait pas ce qui peut arriver, peut-être un jour me trouverai-je en rapports avec lui, et, le connaissant, je m'en méfierai.

      – C'est juste; on l'appelait, à Buenos Aires, Pigacha, mais son véritable nom parmi les siens est le Venado; il est borgne de l'œil droit; j'espère que voilà des renseignements détaillés, ajoutai-je en riant.

      – Je le crois bien, répondit-il de même, et je vous promets que si je le rencontre quelque jour, je le reconnaîtrai; mais nous voici arrivés.»

      En effet, à vingt pas devant nous apparaissait un rancho dont les premières ombres de la nuit m'empêchaient de saisir complètement l'ensemble, mais dont la vue, après une journée de fatigue et surtout l'abandon auquel j'avais longtemps été condamné, était faite pour me réjouir le cœur en me laissant espérer cette franche et cordiale hospitalité, qui non seulement ne se refuse jamais dans la pampa, mais encore s'exerce dans de si larges proportions envers les voyageurs.

      Déjà les chiens saluaient notre arrivée par des cris assourdissants et venaient sauter avec fureur autour de nos chevaux; nous fûmes contraints de cingler quelques coups de fouet à ces hôtes incommodes qui s'enfuirent en hurlant, et bientôt nos montures s'arrêtèrent devant l'entrée même du rancho où un homme se tenait, une torche allumée d'une main et un fusil de l'autre, pour nous recevoir.

      Cet homme, d'une taille élevée, aux traits énergiques et au teint bronzé, éclairé par les reflets rougeâtres de la torche qu'il élevait au-dessus de sa tête, me représentait bien avec ses formes athlétiques et son apparence farouche le type du véritable gaucho des pampas de la Banda Oriental; en apercevant mon compagnon, il fit un geste de respectueuse surprise, et s'inclina avec déférence devant lui.

      «¡Ave Maria purísima! dit celui-ci.

      – Sin pecado concebida, répondit le ranchero.

      –¿Se puede entrar, don Torribio? demanda mon compagnon.

      – Pase V. adelante, señor don Zèno Cabral, reprit poliment le ranchero, esa casa y todo lo que contiene es de V.2»

      Nous mîmes pied à terre sans nous faire prier davantage, et après qu'un jeune homme de dix-huit à vingt ans, à demi nu, qui était accouru à l'appel de son maître ou de son père, je ne savais encore lequel des deux, eut pris la bride de nos chevaux et les eut emmenés, nous entrâmes, suivis pas à pas par les chiens qui avaient si bruyamment annoncé notre arrivée et qui maintenant, au lieu de nous être hostiles, sautaient joyeusement autour de nous avec des cris de plaisir, supposant sans doute qu'en faveur de notre arrivée il leur serait permis de dormir auprès du feu, au lieu de passer la nuit au dehors.

      Cette habitation, comme toutes celles des gauchos, était une hutte de terre entremêlée de roseaux, couverte en paille coupante, construite, enfin, avec toute la simplicité primitive du désert.

      Elle était composée de deux pièces: la chambre à coucher et l'appartement de réception, servant aussi de cuisine.

      Un lit formé de quatre piquets plantés en terre, supportant une claie en roseaux ou des courroies de cuir entrelacées, sur lequel se place, en guise du matelas européen, inconnu dans ces contrées, une peau de bœuf non tannée; quelques autres cuirs étendus à terre, près de la muraille pour coucher les enfants, des bolas, des laços, armes indispensables des gauchos, des harnais de chevaux suspendus à des piquets de bois fichés dans les parois du rancho formaient l'unique ameublement de la chambre intérieure.

      Quant à la première, cet ameublement était plus simple encore, si cela est possible; il se composait d'une claie en roseaux supportée par six piquets et servant de sofa, deux têtes de bœufs en guise de fauteuil, un petit baril d'eau, une marmite en fonte, quelques calebasses servant de vases, une jatte en bois et une broche en fer, piquée verticalement devant le foyer, placé au milieu même de la pièce.

      Nous avons décrit ce rancho ainsi minutieusement, parce que tous se ressemblent dans la pampa, et sont pour ainsi dire construits sur le même modèle.

      Seulement, comme celui dans lequel nous nous trouvions alors appartenait à un homme relativement riche, à part du corps de logis principal, à une vingtaine de mètres à peu près, il s'en trouvait un autre servant de magasin pour les cuirs et les viandes destinées à être séchées, et entouré d'une haie assez étendue et d'une hauteur de trois mètres formant le corral, et derrière laquelle les chevaux s'abritaient des bêtes fauves pendant les nuits.

      Les honneurs du rancho nous furent faits par deux dames, que le gaucho nous présenta comme étant, l'une sa femme et l'autre sa fille.

      Celle-ci, âgée d'une quinzaine d'années, était grande, bien faite et douée d'une beauté peu commune; elle se nommait Éva, ainsi que je l'appris plus tard; sa mère, bien que fort jeune encore, – elle avait au plus trente ans, – n'avait plus que quelques restes fugitifs d'une beauté qui avait dû être fort remarquable, mais qui s'était promptement fanée au contact de la vie misérable à laquelle la condamnait le désert au milieu duquel s'était écoulée son existence.

      Mon compagnon paraissait être un ami intime du ranchero et de sa famille, par lesquels il fut reçu avec les témoignages de la joie la moins équivoque, bien que tempérés par une nuance presque insaisissable de respect et presque de crainte.

      De son côté, don Zèno Cabral, car je savais enfin son nom, agissait avec eux avec un sans-façon protecteur qui témoignait de rapports sérieux entre lui et le gaucho.

      La réception fut ce qu'elle devait être, c'est-à-dire des plus franches et des plus cordiales; ces braves gens ne savaient que faire pour nous être agréables, le moindre remercîment de notre part les comblait de joie.

      Notre repas, que nous mangeâmes de bon appétit, se composa, comme toujours, de l'asado ou rôti de bœuf, du queso ou fromage de Goya, et de harina ou farine de mandioca, le tout arrosé de quelques libations de caña ou eau-de-vie de sucre qui, sous le nom de traguitos, – petits coups – circulèrent libéralement et achevèrent de nous mettre en joie et de nous faire oublier nos fatigues de la journée.

      Comme complément à ce repas, beaucoup plus confortable que ne le supposera sans doute le lecteur européen, lorsque nos cigarettes furent allumées, doña Éva décrocha une guitare, et, après l'avoir présentée à son père qui, tout en fumant, commença à préluder avec les quatre doigts réunis, elle dansa devant nous, avec cette grâce et cette désinvolture qui n'appartiennent qu'aux femmes de l'Amérique du Sud, un cielito suivi immédiatement d'une montonera; puis, le jeune garçon dont j'ai déjà eu occasion de parler, et qui était non pas le serviteur mais le fils du ranchero, chanta d'une voix fraîche, bien timbrée, et avec un accent qui nous alla à l'âme, quelques tristes et quelques cielitos nationaux.

      Il se passa alors un incident bizarre et dont je ne pus m'expliquer le motif. Don Quino, le jeune homme, chantait avec une passion indicible ces vers charmants de Quintana:

      Feliz aquel que junto a ti suspira

      Que

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<p>2</p>

Ces paroles sont la formule consacrée pour toute demande d'hospitalité dans la pampa. Voici leur traduction:

«Je vous salue, Marie très pure.

– Conçue sans péché.

– Peut-on entrer, don Torribio?

– Entrez, señor don Zèno Cabral; cette maison et tout ce qu'elle renferme vous appartient.»